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4 décembre 2015 5 04 /12 /décembre /2015 14:50
Tout doit disparaitre, Néon, 159 x 50, 2011

Tout doit disparaitre, Néon, 159 x 50, 2011

Arnaud Cohen

 

Tout doit disparaitre, Néon, 159 x 50, 2011

 

Love is coming -Vanité au renardeau, Aluminium et fibre de verre, animal empaillé, résine, 45 x 70 x 35, 2009

 

Les deux œuvres présentées ici apparaissent comme deux manières, plastiquement différentes, de repenser la « vanité», à l'aune des enjeux sociaux, économiques, politiques, du monde contemporain.

En pénétrant dans la «dépense» convertie pour l'occasion en «cabinet de vanités», le néon d'Arnaud Cohen interpelle, radical : « Tout doit disparaitre », formulation aussi juste que lapidaire pour dire la finitude de toute chose, même les plus précieuses et les plus aimées. Mais le choix du néon n'est pas neutre, et relève d'une stratégie de la polysémie : si il est désormais un gimmick dans le vocabulaire de l'art contemporain, il est aussi, dans son usage traditionel, un support de visibilité publicitaire, et ce « Tout doit disparaitre » lumineux, expression consacrée du langage commercial, induit le doute sur ce qu'il faut comprendre : annonce prophétique ou promesse d'une bonne affaire? Sans doute Arnaud Cohen, avec l'humour acerbe et le goût de la stratégie à double détente qui caractérise son travail, joue-t-il de cette ambiguïté, induisant une relation entre le caractère vain de l'existence humaine, et la vanité de la société de consommation, divertissement mortifère, dont l'enseigne lumineuse est, pour reprendre l'observation de Walter Benjamin, symptôme « d'un programme d'écriture capitaliste »*.

 

« Love is coming », promet aussi la vanité au renardeau, qui, placée dans la salle des faïences du musée, pourrait se limiter à son rôle de trophée si n'était ce bras armé pointé sur le visiteur. Rencontre inattendue entre le renardeau, inoffensif, et le revolver au poing, menaçant, spectre d'une abrupte violence, dont on semble entendre aujourd'hui de manière si inquiétante le sourd grondement. Une vanité réellement contemporaine. Love is coming, vraiment ? Dans ce monde-ci ou dans quelqu'arrière-monde ? Une réflexion qui dévoile, sous l'évidente ironie, une réelle inquiétude quant à la valeur de la vie, ici et maintenant.

 

Né en 1968, Arnaud Cohen commence sa carrière d'artiste plasticien en 1997. Se définissant lui-même comme fils spirituel de Marcel Duchamp et de Marcel Broodthaers, il cherche moins à faire style qu'à faire sens, recourrant à des formes, prosaïques ou usuelles dans l'histoire de l'art, comme un vocabulaire dont il assemble, téléscope les élements pour dégager une voie de traverse : « Mon outil principal, c’est le détournement. (...) Je ne cherche pas à créer des formes nouvelles ou à me perdre dans l’édification d’un style. Ce que je recherche avant tout, c’est à faire naître du sens. » écrit-il. A travers une pratique protéiforme et un « répertoire iconographique » récurrent, il produit un corpus critique jamais exempt d'humour dans lequel il explore les questions de la fiction, des "structures permanentes" du mythe, comme dirait Levi-Strauss, et des mythologies contemporaines et postmodernes, qui doivent toujours beaucoup, comme aux temps les plus anciens, aux effrois eschatologiques et aux espoirs de régénération.

Arnaud Cohen vit et travaille entre Paris et son île usine-atelier, à Cenon sur Vienne.

 

* d'après Philippe Artières – Les enseignes lumineuses , des écritures urbaines au 20ème siècle– 2010 - Ed. Bayard

 

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2 décembre 2015 3 02 /12 /décembre /2015 14:43
L'au-delà, c'est sensas- tapisserie en perles de rocailles – 40 x 30 – 2012 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

L'au-delà, c'est sensas- tapisserie en perles de rocailles – 40 x 30 – 2012 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

L'au-delà, c'est mortel- tapisserie en perles de rocailles – 35 x 30 – 2014 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

L'au-delà, c'est mortel- tapisserie en perles de rocailles – 35 x 30 – 2014 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

Lola B. DESWARTE

 

L'au-delà, c'est sensas- tapisserie en perles de rocailles – 40 x 30 – 2012 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

 

L'au-delà, c'est mortel- tapisserie en perles de rocailles – 35 x 30 – 2014 - Courtesy l'artiste et MH Gallery, Bruxelles

 

 

Les deux œuvres de Lola B Deswarte présentées ici font partie d'un série en cours, toutes réalisées dans ce matériau féminin – la perle de rocaille que l'on brode sur les vêtements ou dont on fait des bijoux fantaisies- et rappelant, par leur dimension « impérissable » les ornements mortuaires traditionnels. Par le choix chromatique – les lettres en bleu du tatouage sur un fond rose comme la peau-, l'artiste entend renforcer l'inscription dans le temps, l'indélibilité de ces étranges assertions.

Il s'agit en fait d'épitaphes, dont la première, « L'au-delà c'est sensas », avait été inspirée à l'artiste par sa grand-mère, Baba, qui l'aurait prononcé quelques mois avant sa disparition. Cette phrase était alors devenue pour elle emblématique de son rapport à la mort. Par suite, l'artiste a imaginé que l'affirmation pouvait évoluer, en fonction du vocabulaire propre à chaque génération : le « sensas » de sa grand-mère étant particulièrement connoté « années 60 », un « au-delà c'est mortel » paraît alors plus contemporain !

Pourtant, c'est bien toujours de l'au-delà qu'il est question, et de notre éternel rapport avec cet inconnu. Pour nous, ces deux assertions, non dénuées d'humour malgré tout, encadrent, dans le parcours de l'exposition, l'entrée et la sortie d'un « cabinet de vanités », explorant, de manière concrète, la leçon, ici et maintenant, de la certitude de notre finitude et l'espoir d'un au-delà.

 

Lola B Deswarte est une artiste émergente, née à 1976, vivant et travaillant à Paris. Formée à l’Ecole Nationale des Arts décoratifs de Strasbourg en scénographie et vidéo, Lola B.Deswarte a longtemps travaillé en collaboration avec d’autres artistes. Elle étend depuis quelques années son champ d’investigation à une pratique personnelle qui lui permet de poser la question de l’imaginaire et de l’intime. De la couture à la modélisation 3D, du dessin à l’installation, du journal de voyage à la réalisation expérimentale, Lola B.Deswarte nous entraîne dans un travail réfléchissant notre rapport aux pensées magiques : réminiscences, traumas, rêves, visions et cauchemars, sont affrontés et résolus dans des formes délicates, parfois violentes, qui sont celles du secret révélé et de la mémoire dévoilée. Organisés de façon généralement sérielle, ses œuvres tournent subtilement autour des grandes questions cruciales pour l’humain, l'identité, la filiation, le temps qui passe et le devenir. De manière délicate, « rien de moins qu’une histoire tendue entre la vie et la mort»*.

 

* D'après Barbara Tannery

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 14:34
Concession à perpétuité - 4 photographies - Film N & B argentique, tirage encres pigmentaires ultrachrome – 50 x 50 cm chaque – 2012

Concession à perpétuité - 4 photographies - Film N & B argentique, tirage encres pigmentaires ultrachrome – 50 x 50 cm chaque – 2012

Thierry ARENSMA

 

Concession à perpétuité - 4 photographies - Film N & B argentique, tirage encres pigmentaires ultrachrome – 50 x 50 cm chaque – 2012

 

La série de photographies Concession à perpétuité, dont sont extraites les quatre photographies ici présentées est un work in progress que l'artiste développe depuis une quinzaine d'années, arpentant les cimetières partout en France. Si le sujet est délicat, ce n'est pas tant de la mort en tant que telle que traite ces photographies mais de la manière dont, au delà de la signification institutionnelle et collective du cimetière, nous poursuivons, chacun, un lien vivant avec la personne disparue au travers de la ritualisation du souvenir que constituent les objets funéraires, ornements, plaques, médaillons, stèles, fleurs, épitaphes...Autant de formes d'humanisation de ce lieu destiné à maintenir ce lien, et à conserver de manière plus ou moins vague l'illusion que l'on s'y « repose » (le mot « cimetière vient du grec « koimétérion » signifiant « le dortoir »). Mais tous les cimetières sont aussi des lieux d'abandon. Et comme il n'y a d' « avoir été » que dans le souvenir de ceux qui vivent encore, le souvenir lui non plus n'échappe pas au temps qui ensevelit peu à peu les vestiges du passé. « La trace du souvenir devient alors une trace du temps qui n’appartient à personne et à aucune représentation. », dit l'artiste. C'est cette double disparition, celle de ceux qui vécurent et celle là même de leur souvenir en leur dernier lieu que tente d'évoquer, avec beaucoup de délicatesse, Thierry Arensma.

 

Thierry Arensma vit et travail dans l’est parisien. Il commence sa carrière comme photographe de studio et réalise des reportages photographiques depuis 1985.

Il développe parallèlement un travail personnel autour du portrait, de la nature morte, de l’architecture. Il est connu pour ses ouvrages réalisés à la suite de ses voyages, notamment pour l'ouvrage « Instants donnés », dans lequel, un an après le Tsunami, il avait rendu hommage à des populations qu'il connaît et qu'il aime, des pêcheurs pour la plupart, rencontrés le long des côtes de Colombo et de Madras, au sud Sri Lanka et du Tamil Nadu (Inde du Sud). 

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28 novembre 2015 6 28 /11 /novembre /2015 14:29
Natures Mortes - Vase céramique, bouquet de fleurs, résines, givre et neige artificiels - 2015 -  Le temps givré - Montre à gousset, bois et glace artificielle - 2015  Courtesy l'artiste et Galerie Odile Ouizeman, Paris

Natures Mortes - Vase céramique, bouquet de fleurs, résines, givre et neige artificiels - 2015 - Le temps givré - Montre à gousset, bois et glace artificielle - 2015 Courtesy l'artiste et Galerie Odile Ouizeman, Paris

Laurent PERNOT

 

Natures Mortes - Vase céramique, bouquet de fleurs, résines, givre et neige artificiels - 2015 -

Le temps givré - Montre à gousset, bois et glace artificielle - 2015

Courtesy l'artiste et Galerie Odile Ouizeman, Paris

 

Ici, un bouquet de fleurs dans son vase, un peu désuet, comme la montre à gousset suspendue non loin...On dirait les restes d'un intérieur figé dans le temps, un temps d'avant disparu d'où subsisteraient tels des vestiges glacés, d'où rien n'aurait bougé, ces objets, pris dans un givre aussi mystérieux que fascinant, à jamais. Cette série des Natures mortes de Laurent Pernot révèle un univers à la fois rude et délicat, qui matérialise dans ses cristaux le passage du temps, interroge la mémoire et la disparition, aux frontières du réel et de l’imaginaire, du fantastique, du conte et du merveilleux. Ces œuvres, à la charge romantique, semblent appeler à une sorte de contemplation, empreintes de tous les affects liés au balancement de la vie à la mort, de la présence du quotidien à la disparition, et de quelque chose de l'ordre de la survivance, de la résistance, et de la mélancolie. Son oeuvre interroge, bien sûr, la précarité de la vie et du vivant mais s'isncrit au delà de la vanité, du côté poétique de la mélancolie et de l'évocation d'un monde fragile d'où sourd l'inquiétude et la solitude. Il ya quelque chose de Nerval ou de Verlaine dans cette œuvre (Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé - Porte le soleil noir de la Mélancolie)*

Plus encore, ces objets désormais figés dans la glace évoquent ces mots de Nietzsche, nous alertant sur la précarité du genre humain : « En quelque coin écarté de l'univers répandu dans le flamboiement d'innombrables systèmes solaires, il y eut une fois une étoile sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus arrogante et la plus mensongère de "l'histoire universelle" : mais ce ne fut qu'une minute. A peine quelques soupirs de la nature et l'étoile se congela, les animaux intelligents durent mourir. » **

 

Les œuvres de Laurent Pernot sont toujours d'intenses expériences poétiques. Nous plongeant dans un univers puissant et onirique, l'artiste y explore la vie et la mort, les replis de la mémoire, les dimensions du temps, la disparition, le visible et l'invisible. De la conception d’installations à la production d’images fixes ou en mouvement, ses projets prennent des formes multiples. « Énigmatiques et parfois spectaculaires, ses œuvres se nourrissent tout autant des recherches actuelles en anthropologie, en astrophysique ou en écologie que de références au cinéma, à la peinture et à la littérature. (...). Une méditation sur la relation entre le temps, la lumière, la mémoire. La sensibilité de Laurent Pernot, ainsi que sa maîtrise des moyens plastiques et audiovisuels nourrit ses motifs et obsessions : la nature, la nuit, les espaces stellaires, l'errance, l'angoisse. Que les références entraînent du côté de la science-fiction, du romantisme allemand ou d'Edgar Poe, perte et disparition menacent sans cesse. »***Laurent Pernot est un artiste français né en 1980 à Lons-le-Saunier.

 

* « El Desdichado » – in les Chimères, 1854- Gérard de Nerval

** F. Nietzsche, Le livre du philosophe, § 80

*** d'après un texte de Dominique Abensour

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26 novembre 2015 4 26 /11 /novembre /2015 14:23
Hands spread on knees - 3/12 - Série Self portrait- Photographie noir et blanc, tirage au chloro-bromure – 67 x 84 – 1985 – Courtesy FRAC Champagne-Ardenne – N° Inv. : F89.1 (1)

Hands spread on knees - 3/12 - Série Self portrait- Photographie noir et blanc, tirage au chloro-bromure – 67 x 84 – 1985 – Courtesy FRAC Champagne-Ardenne – N° Inv. : F89.1 (1)

John Coplans

 

Hands spread on knees - 3/12 - Série Self portrait- Photographie noir et blanc, tirage au chloro-bromure – 67 x 84 – 1985 – Courtesy FRAC Champagne-Ardenne – N° Inv. : F89.1 (1)


 

Mains fermement posées sur ses genoux, plissés sous la pression, le photographe anglais John Coplans présente son corps comme un paysage, la texture de sa peau comme une topographie. En se prenant lui-même comme modèle, il choqua, dans les années 80, par ses photographies de nudité masculine, inattendue. Pour Coplans, cette expérience particulière de l'autoportrait, sans complaisance pour l'âge et l'état de son corps, se rapporte à une sorte de "primitivisme universel", une manière d'«être en contact avec l'héritage génétique de l'humanité comme une chose intérieure, (...) une sorte d'archéologie qui transcenderait le temps et retournerait aux origines premières de l'humanité" affirme-t-il*. Ainsi s'agissait-il de penser le corps comme l'expression d'une "langue originaire", quelque chose ancré dans l'inconscient collectif, universel, primordial.

Cadrant les parties de son corps en s'inspirant, expliquera-t-il, des paysages photographiques de l'américain Carleton Watkins, dont il fut un admirateur, les photographies dépouillées de Coplans s'inscrivent aussi à la fois dans une réflexion sur la statuaire classique, et sur la vanité.

Présentant ainsi son corps vieillissant, Coplans subvertit l'auto-portrait traditionnel et la représentation du corps dans la photographie, en pointant "les principes normalisateurs de notre culture avec son culte de la beauté, son refus de la vieillesse et même de la mort.(...) Et s’il faut chercher l’origine de la troublante beauté de ses photographies, c’est bien évidemment dans leur capacité à nous parler intimement de notre condition éphémère que se trouve la réponse."**

Né à Londres en 1920, et décédé à New-York en 2003, John Coplans occupa une place très particulière dans le monde artistique de la fin du 20ème siècle. Il fut d'abord peintre, puis s'installa aux Etats-Unis en 1960, aprsè avoir vu à la Tate Gallery une exposition consacrée à l'expressionnisme abstrait, The New American Painting. Il cesse pourtant de peindre, devenant enseignant à l'Université de Berkeley, commissaire d'exposition, critique, puis cofondateur et rédacteur en chef de la célèbre revue d'art Artforum, jusqu'à la fin des années 1970. Durant les années 1960 puis 1970, il défendit avec ardeur aux États-Unis l’art conceptuel et minimal alors peu appréciés des collectionneurs. Ses textes, interviews mais aussi expositions comptent parmi les plus importants de cette époque. En 1979, sur l'influence de son ami et photographe Lee Friedlander, il commence la photographie – qu'il avait expérimenté dans les années 40, dans l'armée- , prenant de surprise le monde artistique, en choisissant pour unique thème, à partir de 1984 (il a alors 64 ans), son propre corps nu.

*Stuart Morgan, Frances Morris- Rites of Passage: Art for the End of the Century, Tate Gallery, London, 1995

**D'après Damien Sausset

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24 novembre 2015 2 24 /11 /novembre /2015 14:20
Armed forces – 18 photographies – 39 x 30 chaque, encadrée – 2010 – Courtesy l'artiste et MAMAC de Nice

Armed forces – 18 photographies – 39 x 30 chaque, encadrée – 2010 – Courtesy l'artiste et MAMAC de Nice

Alex Van Gelder

 

Armed forces – 18 photographies – 39 x 30 chaque, encadrée – 2010 – Courtesy l'artiste et MAMAC de Nice

 

I am not what I am.  I am what I do with my hands” 

Louise Bourgeois

 

Des mains, fascinantes, sur un sobre fond noir. Les mains d'une vieille dame, noueuses, ridées, vertigineusement expressives…Ce sont les mains de Louise Bourgeois, Plus qu’un pur projet de portraits, Bourgeois considérait cette collaboration avec Alex Van Gelder comme une extension de son travail. A travers cette série, elle met en avant son propre physique comme un élément de son art, se concentrant sur ses mains vues comme ses outils.

Les mains, partie du corps la plus visible immédiatement et la plus vulnérable, avec le visage, selon le philosophe Emmanuel Levinas, sont récurrentes dans le travail de Louise Bourgeois, comme en atteste la sculpure Welcoming hands, également exposée. Armed forces évoque aussi, rétrospectivement, 10AM is when you come to me, cette longue série de mains rouges dessinées. Chaque matin, à 10h, pendant trente ans, son assistant Jerry Gorovoy venait la rejoindre, mêlant la forme de ses mains à celles de Louise.

Serrées, torturées, paisibles, ses mains rappellent ses nombreux travaux, de ses formes entremêlées de Clutching, à l’écheveau des lignes de ses Insomnia Drawings et les araignées en suspend de sa série Maman. Les photographies débordent d’intimité et de chaleur, reflétant l'amitié de Van Gelder et Bourgeois et la confiance qu’elle plaça en lui pour travailler avec elle sur ce projet.

Alex Van Gelder connaissait Louise Bourgeois depuis près de vingt ans, partageant avec elle et son mari, Robert Goldwater, une passion experte pour l'art africain, quand, au début des années 2000, de passage à New-York, il lui montre les photographies qu'il était en train de réaliser. Alex Van Gelder raconte : « Elle a dit "wonderful!". À partir de là on a décidé de  travailler ensemble en la photographiant chez elle à Chelsea et naturellement elle  est devenue ma muse et nous avons créé ensemble jusqu'à la fin de sa vie. »

 

 

Alex Van Gelder, photographe hollando- franco- anglais est né en Belgique et vit à Paris. Ila vécu de nombreuses années en Afrique  et est un grand collectionnneur de la photographie africaine du 20ème siècle. Il fut également marchand d'art premier à Paris.

Il réalisa, avec Louise Bourgeois, de nombreuses photographies de l'artiste, publiés en plusieurs ouvrages. Il fut la seule personne autorisée à la photographier dans les deux dernières années de sa vie.

 

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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 14:15
29 juillet – Série «La traversée imprévue- Adénocarcinome» - Tirage argentique sur papier baryté – 50 x 60 - 2008

29 juillet – Série «La traversée imprévue- Adénocarcinome» - Tirage argentique sur papier baryté – 50 x 60 - 2008

Estelle Lagarde

 

29 juillet – Série «La traversée imprévue- Adénocarcinome» - Tirage argentique sur papier baryté – 50 x 60 - 2008

 

«La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.»

Marie François Xavier Bichat

Recherches physiologiques sur la vie et la mort, 1799

 

Etre en vie, rester en vie est une résistance. Telle est sans doute la «leçon», s'il devait y en avoir une, de La traversée imprévue, ce journal littéraire et photographique de la maladie qu'a traversée Estelle Lagarde, et dont elle livre ici une image puissante et saisissante. Passé la violence du diagnostic, malgré les peurs et les angoisses, elle décide de faire de son combat une expérience humaine et artistique: "Je ferai quelque chose de ce cancer, ce n’est pas lui qui fera quelque chose de moi. Ou plutôt si. Mais pour le mieux. Ça sera forcément pour le mieux. C’est ce que je décide."

Le 29 juillet, elle écrit :

« (…) Je me suis arrêtée sur cet extrait du livre Métastase de Laurent Schwartz*: « Les mémoires de Mme de Motteville (1664) qui retracent dans le détail l’évolution du cancer du sein de la mère de Louis XIV donnent une description assez fidèle de la manière dont la maladie était autrefois perçue : “Ayant vu des cancers à des religieuses qui en étoient mortes toutes pourries, elle (Anne d’Autriche) avoit toujours eu l’horreur de cette maladie si effroyable à sa seule imagination... Elle continoit de mettre sur son sein de cette cigüe qui paraissoit l’empirer beaucoup... Sa plaie se trouva sèche, flétrie et noire : son cancer se trouva de même en mauvais état.” Complétons ce sinistre tableau. Les premiers services de cancérologie ont été crées au XVIIe siècle, non parce que l’on avait mis au point des traitements adaptés à la maladie, mais pour isoler les cancéreux, épargnant ainsi à l’entourage l’insupportable puanteur qui émanait de leur corps pourrissant. » Charmant. Ce texte me laisse pensive. (...) Les époques se mélangent : je ne peux m’empêcher d’imaginer cette femme de la noblesse ayant perdu ses cheveux à la suite d’une chimiothérapie... »

La Traversée imprévue. Adénocarcinome a fait l’objet d’un livre paru en 2010** et, en 2014, a été adapté au théâtre.***

Estelle Lagarde, née en 1973, est diplômée d’archictecture mais s'est engagée dans la photographie depuis 1996. Ses séries réalisées à la chambre mettent en scène de manière récurrente des espaces à l'abandon, châteaux, prison, maisons promises à la démolition, qui apparaissent comme hantées de présences humaines et fantomatiques, questionnant l'histoire qui se construit, le passé, les traces du passé, physiques et mémorielles. Parfois inquiétantes mais toujours animées d'une grande poésie, ses séries viennent habiter ces lieux désertés, comme une tentative d'en ranimer le souffle, de les ramener des limbes, évaluant un certain rapport physique, brut, entre des lieux réels aujourd’hui délabrés mais encore plein de leurs anciennes fonctions -hôpital, prison- et l’aura, la mémoire, des personnes qui y vécurent et parfois, y souffrirent.«Ce n'est pas la poésie des ruines qui l’attire, mais le fait que ces endroits chargés de la présence de leurs anciens locataires constituent des sanctuaires propices à l'évocation d'êtres disparus.»**** Ainsi, Dame des Songes (2006) et Contes Sauvages (2007), évoquaient le deuil et une tentative de retour dans le monde des vivants. Dans Hôpital (2007-2008), les spectres cédaient la place à des êtres de chairs et de sang. Estelle Lagarde y révélait allégoriquement les peurs, le dénuement, l’impression d'être dépossédé de soi, que l'on ressent dans les établissements hospitaliers.

Estelle Lagarde vit et travaille à Paris.

 

* Editions Hachette Pluriel, 2001

**Editions La Cause des Livres. Préface du Dr. Dominique Gros, sénologue, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, 17 x 21 cm, 144 pages, 70 photographies en noir et blanc, 8 en couleurs, octobre 2010 - ISBN : 978-2-917336-13-

***mis en scène et interprété par Elodie Franques, présenté dans le cadre du Ruban de l'espoir dans 20 villes étapes sur toute la France

**** Luc Desbenoit pour Télérama, n° 3089

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20 novembre 2015 5 20 /11 /novembre /2015 14:11
De beaux lendemains – Projection de 100 photographies – 2010-2015

De beaux lendemains – Projection de 100 photographies – 2010-2015

Régis Figarol

 

De beaux lendemains – Projection de 100 photographies – 2010-2015

 

Dans un infini diaporama, De beaux lendemains est un projet photographique au long cours mené par Régis Figarol depuis plusieurs années. Après avoir travaillé sur la représentation du paysage en peinture,  du portrait en vidéo ou en photographie, Régis Figarol avait commencé en 2008 une réflexion sur le visage. C'est en 2010 qu’il commence ainsi la série « De beaux lendemains », work in progress dont une partie est présentée ici, et à laquelle il se consacre presque exclusivement depuis.

Cette démarche lui a été inspirée par August Sander, photographe allemand qui a produit un ensemble de portraits photographiques intitulé « Hommes du XXème siècle », livrant une typologie des allemands de la République de Weimar à travers leurs catégories socioprofessionnelles et leurs conditions sociales.

 

Dans un processus particulier de prise de vue, à la recherche de l'appréhension d'une vérité du sujet, au-delà ou en-deçà des poses et des conventions sociales, il donne à voir, de manière frontale et sans filtre des centaines de visages, hommes, femmes, enfants, de tous âges, de toutes origines, sans distinction autre que celle que l'artiste aura fait dans la rencontre qu'il aura menée en amont avec son modèle.

Il s'agit de pénétrer au cœur de cette « apparition » que constitue l’existence de l’autre comme corps, et à dire quelque chose de la « vérité » de l’autre, du mystère de l’altérité, et du visage cette « surface la plus passionnante de la terre », pour reprendre l’expression du philosophe allemand Lichtenberg. Dans la nudité vulnérable par essence du visage ainsi montré, chaque portrait ouvre à un face-à-face irréductible, un voyage toujours à la fois ordinaire et unique, qui cherche à saisir, au-delà d’une mythologie de l’authenticité et par-delà la constatation de la facticité, la présence.

Pour De beaux lendemains, la question ontologique de l’existence, au travers de la présence du visage, engage d’emblée l’œuvre dans l’expérience de la temporalité. Les clichés sont ainsi précédés, ou sont le résultat, d’une expérimentation du temps dans sa durée.

En outre, le processus de « suspension » provisoire du temps de l’action qui préside au cliché, pour le modèle comme pour le photographe, constitue la prise de risque nécessaire à l’apparition d’un visage dans ce qu’il a d’essentiel, sa nudité et sa vulnérabilité fondamentale, pour reprendre les termes chers à Emmanuel Lévinas quant à l'épiphanie que constitue l'apparition du visage de l'autre – ce visage qui dit : “tu ne peux tuer”- une porte d’entrée possible à une éthique de l’intimité.

 

Né en 1967, Régis Figarol a fait des études d'agronomie avant de rentrer à l'Ecole Nationale Supèrieure des Beaux-Arts de Paris en 1992. Il y pratique le dessin, la peinture, la photographie. Dans ses recherches, il utilise la vidéo comme la photographie, dans des projets à la lisière de l'art, de la sociologie et de la philosophie.

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18 novembre 2015 3 18 /11 /novembre /2015 19:24
"ELLE", ZEVS in New-York, De Buck Gallery

De Buck Gallery is pleased to announce an upcoming exhibition by French artist Zevs, entitled ELLE. The exhibition will be on view at the gallery from November 19 to December 19, 2015, with an opening reception to be held on November 19 from 6-8 PM, which the artist is scheduled to attend.


 

ELLE fait suite à l'exposition Traffics in icons, présentée en 2013 dans la galerie, dans laquelle Zevs réinterprétait des tableaux mythologiques de vieux maîtres, les présentant dans un accrochage serré et sous une lumière aveuglante, déconstruisant la muséographie traditionnelle. Se réappropriant l'histoire de Danae, il transfigurait la « pluie d'or » du mythe, qui, si elle peut être interprétée de multiples manières, peut, dans nos temps contemporains, se comprendre comme une métaphore sexuelle autant que comme une allégorie des rapports entre les hommes et les femmes par le prisme du pouvoir, et de l'argent. Les éclairs -éléments récurrents dans le vocabulaire de l'artiste- foudroyant le corps nu de Danae, et laissant ruisseler -« liquider »- dans la terminologie de l'artiste, symboles monétaires et logos, constituaient pour lui les élements sémiologiques d'une critique de la société de consommation contemporaine.

 

L'exposition ELLE est conçue autour d'une série de mises en abîme, de dualités et d'effets miroir qui commencent dès la vitrine de la galerie avec ce « ELLE » rouge, reprenant la typographie du célèbre magazine, qu'on ne peut cependant lire dans le bon sens que dans le renvoi d'un miroir, suggérant d'emblée la réflexion qui traverse l'exposition quant à la question de l'image et de la représentation comme reflets ou signes.

C'est aussi un clin d'oeil aux origines françaises de l'artiste, et à son attachement à la ville de New-York : le magazine Elle fut créé à Paris en 1945 par Hélène Lazareff, qui, réfugiée à New York pendant l'Occupation y travailla comme rédactrice pour Harper's Bazaar et la rubrique « Femme » du New-York Times. Inspirée par le ton de la presse américaine, elle révolutionna la presse féminine française, axant la ligne éditoriale du magazine sur les revendications féministes et la société de consommation. « Elle » est aujourd'hui un des titres phares de la presse magazine féminine, décliné dans plus de 60 pays.

ELLE, ici, convoque toute une imagerie de la femme, notamment au travers de ses représentations iconiques, de la Joconde à une ingresque odalisque, en passant par Marylin ou Brigitte Bardot. Dans la continuité d'autres travaux – comme les « Visual Attacks », par exemple- il s'agit de réfléchir – dans les deux sens du terme- le corps-objet, la soumission du corps aux impératifs du marketing, le formatage d’une image-miroir idéale, apparaissant pour Zevs comme des épiphénomènes signifiants fondamentalement liés aux exigences de l’économie mondiale.

Pour autant, dans cette exposition, le thème de l'image féminine constitue une sorte de point d'accroche, ouvrant à un questionnement plus approfondi sur le statut de l'image à l'ère de l'industrie culturelle, dont nous postulons que l'art contemporain fait bien évidemment partie.

 

Car les notions d' « original » et de « copie » tissent quelques uns des fils conducteurs essentiels de l'exposition. Elle ouvre ainsi sur deux œuvres, deux photographies de deux œuvres que Zevs a par ailleurs réalisé en peinture (« Illuminated Old Masters works »), dans un travail de réappropriation des célèbres « Grande Odalisque » d'Ingres et du « Violon d'Ingres » de Man Ray. Mises en abîme comme dans un jeu de miroir -car l'oeuvre de Man Ray est en outre inspirée de l'oeuvre d'Ingres (une baigneuse, celle, peut-être du « Bain turc »)-, Zevs va au-delà de la simple interprétation. A l'instar de Man Ray lui-même, il a choisi de présenter ici non pas la peinture elle-même, mais une photographie de la peinture, tirée cette fois sur la surface d'une couverture isothermique, jouant à la fois sur l'aspect froissé de la matière dorée et le rendu lisse et froid du plexiglas évoquant le papier glacé d'un magazine.

Ces deux œuvres se présentent donc comme des sortes d' « artefacts », des excroissances du processus créatif initial, des copies de copies dans une chaîne de « reproductions ». Zevs met ainsi lumière le processus de reproductibilité de l'oeuvre d'art, théorisé au siècle dernier par Walter Benjamin* pour qui l'imprimerie et la photographie – ainsi que le cinéma- désacralise, en la rendant reproductible « à l'infini », l'oeuvre d'art, détruisant sa dimension iconique au profit d'une diffusion de masse. Le Pop Art, auquel fait implicitement référence Zevs dans la suite de l'exposition, dans son processus de sérialisation d'artefacts entérinera cette réalité nouvelle largement intégrée dans la production contemporaine, en même temps que sa libéralisation -sa marchandisation**.

 

Zevs avait déjà détourné de sa fonction première la couverture de survie dans la série « Les tombées de la nuit », qui auscultait la condition physique de « sans domiciles fixes»...La voici ici mise au profit de l'éclat chic mais cheap, doré comme le papier froissé d'une friandise de Noël, d'icônes pop. Dans l'esprit de ses « Visual Rapes », Zevs flashe quelques uns des portraits de stars les plus reconnaissables au monde, à tel point que l'allusion suffit : une robe, une pose devenues archétypales.

L'utilisation du doré, que l'on retrouve partout dans l'exposition, renvoie avec acuité à la fonction symbolique de l'or, depuis la lumière céleste nimbant les icônes orthodoxes, reflet éternel mais tangible de la splendeur divine, l'extravagance baroque, manifestation d'un pouvoir politique émanant du religieux, jusqu'à l'ostentation narcissique du luxe contemporain.

Il offre par delà la dimension formelle une réflexion sur le statut de l'oeuvre d'art comme icône, opérant de nombreux brouillages, croisements et retournements. Là où l'icône religieuse rend visible l'invisible, en transcendant la représentation, le flash oblitérant le visage de la star rend invisible le visible. Là où la photographie rend l'image reproductible, Zevs en mime la sacralisation par cet ersatz doré. Mais dans le même temps, ces images sont réellement « icones » au sens sémiotique tel qu'il fut défini par Charles Sanders Pierce***, c'est-à-dire des signes analogiques, immédiatement lisibles (compréhensibles) et porteurs de sens.

 

L'exposition se clôt par une pièce maîtresse, une installation présentant de la manière la plus précieuse et muséale qui soit une Mona Lisa -copie du célèbre tableau de Léonard de Vinci-, parée d'une sculpture représentant un sac – un vrai-faux sac, en bronze recouvert d'or et rappelant la forme d'un sac d'une grande maison de luxe française, mais siglée aux initiales du peintre italien- auprès de laquelle est présenté, comme une relique, détail sorti du tableau, ce qui pourrait être le doigt coupé de la Joconde. « Mona Lisa Yubitsumé » a été réalisé en collaboration avec un prothésiste japonais, qui s'est spécialisé dans la reconstruction des phalanges coupés des yakuzas se soumettant à ce rituel d'automutilation expiatoire. Dans la longue histoire du Yubitsumé, il est rapporté que cette pratique avait également cours dans d'autres corps sociaux, notamment chez les prostituées, se mutilant le petit doigt en signe de dévotion à leur proxénète. Par croisement historique, cette hypothèse rejoint celle que Daniel Arasse**** développe à propos de l'absence de cils et de sourcils du visage de Mona Lisa, participant à son étrangeté. Selon lui, et ceci aurait été confirmé par une analyse spectographique en 2004, les sourcils et les cils de Mona Lisa auraient été effacés vers le milieu du 16ème siècle par un inconnu, car les femmes de la bonne société avaient adopté à cette époque la pratique des prostituées des décennies précédentes et s’épilaient désormais le visage.

 

Voici l'une des représentations d'un visage féminin les plus célèbres au monde, l'objet d'art le plus visité au monde : il n'y a pas au monde d' « icône » féminine plus connue et comme les vraies icônes, ce n'est pas vous qui la regardez mais elle qui vous regarde.

Renforcée par une scénographie épurée, pouvant contraster avec le traitement apparemment fastueux des icones pop, cette Mona Lisa, rare, bien que « fausse », et la sculpture de ce sac « faux » bien que vrai, semble comme une tentative de « restaurer l'aura » que, toujours selon Walter Benjamin, la plupart des œuvres contemporaines ont perdu.

La présence de cette œuvre énigmatique se joue également comme une manière de revenir à « Elle », l'évocation, nourrie d'une pointe d'ironie peut-être, de cet « éternel féminin », que Goethe, ainsi à la fin de son Faust, pensait salvateur. En attendant, « elle » s'est offert un sac à main, rutilant d'or...

 


 

* Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dernière version 1939, in « Œuvres III », Paris, Gallimard, 2000.

** cf Theodor W. Adorno/ Max Horkheimer – La dialectique de la raison, 1947 – Ed. Tel Gallimard

***Writings of Charles S. Pierce: A Chronological Edition. Bloomington, Indiana U. P., 1982-1989

****Daniel Arasse - Histoires de Peintures, 2004 – Ed. Denoël (rééd. Folio-poche 2006)

"ELLE", ZEVS in New-York, De Buck Gallery
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18 novembre 2015 3 18 /11 /novembre /2015 14:07
A bitter sweet symphony - The Verve / Série Au troisième jour- Saint Suaires- Robe coton, feutre, stylo gel - 130 x 70 – 2012  Superstition / Stevie Wonder – Série Au troisième jour - Saints Suaires - Stylo encre sur gants cuir - 25 x 25 env. - 2013  Walk this way / Aerosmith – Série Au troisième jour - Saints Suaires - Stylo encre sur gants cuir - 25 x 25 env. - 2013

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Christophe Lambert

A bitter sweet symphony - The Verve / Série Au troisième jour- Saint Suaires- Robe coton, feutre, stylo gel - 130 x 70 – 2012

Superstition / Stevie Wonder – Série Au troisième jour - Saints Suaires - Stylo encre sur gants cuir - 25 x 25 env. - 2013

Walk this way / Aerosmith – Série Au troisième jour - Saints Suaires - Stylo encre sur gants cuir - 25 x 25 env. - 2013

 

Les Saints suaires exposés ici font partie d’un triptyque, Au troisième jour, qui, entre la mort et la résurrection, s’attache à célébrer la sainte dimension de l’amour. Référence délibérée aux fameuses reliques iconiques et dans un esprit iconoclaste, ces œuvres ont moins à voir avec quelque figure christique qu’avec une exploration in et ex corpus du souvenir de femmes aimées. Christophe Lambert revisite ainsi de son stylo parfois rehaussés d’encres le corps désormais absent d'une femme et reconstruit comme en un rébus quelque fragment de son histoire.

C'est donc une histoire d’amour qui se dessine, sur la peau délicate des longs gants de cuir, sur la robe blanche empreinte des formes de celle qui la porta jadis, contre, tout contre la peau, surface aimante que l’artiste n’effleurera plus. De la même manière que le « saint suaire » porte la marque, le dessin, du corps divin évanoui, il entend ainsi transcender le corps féminin comme médium sacralisé de l’amour. Y a t il tant de différence entre l’amour du corps du Christ et celui du corps d’une femme si tout amour est bien, pour reprendre le mot de Baudelaire, « aspiration vers l’infini»?

Capturant les contours de la femme sous/sur la robe, il exprime le véritable sens de ce «suaire», destination finale et véritablement linceul de ses amours défuntes, et fixe pour toujours les traces –les preuves- que l’amour eut lieu, fort de cette « conviction amoureuse quasi religieuse [que ce] qui nous animait n'a pas été un leurre.»*

Se sur-imprime à la silhouette, sur le tissu de la robe, une sorte de «cartographie» anatomique et fantaisiste, empruntant à l’esthétique du tatouage contemporain, «foisonnant d’os, d’entrailles, de veines et de lianes...»,produisant ainsi une sorte d’inversion du visible, un envers des choses radiographique. Ce rapport entre le dedans et le dehors, le visible et l’invisible, cette inclination pour le mystère du «sous la peau» se trouve récurrent dans le travail de Christophe Lambert, exprimant une volonté de pénétrer dans une intimité qu’il sait pourtant inatteignable, malgré l’amour.

Ainsi, ces représentations d’os et de squelettes, dans les sinuosités de son dessin, ne se réèrent-elles pas à la Vanité. Elles s’enracinent plutôt dans l’inquiétude pour l’être aimé qui est un corps, avec sa fragilité, sa finitude, son intimité organique. L’amour total, et sublime, y compris dans sa trivialité. Hilda dira à Goetz: «Je t'ai soigné, lavé, j'ai connu l'odeur de ta fièvre. Ai-je cessé de t'aimer? Chaque jour tu ressembles un peu plus au cadavre que tu seras et je t'aime toujours. Si tu meurs, je me coucherai contre toi et je resterai jusqu'à la fin, sans manger ni boire, tu pourriras entre mes bras et je t'aimerai charogne: car l'on n'aime rien si l'on n'aime pas tout.»**

Il y a peut-être, quelque chose de suranné à parler ainsi d’amour, et d’impudique à livrer ainsi le récit de ses ruptures sentimentales. L’ostension de ces suaires, c’est un peu«le soulagement de mon propre cœur qui se berçait de ses propres sanglots» de Lamartine***, un acte cathartique.

 

Né au lendemain de Mai 68, Christophe Lambert vit et travaille à Paris.

 

*Entretien avec Solange Maulini, journaliste

**J.-P. Sartre- Le Diable et le Bon Dieu, Paris, Gallimard, 1972, p. 225

***Alphonse de Lamartine – Méditations poétiques, 1820

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