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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 10:13

A l'occasion de l'exposition de Majida Khattari à la galerie Atelier 21, à Casablanca, Maroc, un catalogue a été publié.

 

Expo-20khattari-201000.jpg

 

En 2010, Majida Khattari présentait « Orientalismes », série photographique, à la Galerie L’Atelier 21. Elle y revient aujourd’hui, avec une nouvelle proposition, une nouvelle invitation au voyage, sous le titre baudelairien mais détourné de « Luxe, désordre et volupté ».

 

D’emblée, les photographies de Majida Khattari apparaissent comme éminemment picturales. Tandis qu’aujourd’hui de nombreux peintres font usage de la photographie comme outil préparatoire à la représentation peinte, ce pendant que d’autres artistes s’emploient à saisir par l’objectif une forme de la réalité que la peinture ne saurait rendre, Majida Khattari s’attache à créer ici une œuvre photographique qui ne cherche pas à se substituer à la peinture, mais qui s’inscrirait plutôt dans une sorte de continuité, dans une différence de processus engendrant néanmoins un rendu volontairement pictural.

D’une certaine manière, ces photographies, dans la richesse de leur composition, offrent à la fois l’effet de surréel propre à la précision photographique et cette possibilité contemplative spécifique à la peinture. Captant ainsi le regard, elles induisent très certainement une identification entre les images qu’elles donnent à voir et les référents de l’Histoire de l’Art, renvoyant à notre mémoire iconographique, créant une sorte d’immédiate proximité.

Ce parti pris pictural n’implique pourtant pas l’intention de « pastiche », de peinture au second degré, ou d’artefact, car il ne s’agit pour Majida Khattari ni de rivaliser avec la peinture, ni de tromper l’œil, ni de simuler le réel. Les images qu’elle produit ne sont guère manipulées, elle n’use pas de techniques numériques ou de photomontage. Il s’agit bien plutôt de composer les conditions d’une photographie de la même manière qu’un peintre préparerait dans son atelier les conditions de sa représentation d’une scène picturale.

En ce sens, le travail de Majida Khattari relève d’une véritable performance, tant la mise en œuvre technique et scénographique de telles photographies requiert un très long et très minutieux travail de recherche et de mise en scène, proche de celui d’un Jeff Wall par exemple.

Si, dans cet entre-deux photographique et pictural, se pose nécessairement la question du rapport au réel, de la vraisemblance picturale, de la manière dont l’iconographie classique s’intègre dans le champ d’un réel contemporain, l’essentiel du  propos de Majida Khattari ne se réduit cependant pas à ce choix formel, qui est pour elle, plus que tout autre chose, hommage passionné à l’histoire de l’art, hommage qu’elle poursuit depuis de nombreuses années, et qui prend ici clairement une dimension allégorique, moyen et vecteur d’un exercice critique.

 

Avec la série « Luxe, désordre et volupté », Majida Khattari poursuit donc  son exploration de l’Histoire de l’Art occidental. En appelant subtilement à l’Ophélie préraphaélite de Millais autant qu’aux ingresques Odalisques, à la sensualité des modèles de Boucher ou Gérôme autant qu’à Delacroix, Manet ou encore Goya, elle continue dans le même temps d’interroger l’iconographie du corps féminin dans l’histoire de la peinture, la représentation féminine restant, comme en attestent les défilés-performances qu’elle produit régulièrement, une de ses préoccupations récurrentes.

 

Comme elle l’avait fait déjà en 2010, la plupart de ses photographies convoque l’Orientalisme, ce vaste mouvement artistique dont on perçoit les prémices dès la fin de la Renaissance et qui trouve sa forme la plus connue chez les peintres français du 19ème et du début du 20ème siècle.

Cette fascination occidentale pour l’exotisme supposé de ces contrées nouvelles et lointaines, pour le fantasme de sensualité débridée qu’il distille -images de harems peuplés d’odalisques lascives, atmosphères d’oisiveté hédoniste…-, et dans une moindre mesure pour le mystère du désert et la violence sublimée du tyran…excitent les imaginaires romantiques et le « sentiment antique », pour reprendre le mot de Delacroix, des peintres, des poètes et des écrivains.

Un Orient fantasmé, rêvé et fantaisiste, sans doute... Une vision de l’Orient plus tard analysée et déconstruite par Edward Saïd. « L’Orient », écrivait-il, «  a presque été une invention de l’Europe depuis l’Antiquité, lieu de fantaisie, plein d’êtres exotiques, de souvenirs et de paysages obsédants, d’expériences extraordinaires »*. Majida Khattari partage à sa manière la relecture politique de l’orientalisme que fit Saïd, vu comme construction d’une identité-repoussoir, d’une figure de l’altérité « menaçante, exotique, barbare, primitive et soumise »* à la fois -ou selon les époques-, modèle inversé de la culture européenne qui s’est, affirme encore Saïd, « renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même, inférieure et refoulée. »*

Car le « post-orientalisme » des photographies de Majida Khattari ne relève ni de la citation picturale ou de l’exercice de style, ni encore moins d’une étrange nostalgie folklorique. Il s’agirait bien plutôt d’une tentative de retournement du regard occidental sur l’Orient : hier fascination romantique pour la « splendeur orientale » et ses promesses de volupté, pour reprendre le mot de Baudelaire, il se nourrit aujourd’hui d’un fantasme de violence et se fait hâtif synonyme de danger extrémiste, de guerre et de terreur. Ici, imposant une autre vision, critique, Majida Khattari fait se renvoyer les préjugés occidentaux sur l’Orient en en mettant en lumière les paradoxes historiques.

 

Luxe des étoffes, soies damassées et organzas, matières précieuses, raffinement des motifs floraux et des dentelles, extrême souci du détail et de la mise en scène, volupté  de jeunes femmes alanguies dans des intérieurs somptueux et baroques, dont on devine les corps drapés, enfouis sous les robes et les voiles, atmosphère d’élégance et douce sensualité…A peine distingue-t-on les visages, comme une mise à distance, un flou posé sur les identités, juste suggérées. Evitant ainsi toute frontalité, l’image se présente davantage comme un appel à l’imaginaire que comme une réalité recréée, comme un accès possible à l’universalité de l’altérité plus que comme une galerie de portraits.

Car c’est aussi et surtout à la beauté que rend hommage Majida Khattari, autant à celle des femmes qu’à celle que l’art peut produire, dimension esthétique que l’artiste revendique ici comme valeur possible de l’art contemporain. La beauté objective des images est un choix délibéré et assumé. Cela pourrait paraître surprenant, de la part d’une artiste reconnue pour son souci du politique et pour qui le processus discursif pourrait l’emporter sur l’harmonie visible. Et puis, depuis l’avènement duchampien, on sait combien les catégories du beau et du laid sont obsolètes et comme l’universalité du beau telle que la concevait Kant a perdu de son sens. La subjectivité esthétique,  la relativité du goût ou de l’interêt l’emportant, le beau, dit-on souvent à propos de la production plastique contemporaine, s’est réduit à un caractère annexe, un accident, une éventuelle plus-value de l’œuvre, un cosmétique. On connaît en outre la méfiance induite pour la séduction de la forme, le plaisir esthétique que pourrait provoquer une « belle œuvre », soupçonnée de détourner l’observateur du sens et du discours, appauvrissant les enjeux par trop de flatterie des sens. Une telle œuvre, qu’on qualifiera volontiers d’ « esthétisante », est immédiatement suspecte quant à la profondeur de ses intentions.

Or Majida Khattari, par ce choix délibéré du beau, que l’on retrouve par ailleurs de manière très évidente dans ses installations, en fait un enjeu essentiel, un piège visuel en même temps qu’une arme discursive. La beauté formelle de ses images est une stratégie, une double stratégie même, par laquelle elle met en abîme critique la séduction de la belle image et la vanité qui en émane.

 

On se doute alors que dans les œuvres de Majida Khattari, tout ne peut être « ordre et beauté », pour filer la métaphore baudelairienne. Dans la tradition romantique, mais activée par l’état actuel du monde, Majida Khattari semble suggérer l’idée d’un luxe vaniteux, d’une fissure enfouie au coeur la belle harmonie des apparences, et le motif floral qui parcourre les images pourrait être celui de fleurs maladives.

Le propos, on l’aura compris, n’est pas celui de la beauté maléfique de la femme fatale, de Pandore, d’Hélène, ou de Salomé, de cette beauté redoutable dont userait la femme corruptrice comme d’un piège maléfique, « référentiel séculaire » de l’imagerie féminine, pour reprendre le mot de Gilles Lipovestsky**, hantant les imaginaires.

Mais de manière plus universelle, et contemporaine aussi, il s’agit d’une métaphore d’un monde dans lequel l’amour-propre***, cette passion que Rousseau déjà envisageait comme cause de la barbarie civile au bord de laquelle nous nous tenons aujourd’hui, et la séduction (manière esthétique de parler du pouvoir et de la domination) l’emportent sur toute moralité des intentions.

Sous la beauté le désordre du monde, le désenchantement, la perpétuelle menace d’implosion, une promesse de chaos à venir, des libertés qui se conquièrent dans la douleur.

A l’instar du tableau de Delacroix, « La mort de Sardanapale », parangon de la tyrannie de la jouissance, et dont s’inspire librement Majida Khattari pour évoquer la chute, on serait tenté de penser que la chute des idéaux, comme d’ailleurs la résurgence de certaines idéologies totalitaires, est indéfectiblement liée à l’idée qu’un individualisme sans bride exige que rien ne survive à son propre plaisir ni à ses propres lois.

Une possibilité, un risque imminent, un danger, qui n’épargne évidemment pas le monde d’aujourd’hui.

 

*Edward Saïd - L’orientalisme – L’Orient créé par l’Occident – 1978

**Gilles Lipovestski – La troisième femme – 1995

***Jean-Jacques Rousseau – Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes – 1755 : « L’amour propre, ce sentiment relatif, factice, et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu’ils se font mutuellement ». Mais aussi : L’Emile- Livre IV – 1762 : « L'amour-propre, qui se compare, n'est jamais content et ne saurait l'être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible. Voilà comment (…) les passions haineuses et irascibles naissent de l'amour-propre. »

 

 

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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 22:32

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EXPOSITION « LUXE, DESORDRE et VOLUPTE »

MAJIDA KHATTARI

Galerie L’Atelier 21, Casablanca, MAROC

A partir du 26 février 2013

 

En 2010, Majida Khattari présentait « Orientalismes », série photographique, à la Galerie L’Atelier 21, à Casablanca (Maroc). Elle y revient aujourd’hui, avec une nouvelle proposition, une nouvelle invitation au voyage, sous le titre baudelairien mais détourné de « Luxe, désordre et volupté ».

 

Avec ces photographies éminemment picturales, Majida Khattari poursuit son exploration passionnée de l’Histoire de l’Art occidental. Si la référence à la peinture orientaliste y est une évidence, l’artiste en appelle subtilement à l’Ophélie préraphaélite de Millais autant qu’aux ingresques Odalisques, à la sensualité de Boucher ou Gérôme autant qu’à Delacroix, Manet ou encore Goya.

 

Pour autant, ce « post-orientalisme » ne relève pas seulement de la citation, de l’exercice de style, et encore moins d’une nostalgie folklorique. Il s’agirait bien plutôt d’une tentative de retournement du regard occidental sur l’Orient : hier fascination romantique pour la « splendeur orientale » et ses promesses de volupté, pour reprendre le mot de Baudelaire, il se nourrit aujourd’hui d’un fantasme de violence et se fait hâtif synonyme de danger extrémiste, de guerre et de terreur. Ici, imposant une autre vision, Majida Khattari fait se renvoyer les préjugés occidentaux en en mettant en lumière les paradoxes historiques.

 

Luxe des étoffes, soies damassées et organzas, matières précieuses, raffinement des motifs floraux et des dentelles, extrême souci du détail et de la mise en scène de jeunes femmes alanguies dans des intérieurs somptueux et baroques, dont on devine les corps drapés, enfouis sous les robes et les voiles, à peine les visages, comme une mise à distance, un flou posé sur les identités, faisant davantage appel à l’imaginaire que réalité recréée… : c’est aussi et surtout à la beauté que rend hommage Majida Khattari, autant à celle des femmes qu’à celle que l’art peut produire, dimension esthétique que l’artiste revendique ici comme valeur possible de l’art contemporain.

 

Mais tout n’est-il qu’« ordre et beauté », pour filer la métaphore baudelairienne? Dans la tradition romantique, mais activée par l’état actuel du monde, Majida Khattari semble suggérer l’idée d’un luxe vaniteux, d’une fissure enfouie au coeur la belle harmonie des apparences, et le motif floral qui parcourre les images pourrait être celui de fleurs maladives. Le propos n’est pas celui de la beauté maléfique de la femme fatale, de Pandore, d’Hélène, ou Salomé, mais métaphore d’un monde dans lequel l’amour-propre et la séduction l’emportent sur les intentions. Sous la beauté le désordre du monde, le désenchantement, la perpétuelle menace d’implosion, une promesse de chaos à venir. A l’instar du tableau de Delacroix, « La mort de Sardanapale », parangon de la tyrannie de la jouissance, et dont s’inspire librement Majida Khattari pour évoquer la chute, on serait tenté de penser que la chute des idéaux est indéfectiblement liée à l’idée qu’un individualisme sans bride exige que rien ne survive à son propre plaisir. Une possibilité qui n’épargne évidemment pas le monde d’aujourd’hui.

 

 

"Luxe, désordre et volupté" - Majida Khattari

A partir du 26 février 2013

Galerie Atelier 21

21 rue Abou Mahassine Arrouyani

Casablanca

20100 MAROC

www.atelier21.ma

 

Un catalogue, préfacé par un texte que j'ai signé, sera publié à l'occasion de cette exposition.

 

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15 novembre 2012 4 15 /11 /novembre /2012 09:05

Cela faisait plusieurs années que Vincent Creuzeau n'était pas sorti de son atelier pour accrocher ses oeuvres aux cimaises d'un lieu d'exposition. Voici la chose réparée.

L'exposition aura lieu du 17 au 24 novembre 2012, à La Blanchisserie, 24, rue d'Aguesseau, à Boulogne Billancourt (Metro Jeau Jaurès-Ligne 10), une ancienne blanchisserie, donc, au cachet évoquant les ateliers d'artiste d'antan.

 

atelier-vincent.JPG

 

A l'occasion de cette exposition, un catalogue bilingue frnaçais-allemand est publié, dont j'ai rédigé la préface, que voici:

 

 

« Peindre n'est pas une activité désuète »

Gerhard Richter

 

 

L’exposition des œuvres de Vincent Creuzeau qu’accompagne cet ouvrage ne se présente pas comme une « rétrospective », en cette manière classique d’explorer au fil de la chronologie les différents travaux de l’artiste marquant ses évolutions et ses revirements.

Pourtant, Vincent Creuzeau peint et expose ses œuvres depuis plus de trois décennies et puis, au mitan des années 90, ses paysages abstraits furent l’objet de plusieurs expositions.

On serait alors tenté d’en déduire aujourd’hui que tout est parti de là, du paysage, pour remonter ensuite dans des sphères plus abstraites, comme s’il avait fallu, avec le temps, épurer et épurer encore, se débarrasser de l’anecdote, pour ne retenir que l’essentiel et dépasser l’indépassable, franchir et s’affranchir de la ligne d’horizon.

Cette ligne par laquelle le peintre commençait le tableau, placée au deux tiers de la toile, horizon imprécis mais suffisant pour que, les couleurs s’organisant, denses et épaisses déjà, de part et d’autre, ciels et terres se donnent à nos regards. Il fallut de nombreuses années, confie l’artiste, pour que cette ligne d’horizon s’estompe, faisant disparaître du même coup la reconnaissance immédiate du paysage, pour que, libérée de la représentation, même minimale -une ligne qui suffit à dire « paysage » – la toile ouvre à d’autres espaces, et d’autres temps, plus infinis encore.

Pourtant, les techniques et procédés utilisés par Vincent Creuzeau depuis de nombreuses années constituaient de solides indices pour saisir ce qui le motive depuis toujours. On développera cela pas à pas.

D’abord, un lent et résistant travail de recouvrement par couches successives de peinture à l’huile, matériau de patience par excellence qui exige, plus que tout autre technique, un « temps du faire ». Il faut que l’huile sèche, que le tableau prenne corps, dans ses empâtements, jour après jour…

La question de savoir si il est « contemporain » ou non de peindre à l’huile ne se pose pas ici: c’est un choix, un rapport au monde. C’est aussi, peut-être, une forme de repli, ce qui ne signifie ni passéisme, ni volonté de se confire dans l’histoire de l’art, même si, de toute évidence, Vincent Creuzeau aime la peinture, son histoire et ses représentants, comme en atteste, par exemple, quelques œuvres,  hommages à peine dissimulés aux merveilleux Nymphéas de Monet et à ce que la peinture de Monet a pu apporter de fondamental à l’art abstrait.

Peindre à l’huile est une attitude, une manière de se poser dans ce monde, d’imposer la pause et le recul, une sagesse presque.

A la façon d’Eugène Leroy, dont la filiation tutélaire avec le travail de Creuzeau est tentante, des mois, voire des années, sont parfois nécessaires pour « finir » une œuvre, y revenant sans cesse, un jour ou l’autre, pour ajouter une couche encore, ou la dernière…

Vincent Creuzeau est, si l’on veut, un « matiériste », à sa manière, attaché à la lente maturation de son œuvre, soucieux d’ « apprendre » à habiter l’espace de la toile de sa matière picturale, sédimentée dans ses stratifications colorées, strates parfois invisibles sous celles qui les ont recouvertes, parfois affleurant dans les transparences … Et si les couleurs adviennent en montée chromatique au travers des couches d’huile, point ici de sfumato ou autre délicatesse. Il y a résolument une présence terrienne dans la peinture de Creuzeau, une subsistance, sans doute,  de son goût pour les matières vivantes du paysage, terre, ciel, eau…

 

La densité et le poids des matières superposées forment une croûte consistante sur la toile, suggérant la rugosité d’une peau épaisse, ou une géologie presque volcanique, lourd tapis de cendres en concrétion, colorées mais à la vivacité apaisée, assourdie, comme s’il fallait contourner la séduction immédiate des couleurs trop vives, indice encore d’une aspiration autre.*

Malgré le volume texturel ainsi donné, la démarche de Creuzeau ne s’inscrit pas dans une recherche de débordement sculptural, dans une notion de peinture-sculpture ou d’objet. Il est peintre avant tout, peintre absolument, bel et bien engagé dans le plan unique du tableau et de ses épaisseurs enfouies, dans des dimensions in fine moins spatiales que temporelles d’oubli, de retour, d’irréversibilité…Son travail ressort d’une sorte d’archéologie, peut-être serions-nous tentés de lire ses tableaux comme des palimpsestes contemporains, nous invitant à en élucider le mystère et l’histoire. Mais, dans le silence de ce face à face, le spectateur aux prises avec l’image qui se dresse devant lui, corps à corps dans lequel rien n’est donné ni aucune effraction possible, l’opacité de la surface peinte se fait miroir, les chuchotements fictionnels se sont tus : restent la vibration, les émotions, la vie de l’esprit.

 

En quête, avec toute l’obstination qu’un peintre dévoué à son art peut nourrir, de ce « presque rien », pour reprendre l’expression de Jankélévitch, qui sépare le pressentiment – plutôt que « l’image mentale »**- de l’œuvre, Vincent Creuzeau aura choisi d’évacuer le motif, concentrant son geste sur la matière et la couleur. Alors…Vincent Creuzeau pense à Bonnard, à ces tableaux de Bonnard d’où s’échappe la lumière et par-dessus tout, impression essentielle pour lui, la « vibration ». Cette vibration qui rend la peinture vivante, cette vibration comme une petite musique, presque imperceptible aux oreilles –aux yeux- trop impatients -. Il guette, peinture après peinture, le moment où s’élucidera l’énigme, où la « magie »** de la vision opèrera, où se rencontreront une forme, un support coloré et un œil, une sensation donc, puis un œil et un esprit, le moment, enfin, où profondeurs et épaisseurs deviendront profondeurs et épaisseurs vécues.

 

Le travail de Creuzeau est peut-être autant de l’ordre du rituel que de la gestuelle, habité d’une métaphysique de la peinture au-delà du fait du geste…

Tout dans son œuvre, et dans son attitude en tant que peintre, concourt à cet sorte d’éloge –« désuet ? » dénierait Richter, « obsolète », diraient les économistes-  de la lenteur, de la patience, de l’oubli et du retour, du temps (p)réservé à la pensée et à la méditation, de l’usage de la contemplation. Un parti-pris risqué en nos temps qui font de la frénésie et de la précipitation des vertus.

Il faudra faire l’effort de se délester de tout empressement, pour regarder ensemble puis séparément, avec attention et sans hâte, les peintures, dont la sérialité itérative participe, pour peu qu’on s’y prête, d’une mise en condition méditative.

Depuis ses quasi-monochromes des années 2000 jusqu’à ses œuvres les plus récentes, plus contrastées, seul le temps peut permettre de saisir comment Creuzeau remonte à la surface visible la « doublure invisible (…) qu’il rend présent comme une certaine absence »**.

Le temps de voir.

Mais plus encore, seul le temps, gagné ou perdu, à regarder un de ses tableaux libèrera notre perception du temps et de l’espace présents, temporalité atemporelle, absents à nous-mêmes dans cette épochè provisoire que constitue le moment de la contemplation. « Arriver à une espèce d'absence pour que la peinture soit totalement elle-même.» (Eugène Leroy)

 

Une peinture comme un oxymore : forte et sereine dans sa présence, mais toujours incertaine, dans la quiétude intranquille de celui qui poursuit sa quête malgré la certitude du chemin déjà sûrement accompli. Car Vincent Creuzeau sait combien le sentiment de la nécessaire incomplétude constitue le moteur de la création et que la résolution de cet oxymore – visible invisible, réel possible, absence présente…- dans une totalité – fût-elle « seulement » esthétique- ne sera jamais atteinte.

 

 

*On trouvera cependant dans ses petits formats des tentatives chromatiques plus radicales. Les œuvres de petit format occupent chez Vincent Creuzeau une place importante. Elles ne sont pas à interpréter comme des « essais » ou l’équivalent de « dessins préparatoires » mais font partie intégrante de son processus pictural. Cependant, dans ses tableaux grand format les plus récents, on assiste finalement à des montées colorées plus vives. Ici, les tableaux semblent comme des « murs », dont la verticalité ne serait possible que retenue par les épaisseurs de peinture, dans une matière picturale puissante, presque purulente.

**Maurice Merleau-Ponty - L’œil et l’esprit, 1960 – Ed.Folio Essais, 1985

 

"Vincent Creuzeau, peintre absolument"

DU 17 au 24 novembre 2012, de 14h à 19h tous les jours

La Blanchisserie - 24 rue d'Aguesseau - 92100 Boulogne-Billancourt

01 41 31 31 41

 

"Vincent Creuzeau, peintre absolument" - Catalogue bilingue français-allemand, avec des textes de Marie Deparis-Yafil et Stéphane Boulin - N° ISBN:

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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 23:10

A la fin de l'année 2011, deux textes ont été publiés en préface de catalogues.

Un texte pour ZEVS, en préface de son catalogue monographique publié par la De Buck Gallery, New-York, dont je remets le texte, en anglais, ici.

Et un texte pour Emmanuelle Leblanc, en préface du catalogue de son exposition à la Galerie KH15, Berlin, sous le titre "A melancholy for the here and now", et que je republie ici, en français.

 

 

ZEVS

 

 

From the sidewalks of the cities to the walls of art galleries, Zevs reacts to the city signs and to the codes of consumerism. His work deals with the public area as well as with what art represents and the relation between art and the consumer society. Zevs was only twelve years old when he started making graffiti on the walls of his neighbourhood.

He first sprayed his name on the walls, as if he was marking his territory. Then there was a reaction to the advertising saturation, perceived as coercive.. All this finally opened to a reflection about what living in cities nowadays is like. Little by little, he sketched out a really original graphic, plastic and semantic language. Today, Zevs is widely contributing to the recognition of street art as an essential form of contemporary art. Even though just a little bit older then 30, he was able to find his place in European galleries, but he still goes on working in the street. The street, as Daniel Buren said in the 60s, remains his real studio. 

 

Zevs, like many French graffiti artists, inherited the hip-hop and graffiti culture from when it emerged in New York during the 70’s, until it was exported to the European capitals in the 80’s. But there is no doubt that he has been part of this New Wave of artists who have come from the graffiti universe, who knew how to  synthesize differents genres. At the crossroads of  street art and underground art, his work also deals with the pop culture, the cinema, anti-authority culture, painting and Art History. 

He is also a part of  the interest that the French had for graffiti as a ephemeral form of art brut, long before the first writers in the New Yorker subway. In 1960, Brassaï, a French photographer of Hungarian descent, published a book called “Graffiti”, in which Picasso took part. And when at the end of the 90s, Zevs ironically wrote in “Proper Graffiti” – a technique he forged, consisting in using a high pressure water blast that removes the grime on the wall for writing clean- “I mustn’t dirty the walls of my town”, this is evocative of  the militant graffitis that appeared  in  May 1968, on the walls of Paris, such as “It’s forbidden to forbid”. Seen as an “an urban guerilla artisan ”, Zevs, through his interventions, preaches a critical, structured and tough activism.

 

The first thing that gets our attention in Zevs’s work is of course the way he plays with the street art codes to appropriate the city walls, it's vocabularies, its logos, it's architecture and it's street fittings. He perpetuate them, reveals their flaws and finally leaves his trace. But Zevs’s statement is transversal. It unfolds between several subjects and several territories: those of communication and advertisement in itself, that he turns inside out and perverts the codes, such as in the “Visual Attacks”, in 2000 or in the “Liquidated Logos”, now; those of the theater, the happenings and the performances; those of the art video at the edge of the documentary film; and finally those of the cinema, between blockbusters and experimental movies.

 

It all began like a teen movie. An alternative teen movie. From the window of his bedroom, the teenager saw some graffiti artists writing on the fences of a wasteland. At twelve years old, the kid, who wasn’t  Zevs yet, was making graffitis on his way to school, on the walls of his neighborhood. When he was arrested for the first time, the Parisian police treated him like a real little criminal, keeping him a few hours in the police station. He still remembers that. Subsequently he was arrested a dozen times, until he decides not to get caught again. But, all these misadventures gave him the taste for  a kind of cat and mouse game with the police, but an aesthetic one. The police aesthetics, the thriller or film noir codes, with their crimes and their serial killers, became something like a gimmick and this started to be a sign of his presence.

Zevs-the-outlaw commits artistic offences, and the street becomes the wider scene of the crime.

 

The crime scene: a street, at night.

The weapons of the crime: some white road paint, a brush.

The crime: At nightfall, Zevs went hunting in the city. At the end of the 90s, Paris was “overpainted” with graffiti. Zevs tried to find other surfaces than walls to leave his trace. He embarked on a quest to find another place in town. Finally he chose the most unnoticed place in the city. He started capturing the shadows of the town, by outlining the ghostly presence of the Parisian architecture and of the street fittings under the street lights. These “Electric Shadows” (1998-2001) perpetuated what already existed: the traffic lights, the monuments, the bridges and even sometimes the passers-by. These bright white lines on the asphalt show their potential unseen presence to people's eyes. When he revealed this invisible mirror image of the street, Zevs, the so-called “Shadow Flasher”, opened up some new territories and captured a slice of the evanescence of the city. In the daylight, these white shapes meant nothing. It was a kind of graphic and furtive poetic. Sometimes, his Shadows were political ways to talk about the contemporary urban reality. One night in New York, he caught the shadow of a sleeping homeless person, a shadow among the shadows. At other times, a kind of impressionism, a cinematographic way to catch the night time urban atmosphere which could recall unsorted images of films from Cassavetes, Scorsese, Jarmusch or from French thrillers.

When he was working on his Shadows, Zevs used to close the area with a plastic tape like the police : “Crime Scene- Do not cross” becoming an “Art Crime Scene – Do not cross”. As strange it may seem, few people, nor even the police, found this unusual.

When Zevs finished his work by taking photos of it, it was of course to keep traces before the clean-up crews would get rid of it. But he also thought about Weegee the Famous, this photographer who was shooting  bloody crime scenes....Art crime is his business...

 

Zevs likes to play with the cinematographic codes, and there is nothing more photogenic and more cinematographic than a city at night. For him, the city is not only a support, a playground, but also a full character, a protagonist in the story that he is writing.

Like in a film noir, the city at night is an atmospheric backdrop, which is a recurrent preoccupation for the artist. Zevs’s work constantly deals with shade and the light, the day and the night, the visible and the invisible. As a criminal would leave some clues in his flight, he leaves behind him in his night wanderings more or less discernible traces, which are revealed.

Night disclosure in the black light for his « Invisible Graffiti »- For three years, Zevs has tried out this special kind of graffiti made with fluorescent paint that can only be seen under black light, artificial or UV-filtered light. He outlines the cracks and the rifts on the building walls, uncovers the scars of the town, and streaks the architecture with electric lightenings. He performs large-scaled “Invisible Graffiti”, such as on the façade of the Glyptotek Museum in Copenhagen.

 

But there were some times when the clues were bloodier. One night in 2001, Zevs changed into a serial killer, a serial ad-killer. He started to shoot methodically and equally men and women, provided that they were handsome, unlined and dehumanized by the magic Photoshop. A red splash sprayed right between the eyes of the models on the commercials, with dribbles of blood-red paint dripping on their faces. The sabotage is efficient. The “Visual Attacks” are frontal attacks against the omnipresence of advertising in the urban landscape as well as a manner to mark off its huge power of suggestion. Doing this, he disrupts the trade reading of the image and obstructs the identification of the passer-by with the bloody model. So Zevs hijacks the power of the image to his advantage.

Street by street, he left in his course the bodies of top models, executed in the cause of  rejecting of all conventional lifestyles. As a signature, he left on the poster a photo of himself masked, just to taunt the police. In 2008, he reoffended with the “Visual Rapes”. This time the attacks were aimed at the icons of our world where everything becomes Pop: Marilyn Monroe or Mona Lisa, Che Guevara or Albert Einstein, Columbo or Superman. The photographs were stolen from the Internet. Their faces were obliterated with a flash-effect in Photoshop, but we know them so well that we still recognized them. However they were no longer images, but blurred depictions, shades, shapes.

Zevs is a dangerous mass culture killer. He knows the meaning of what Roszak called “Counter-culture”.

 

His artistic expression is an opposing force based upon the power itself. “ As in Aikido, I reverse the power to change the flow to my advantage”, he often says.
One of his most significant works about this reversed power is the “Visual Kidnapping”, written like a thriller.

The « Visual Kidnapping » was a lengthy performance that began in Berlin, in 2002 and finished at the Palais de Tokyo, in Paris, in 2005. A fifteen by fifteen meter poster on the Alexanderplatz. An eight-meter girl, muse of the coffee brand Lavazza. Later, Zevs will tell to the French newspaper Libération: “Armed with my scalpel, I climbed the front of the hotel where the Lavazza poster was boarded. An hour and a half later, the hostage was mine and I left the place, leaving behind me a hole in the poster and a sentence: VISUAL KIDNAPPING- PAY NOW!”. A paper chase began between the brand and the artist. He demanded a ransom of 500 000 Euros, which equalled the cost of a marketing campaign. The German subsidiary company filed a complained against X. On the Alexanderplatz, people were coming to look at...the hole in the poster. A few days later, he showed the Lavazza girl at the Rebell Minds Gallery, a few meters close from the kidnapping scene. The day after, the police turned up but Zevs had already left Berlin, with the hostage folded in a suitcase. For months, he sometimes showed, sometimes hid the hostage. Finally, he sent to the company CEO, an anonymous letter of ransom. On a Website and at the Patricia Dorfmann’s gallery, in 2004, people could vote whether or not the hostage was to be executed. In 2005, after numerous negotiations, an agreement was found between Zevs and Lavazza, who would give to the artist a fake check. In the form of a happening, this conclusion was justifiably seen as a hijacking of an anti-ad subversive strategy turned into a huge media event for this brand that proclaimed “Express Yourself”! In Germany, the “Visual Kidnapping” inspired others activists , who kidnapped many others ads.

 

Zevs learned from this experience. He started to distanced himself  from the brands. Since then has attacked the logos, to “liquidate” them, many luxury labels have contacted him, but he has always turned down their proposals. He maintains that position  when he liquidates, in his gallery in Zurich, the logo of Vuitton re-designed by Murakami. The “Liquidated logos” began in Berlin, in 2005, with a Nike swoosh, then with the logos of Coca-Cola and Mac Donald’s. Now he works on the logos of the luxury trademarks, that he duplicates in order to liquidate them in the galleries. Making them liquid, Zevs visually attacks their symbolic function. He develops his critique by further  examining the power and the promotion of the advertising signs. A keynote of a brand identity, the logo durably interferes in the people’s emotional landscape. It’s an extremely efficient “silent buyer”. When he liquidates the well-known logos of Chanel or Vuitton, Zevs attacks a network of signs (of identification), of  (social) codes, of meanings and of emotions. A logo digests a world. By a suggestive opposing force, its metamorphosis by being liquidated brings to mind over consumption, the tyranny of advertising, apparences and the vulgarity of ostentation. At the same time, Zevs clearly keeps the ambivalences when he appropriates the logo to produce his work and when he gives to it a new aesthetic. By doing this, he confirms the logo is an aesthetic object.

 

The liquidation performed in Honk Hong in 2008 is probably one of the most interesting ones. On a stage, the artist starts by tattooing the logo of Chanel on the naked back of a woman. The image of this very famous acronym, so exciting for so many women, the letters bleeding on her waist, is extremely striking and efficient. It reminds us of Man Ray’s violin. It recalls an Ingres’s bathing beauty that would make us think that voluptuousness would be no more to nudity than the brand that clothes her. It’s also the violence and the sensuality from Peter Greenaway’s “Pillow Book”.

 

According to Zevs, every artistic space – both literally and figuratively- is a possible space for a performance, a story, a scenario. Most of his projects, the films he makes from them are always meticulously written and cut. For example, the film that relates the story of the “Visual Kidnapping” is written like a thriller, and even the documentary film talking about his exhibition at the Glyptotek Museum in Copenhagen keeps us in suspense. One of his last photographic series, called “Cold Traces”, shows some strange foot steps in the snow. Zevs says: “I was walking alone in the mountain with a red spray can in my bag. So I was wondering what I could mark in this new and immaculate territory. After two hours of walking , I turned around and saw my traces in the snow. Then I had the idea to paint them and so to prolong them and outline what already existed.”. These blood-red foot steps in the snow throw us into a frightening atmosphere, with a premonition of violence: something between “Fargo”, “A simple plan” and the Parcival Everett’s novel “Wounded”. “I also thought about “The Shining” “, Zevs says, and at the same time, he also thought of a Rothko’s painting, with the blurred outlined red watered down in the bluish snow.

 

Zevs’s work devellops like a baroque and heroic opera, it's very theatrical.

 

Zevs totally assumes  this dramatic dimension to his work. The choice of his name, Zevs, is the code-name of a suburban train that almost crushed him, one night when he was writing in a dark railway tunnel. But, the V instead of the U, the name of the Greek mythological god of gods refers to an other mythology, the mythology of the superheroes, which inspires the character that the artist has created. A yellow working jumpsuit, a leopard-printed scarf hiding the face, a hat, a pair of gloves: in his artistic life, Zevs is incognito and few people know the real face of this discreet young man. He’s Clark Kent and Superman. Moreover, the logo that he created crosses the graphics of the yellow triangle on the voltage transformer in the Parisian subway and the logo of the Siegel and Shuster’s Kryptonian hero.

« I wanted to create a role, a persona, and to work at a distance, behind this image”, he explains. It’s like a questioning about the representation and the distance. The artist, who was also an actor, knows what Brecht called the “distance”, this gap between what is given to see and what is real, this strangeness, stimulating people to think about the reality. Everything in his work as well as in the role that created deals with this gap. 

 

Like in Comic- books, is Zevs  an urban hero, produced by the urban jungle and the neurosises of the modern world ? Probably he is not. He remembers that in a story of Superman, when Superman gets in contact with the Kryptonite, he looses his strenght and his logo liquefies. Zevs owns a stone from somewhere else, called “Zevsonite”. At its touch, the trademarks dissolve. He uses the mythic power of the superhero to reverse its energy and to stigmatize the disintegration of the images and of the signs.

In fact, Zevs is nor a superhero nor an antihero. He’s a “counter-hero”. 

 

 

EMMANUELLE LEBLANC

 

 

"Une mélancolie de l'immédiat"

 

L’espace et le temps, nous le savons, sont les deux dimensions qui conditionnent a priori toute appréhension du monde. Aucun monde, aucune expérience ni aucun savoir sur ce monde ne peut apparaître à nos esprits sans elles. C’est alors à une singulière expérience que nous convie le travail d’Emmanuelle Leblanc par leur prisme, y ajoutant celui de la lumière, qui les traverse de part en part pour faire advenir l’image. Saisir le monde n’est pas se soumettre passivement à des réalités extérieures, mais le soumettre au contraire aux règles de nos perceptions et de nos jugements. Emmanuelle Leblanc propose ainsi des modes de regard, dans une tentative de capter quelque chose aux racines de ce monde que nous nous donnons à voir, le dévoilement d’une aletheia peut-être, sorte de vérité cachée sous le flux des images médiatiques, flux de plus en plus rapide et fugitif. La simplicité nous pousserait à dire qu’Emmanuelle Leblanc opère des « arrêts sur image », saisissant ainsi une vérité qui se serait trouvé en elle mais aurait été soustraite à notre attention. Mais sans doute la réalité des peintures d’Emmanuelle Leblanc est-elle plus complexe que cela.

 

ordilighteur-8252c.jpgComme pour de nombreux peintres de sa génération, dont la sensibilité s’est nourrie à travers l’omniprésence de l’image - télévision, cinéma, publicité- mais aussi de l’évidence de la technologie, cela commence par une photographie. « J’ai toujours aimé les photos mais j’ai toujours eu plus d’estime pour la peinture. » dit l’artiste. Estime accordée à ce médium plus qu’ancestral, peut-être tant par intérêt pour l’histoire de l’art que pour la part de vérité autre que la peinture recèle. C’est donc d’un processus de « pictorialisation » de l’image photographique qu’il s’agit ici, dans lequel, d’une manière ou d’une autre, en conservant les scories ou en les soustrayant, l’artiste entend révéler quelque chose de l’ordre de l’épure et de l’essentiel.

 

Examinons d’abord les oeuvres composant la série de la « Ligne de peinture ». Ici, donc, des photographies prises sur le vif, avec un téléphone portable. Sujets a priori ordinaires et sans qualité, sans hiérarchie ni logique dans ce qui est donné par le réel. Mais cette sorte de neutralité dans l’apparent non-choix des prises de vue est finalement contrebalancée par l’évidence esthétique –formes et couleurs- de l’image. Apparaissent alors : une tâche de couleur vive sur un fond ombrageux, un paysage presque classique, des jambes de fillette, des compositions parfois abstraites dans leur fugitivité…des fenêtres peut-être, la silhouette d’un marbre classique dans quelque musée, un clair obscur presque romantique à la Caspar David Friedrich, un Rothko, une façade d’immeuble constructiviste…Wilde affirmait que la vie imite l’art non le contraire. Il y a dans cette série d’images, quelque chose de cet ordre, dans la manière dont Emmanuelle Leblanc capte, et restitue, le surgissement fortuit de l’histoire de l’art dans la banalité du quotidien et suggère de manière sous-jacente comment cette réalité en est une nourriture perpétuelle.

 

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Dans le même temps, à dessein, les lieux, les temps, les espaces sont sans définition, notre perception tirée hors des lieux, des temps, des espaces, aspirés dans une brèche que l’artiste aura ouvert. Hors de l’histoire aussi. Cet ensemble de peintures modulaire, constituant une « phrase picturale » à la construction à la fois intuitive et formellement harmonique, ne raconte pas une histoire mais des possibles. Elle peut être interprétée comme une série d’expérimentations, de tentatives, d’essais, une sorte de laboratoire d images jetables que l’artiste dans son geste aura tenté de sauvegarder, d’arracher à l’oubli nécessaire du flux temporel et médiatique, dans un souci de les ériger en « modèles picturaux », mettant, explique-t-elle, sur le même plan d’égalité toutes les typologies et les genres picturaux « « paysages », « natures mortes » et « figures » » autant que « des motifs plus abstraits ou de quasi monochromes ». Car ces petites peintures, dans leur égal format, leur sérialité, n’énoncent en effet rien de fictionnel, ni de narratif. Le regardeur pourra bien vouloir y introduire une logique fictionnelle, créant des liens, des histoires possibles…Mais c’est encore une histoire de sujet, et de subjectivité. Dans le mystère préservé de l’altérité, comme pourrait le dire Merleau-Ponty, c’est du fond de sa subjectivité que chacun projette son monde et que rien n’est jamais vécu de même pour soi et pour l’autre. Consciente sans doute de cette impossibilité de « projet commun » et d’autant moins autour de la perception de l’image, Emmanuelle Leblanc n’édifie aucune vision nécessaire, n’édicte rien qu’il faille voir. Ce sont des « il y a », des étants si on veut, l’écume fugitive des phénomènes du monde, des morceaux de réalité arrachées à la réalité, montrés dans l’ambiguïté de leur brutale neutralité et en même temps choisis, dans leur champ-hors champ, décomposés, recomposés, repeints jusque dans leur médiocrité (pixellisation, flous et tremblements). De ces petits formats émergent parfois de plus grands formats, des images qui contiennent une « unité narrative » plus grande ou plus prégnante, dont l’artiste considère qu’elles manifestent davantage d’autonomie…Formes floues, chromatismes parfois violents, on identifiera, ou non, sans trancher si cela importe, le plissé statufié d’une vierge ou l’interprétation personnelle d’un St Georges, autant de sujets communs de l’histoire de l’art.

 

Dans ses portraits, comme dans les « Peintures sur table », on retrouve cette question de l’atemporalité en même temps que la superposition historique des procédés et des manières. Atemporalité : Malgré quelqu’indice- une aura de lumière bleutée qui pourrait être celle d’un ordinateur et renvoyer alors à notre modernité-, le personnage, réalisé à l’échelle humaine, pourrait tout aussi bien sortir d’une peinture hollandaise, ou d’un tableau de Hopper, depuis le rendu en clair obscur jusqu’à son attitude méditative, donnant à l’œuvre une étrange impression de silence. Le dépouillement des fonds, aplats de couleurs sourdes, renforce cette sensation de mise entre parenthèse du monde objectif, d’une sorte de suspension du rapport du sujet à toute réalité ordinaire, une sorte d’épochè, donc, hors du temps calculé, dans le temps indécis de la méditation, du retrait, du repli sur soi…La mise en échelle 1 du portrait s’en fait paradoxale, car tout en se donnant naturellement en tentation de miroir, elle nous pose face à un être qui « esquive le regard » pour reprendre les mots de l’artiste, impénétrable, inaccessible, en retraite. Le déploiement de certaines œuvres en diptyque ou triptyque démultiplie les vues possibles, les relations entre les images, en complexifiant l’abord. Superposition des procédés : le sujet, au premier plan, se détache sur un fond minimal, décontextualisé par l’arrière-champ coloré, sert en premier lieu un souci d’épure de la représentation. A la rigueur des aplats monochromes ou en subtile polychromie, suggérant l’art abstrait ou conceptuel, répond le traitement apparemment classique des personnages, évoquant l’art classique du portrait, le thème de la figure. Pour l’artiste, il s’agit de concilier deux moments de l’histoire de l’art dans le même tableau. Bien plus encore, l’utilisation d’un logiciel de retouche et de traitement de l’image, permettant la « recomposition » du modèle, puis le processus de « pictorialisation » d’une image arrêtée issue de captation vidéo par la peinture offrent, outre un trouble hyperréaliste, la rencontre (plutôt que la confrontation) entre des techniques des plus contemporaines et la peinture à l’huile, dans un passage à rebours. Manière d’affirmer que la peinture est susceptible de laisser émerger une émotion que la photographie ignore. Manière aussi de se réapproprier plastiquement et physiquement l’objet de création. Ce lien au temps, qui nous semble si essentiel dans la peinture de Emmanuelle Leblanc, se manifeste aussi dans la durée du faire, de la confrontation à la matière, matière picturale et matériau. Si elle oeuvre à partir de photographies, ou de vidéos, son travail n’est pas pour autant dématérialisé. Préparer les surfaces, peindre à l’huile, recomposer les images ouvre un rapport au temps autant qu’à l’histoire de l’art, en terme de représentation mais aussi de savoir-faire. Comment dire autrement les limites de la virtualité ?

 

Vu du dehors ou en prise avec son intériorité, l’oeuvre d’Emmanuelle Leblanc est un univers suspendu entre deux rives, qui ne conforte aucune vision du monde ni ne le nie, mais cherche à se saisir subjectivement de son caractère fugitif, évanescent et mouvant, pour ensuite s’en dessaisir, comme deux moments d’une même quête irrésolue.

 

buttercup.jpg

"Buttercup" - diptyque- huile sur toile - 180x150 cm-

  

 

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 22:37

François Fries expose pour la première fois à la Galerie Valérie Bach, dans le quartier des Sablons à Bruxelles.

 

il y expose plusieurs variation autour de la "Mécanique des fluides", mais aussi quelques "Ecrits sur toile de lin", sur lesquels  j'écrivais un jour ceci:

 

francois-fries-cl-7.jpg"Avec «Ecrits sur toile de lin», François Fries trouve le moyen d’allier son intérêt pour l’écriture, tant comme activité calligraphique que comme narration, et son amour de la peinture. Amour obsessionnel presque si on en juge par le nombre d’heures passées à couvrir méthodiquement chaque toile de la trame de son écriture dense, elle-même prise aux pièges de multiples couches de peinture, de résine qui la laissent apparaître, disparaître, se croiser, s’enlacer, en transparence, en retenue, au gré de l’image. Texte ou non-texte, où «ce qui est raconté est éclipsé par le geste même d’écrire», dit l’artiste ; texte ou non-texte donc, raturé, chiffoné, dilué, entaché, aimé ou maltraité, toujours dans cette duelle problématique entre recouvrement et transparence. Les «Ecrits sur toile de lin» peuvent se lire comme une tentative d’ «écrire la peinture», dit encore l’artiste, d’unir la forme et le fond, l’immédiateté visuelle et le mystère du sens, la nature plastique et sémantique du signe, quand l’écriture devient texture."

 

Ce texte, ainsi que quelques autres, sont publiés dans le petit journal n°26, à l'occasion de l'exposition.

 

 

 

 

 

 

Du 16 juin au 16 juillet 2011

Galerie Valérie Bach - 43 rue Ernest Allard - 1000 Bruxelles

tél +32 (0)2 502 78 24 - GSM +32 (0)486 296 839 - info@galerievaleriebach.com

www.galerievaleriebach.com

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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 22:47

Cette exposition personnelle de François Fries est principalement conçue autour de sa série « La mécanique des fluides », débutée en 2007. Elle fonctionne comme un jeu de mouvements continus, fluides et sensuels. Les couleurs filent, ruissèlent, se mélangent, se lovent et s’entrelacent, entre opacité et transparence, dans des all-over aux couleurs acidulées qui ne masquent pas une certaine violence contenue, comme un risque permanent de débordements exponentiels et proliférants, une vue macroscopique révélant les dessous du monde, charnel et vorace à la fois.

 

lam-canique-des-fluides-146x97cm-2011-1-.jpg

 

En 2006, à l'occasion d'une exposition personnelle à la Galerie Charlotte Norberg, avait été publié un petit catalogue contenant l'entretien que voici:

 

Marie Deparis : Depuis 3 ans, vous avez choisi de vous consacrer complètement à la peinture, après des années de pratique « en dilettante » et une carrière vouée au cinéma. Depuis vous avez exposé dans plusieurs lieux notamment Artcore, Artparis avec Véronique Smagghe et aujourd’hui ici, à la Galerie Charlotte Norberg. Pour cette exposition, vous avez choisi le titre «La mélancolie de la résine ». Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de ce titre particulier?

François Fries : Cela évoque un vague à l'âme, une mélancolie douce comme on dirait une
folie douce. C'est aussi un clin d'oeil à la « mémoire de l'eau ».La résine fonctionnerait de la même manière.  Elle va saisir les couleurs, les envelopper et dans le même temps en séchant,  figer une sensation, un mouvement passés qui ont à voir avec la mémoire, un peu comme le souvenir liquide de quelque chose d'immatériel.

MD : D’emblée, on perçoit dans votre propos la volonté de lier le « faire » , l’aspect formel, matériel de votre travail : le mouvement, les formes, la couleur, et aussi les pigments, la résine… et le « ressentir », l’expression de sensations, d’impressions diffuses…

FF : Les deux problématiques sont liées. J’essaie de rendre concret quelque chose d’immatériel comme l’air, le vent, ou une expression comme la timidité, la colère pour essayer de les figurer concrètement sur la toile avec des choses simples et naturelles

MD : Pourtant, votre peinture n’est pas figurative. Ne cherchez-vous pas, au fond, à représenter ce qu’il y a d’abstrait dans ce qui est figuré, à extraire l’image abstraite, ressentie dans la narration, quelque chose comme la sensation de ce qui reste ?

FF : Ce qui peut paraître abstrait tend pour moi vers le figuratif, bien que le « motif » ne m’intéresse pas. Lorsque j’ai réalisé la série « Les dessous des feuillages », chaque tableau était une sorte d’hippocampe où auraient été stockés durablement des fragments de sensation, ici, le frémissement de feuilles, là, le mouvement d’une branche. En cela on pourrait dire que ma peinture est figurative. La figuration d’une sensation, d’une réalité floue, impalpable voire insaisissable.

MD : Vous revenez souvent sur cette idée de flou, de réalité floue : Pouvez vous développer?

FF : L’an dernier, j’ai  réalisé une série qui s’intitule « Peinture floue ». Avec l’idée de quelque chose qui aurait le moins de prise possible avec la réalité qui elle, vous submerge de partout… Parce que nous vivons dans un monde très « identitaire », très rationnel aussi, dans lequel l’indécis, le contradictoire sont plus ou moins bannis. Mais la réalité subjective, celle de la mémoire, des perceptions, des sensations n’est pas une, unique…Dans ma peinture, c’est cela qui m’intéresse : les choses ténues, la tension que créent les entre-deux, le paradoxe…

MD: J’ai le sentiment en effet qu’il y a dans votre peinture sinon des paradoxes, au moins des ambiguïtés, des dualités. Par exemple, la manière dont vous travaillez donne à vos taches un contour imprécis, fondu, qui suggère le mouvement. En même temps, lors de nos différents entretiens, vous m’avez dit vouloir parvenir à un résultat le plus lisse possible, comme si le mouvement avait été gelé…

FF : Oui, ce qui m’intéresse actuellement, c’est attraper le mouvement. Je cherche à ce que le mouvement soit saisi comme un instantané sur une pellicule, comme « scotché » sur une toile cirée...Par exemple, le mouvement d’un massif de fleurs. Plonger dedans puis le geler, le découper comme un fragment de réalité sensible dans le carré ou le rectangle de la toile, comme un arrêt sur une image en mouvement. Ce qui m’intéresse aussi, c’est la chimie des couleurs qui se mélangent, leur intimité, leur densité, leur transparence…

MD : Densité et transparence : on aborde là, à mon sens, une dimension essentielle, et équivoque, de votre travail. Ce qui frappe au premier abord, c’est la profusion du motif, la densité visible. Et puis vient la transparence, l’impression d’une lumière venue « d’en dessous », éclairant la surface, lui donnant cette luminosité diaphane. Dans le même temps, on a le sentiment que cette lumière est empêchée, occultée par cette surface pleine, suggérant ainsi une profondeur sans la montrer, comme s’il y avait « quelque chose » derrière, que vous voudriez masquer. Avez-vous des choses à cacher ?

FF : Tous mes tableaux ne sont pas recouverts de couleur mais il y a toujours un fond, une résine qui « habille » la toile… Sur la profondeur, j’éprouve un sentiment paradoxal. Il y a d’un côté, c’est vrai, la volonté de recouvrir la toile, comme une manière de se fabriquer une nouvelle peau. Pour certains tableaux, c’est aussi l’idée de cacher quelque chose à l’intérieur, comme un tiroir secret. Mais d’un autre côté, j’essaie surtout de donner l’envie de plonger à l’intérieur du tableau, de s’y immerger totalement.

MD : Quand on cherche à pénétrer vos toiles, on a parfois l’impression que sous leur apparence paisible se cache peut-être quelque chose de plus rude, de plus violent, de plus noir, mais c’est à peine suggéré ! Vos toiles invitent, en fait, à une espèce de liberté fictionnelle ou tout à coup, on se sent libre d’imaginer que derrière la couleur, toutes les histoires sont possibles…

FF: Ma peinture pourrait bien être plus inquiétante, plus trouble qu’il n’y paraît…

MD : Voilà une autre de ces ambiguïtés dont je parlais tout à l’heure !

FF : Certains tableaux  appellent à la fiction, d’autres sont pour moi davantage des évocations, des métaphores. Si l’on prend « Sous le bleu » par exemple, ce bleu là, ce peut être aussi le « bleu »…de travail.  Lorsque je travaille à ma peinture, je pense souvent  « écriture ».

MD : Autrement dit, l’écriture, autre activité à laquelle vous continuez de vous consacrer, nourrit votre inspiration. De quelle manière ?

FF : De manière différente à chaque étape de la conception du tableau. Je ne fais pas de dessin préparatoire sur la toile. La préparation, ou plutôt la conception, se trouve dans mes petits carnets ou sur des post-it. Bref, je commence par imaginer le tableau en l’écrivant au préalable en quelques lignes et pendant l’exécution parfois je m’en éloigne. Ensuite, l’acte de peindre, par glissement, m’appelle à d’autres évocations, imaginaires ou textuelles. Enfin, une fois le tableau fini, il y a le titre, parfois suggérant une histoire, qui me vient…

MD : Vous dites que lorsque vous vous mettez à peindre, vous vous éloignez parfois de votre intention initiale. Quelle est la part de préparation, de projet, et quelle place laissez-vous au hasard ou à l’accident ?

FF : Avec une certaine expérience, il y a moins d’accident mais je cherche toujours à provoquer le hasard par des rencontres entre de nouvelles résines et des nouvelles couleurs. Il y a dans l’élaboration d’un tableau quelque chose qui pourrait à voir, je crois, avec la mise en scène. Je dispose les couleurs sur la toile et les met en mouvement avec plus ou moins de lumière, de fluidité. J’essaie de provoquer leurs rencontres, de leur donner telle forme, tel effet, selon leur structure moléculaire et leur densité. C’est un moment excitant et inquiétant, car c’est toujours très empirique. Le temps de séchage entre chaque couche est déterminant et le résultat parfois surprenant car après le séchage, les couleurs se métamorphosent et on n’est jamais sûr à 100% du résultat. La construction de chaque tableau se fait ainsi, lentement, couche après couche, en risquant telle couleur contre telle autre, quitte parfois à tout perdre…

MD : C’est un problème récurrent pour tous les peintres, je crois, de savoir s’arrêter au bon moment. Alors pour vous, qu’est-ce qu’une toile réussie ?

FF : Un tableau réussi à mes yeux tient sans doute dans la rencontre des couleurs qui vont se lover les unes dans les autres, sachant qu’avec le jeu du hasard, il y a de bonnes et de mauvaises rencontres. Cela reste fragile, en suspens, en équilibre précaire.  Un tableau réussi c’est aussi celui qui, alors que c’est souvent long, parfois même laborieux, donne le sentiment qu’il a été fait rapidement, quelque chose de naturel qui aurait pu se faire tout seul. C’est une idée que j’aime bien, le tableau qui se fait tout seul. Comme une évidence.

MD : Ce doit apparaître évident pour le spectateur, mais pour vous aussi, non ? Il me semble que le travail d’un artiste qui s’affirme, dans son univers et pour le regard des autres, doit au fil du temps, pour se reconnaître comme « œuvre », se constituer autour de racines esthétiques et problématiques récurrentes. Au regard de vos travaux, depuis toutes ces années, se dessine une ligne de recherche, une cohérence dans cette recherche

FF : Il faut que cela soit cohérent et en même temps que chaque tableau soit une remise en jeu, une expérimentation nouvelle. C’est une liberté indispensable à préserver. Si mon travail prend une certaine maturité, je ne veux pas tomber dans la répétition ou le système de reproduction. Aujourd’hui, je suis dans la couleur, la fluidité, le recouvrement aussi. Demain, peut-être irais-je vers une libération de l’espace et de la lumière, ou vers un plus grand lien avec l’écriture…

 

François Fries  et  Marie Deparis

 

 

 

Le parcours de François Fries est celui, atypique, de va-et-vient permanents entre la peinture, le cinéma et l’écriture.

Au début des années 80, tandis qu’il finit ses études de philosophie, d’histoire de l’art et d’économie, il s’essaie déjà, et avec assiduité, à la peinture. Pourtant, bien qu’ayant très jeune tissé un lien intime et constant avec la peinture, il se tourne vers le cinéma. A cette époque, le cinéma français connaît un regain novateur, et François Fries est séduit par ce mode d’expression qui lui semble alors plus dynamique, plus créatif et plus « vivant » que la peinture.

Tandis qu’il collabore avec une des plus grandes maisons de production françaises, parallèlement, il partage, avec quelques amis peintres un grand atelier au Kremlin-Bicêtre, à Paris, et expose régulièrement dans le cadre de salons et d’expositions collectives telles que le Salon de Montrouge, Jeunes Peintures ou Courants d’art…

Au début des années 90, il lance sa propre maison de production, produit et réalise de nombreux courtsmétrages, documentaires ou premières oeuvres, dont certaines amplement primés dans les festivals internationaux. En 1994, « les Dimanches de permission », premier long métrage de Nae Caranfil est sélectionné à Cannes et primé aux festivals de Montpellier, La Baule et Bucarest. La même année, « Le fils du requin », premier long métrage d’Agnès Merlet, reçoit, entre autres, l’Award du meilleur 1° film européen à Berlin, est nominé dans la catégorie « Meilleur premier film » aux Césars et reçoit le Prix international de la Critique à la Mostra de Venise. « Tom est tout seul », premier long métrage de Fabien Onteniente reçoit le Grand Prix du Festival de Sarlat et « Les Mille Merveilles de l’Univers » premier long métrage de Jean Michel Roux avec Tcheky Karyo et Julie Delpy le prix du festival de Namur.

En 2003, François Fries produit un dernier opus, « La traversée », une collection de 20 courts-métrages expérimentaux réalisés par des plasticiens, scénaristes et écrivains via le web, en association avec le CNC.

Pour François Fries, la peinture s’inscrit dans une expérience de la durée, et, tandis qu’il poursuit sa carrière dans le milieu du cinéma, il ne cesse jamais de peindre. En 1998, il publie un opuscule au titre signifiant : « De la pratique clandestine de la peinture en milieu salarié ».

Le besoin de revenir à une pratique artistique plus solitaire, sous-tendue d’enjeux plus personnels, se précise de jour en jour.

Au début des années 2000, François Fries décide de se consacrer de manière exclusive à la peinture.

D’expérimentations en expérimentations, de séries en séries, se dessine peu à peu un univers pictural dense et mystérieux, fluide, inquiet et tendre, dans une quête perpétuelle entre recouvrement et effacement.

Depuis, il présente régulièrement son travail dans les foires d’art contemporain (Art Paris, Slick Art Fair, biennale du Havre) ainsi que dans des expositions collectives ou personnelles.

Le travail de François Fries se joue dans une transversalité des expressions, où l’acte pictural et l’écriture, l’image –cinématographique- et la narration sont toujours intimement mêlés.

 

"Mécanique des fluides" - Galerie Pierrick Touchefeu - Du 6 au 29 mai 2011-

2 rue Marguerite Renaudin- 92300 Sceaux

 

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 20:58

 

Résultat d'une résidencede plus de six mois chez Shakers! "Lieux d'effervescence", à Montluçon, Yassine Balbzioui présente donc "The fish inside me", exposition personnelle au Château de la Louvière, à partir du 4 mars.

 

A cette occasion, un catalogue, bilingue, est publié, dont Yassine m'a confié la préface, que voici:

 

 

 

« Il est dur, quand tout nous pousse à dormir,

en regardant avec des yeux attachés et conscients,

de nous éveiller et de regarder comme en rêve,

avec des yeux qui ne savent plus à quoi ils servent,

et dont le regard est retourné vers le dedans. »

Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1937

 

 

YB1.jpgYassine Balbzioui présente, avec « The fish inside me », un ensemble de peintures, photographies, aquarelles et vidéos, donnant à voir un panorama complet de ses pratiques et de son univers.

 

Yassine Balbzioui se définit essentiellement ainsi : un peintre. Il peint et dessine depuis toujours, tout le temps, comme une respiration seconde, un regard porté sur le monde, dans une sorte de curiosité volontairement candide, un questionnement vivace, mais aussi un besoin de rester en contact permanent avec l’image.

Mais s’il comparait souvent jusqu’ici son art à une sorte de « cuisine », considérant la photographie ou la vidéo comme des ingrédients préparatoires à une concoction picturale, il semble qu’il ait opté aujourd’hui pour la prise en compte de ces médiums comme de pleines et entières expressions plastiques de ses préoccupations esthétiques et intellectuelles.

 

Tout commence avec une installation -une sculpture- se présentant comme un étrange autoportrait : au sol, un corps gisant, la tête enfouie sous une couverture. C’est l’artiste, dont on ne sait s’il est encore en vie. S’agit-il d’un meurtre, nous convie-t-on à un thriller, au spectacle de la mort de l’artiste ?...

Une autre hypothèse : tapi, face contre terre, il se cache le visage pour faire disparaître le monde. Une attitude récurrente : dans la série « Down in the hole » (2009), l’artiste se portraiturait dans de bien singulières postures, la tête en bas, le visage enfoncé dans le sable.

Ce geste animal – celui de l’autruche, animal qu’il affectionne et que l’on retrouve souvent-, ce geste infantile, est significatif des questionnements et des effrois qui nourrissent son travail.

Et cet autoportrait s’avère particulièrement révélateur de l’univers de Yassine Balbzioui, dans lequel plane une atmosphère d’inquiétante étrangeté.

 

Etrangeté, en premier lieu, de ces êtres hybrides, mi-homme, mi-animaux, dont on ne sait avec certitude s’il s’agit d’animaux anthropomorphisés ou d’humains portant des masques d’animaux.

Cette dialectique entre « montrer » et « dissimuler » parcourt tout le travail de Yassine Balbzioui.

Dans ses peintures plus anciennes, ses personnages se cachaient le visage, parfois d’objets aussi dérisoires qu’une laitue ou un poisson.

Ici, à l’instar de cet autoportrait inaugural, ses personnages ont tous ceci en commun que tout visage humain en est absent, que celui-ci soit occulté par un sac de papier ou de plastique, biffé d’un trait de peinture, masqué de carton-pâte, ou prenne les traits d’un animal.

 

Comme dans les fables de la littérature classique, Yassine Balbzioui fait ainsi régulièrement appel à un bestiaire - poissons, canards, corbeaux, autruches…- figurant selon lui des stéréotypes de caractère, qui, pour être humains, n’en suggèrent pas moins des attitudes animales. Ainsi, dans la série des « Autruches » (2009), il avait su saisir la « vérité » de l’animal, son air farouche, un peu ahuri, stupide et furieux, instillant dans le même temps un « quelque chose » d’humain. Avec la série « Trou blanc », jeu de mots autour de l’orifice (celui dans lequel on plonge, se cache, ou celui qui nous aspire), en même temps que sur l’angoisse « troublante » des puits sans fond, les autruches de Yassine Balbzioui posent pour d’étranges portraits de famille ou paraissent conspirer à quelque secret.

L’artiste semble tisser un lien implicite entre cette question de la dissimulation et celle de la famille. Le masque, la « persona », autrement dit, le personnage que l’on joue, n’est jamais qu’une façade qu’on se façonne. Allusion au monde du théâtre, le masque ou toute autre forme de dissimulation employée ici suggèrent cette posture de moi social que, dans la famille comme ailleurs, chacun endosse, ou, comme le dit Jung (1), cette scénographie sociale et familiale dans laquelle chacun s’inscrit d’une manière ou d’une autre. Et, dans cette évidence de faux-semblants, le portrait au visage grimé n’offre peut-être alors pas moins de vérité.

 

Et puis, dans un cocasse retournement de perspective, que l’on serait tenté de qualifier de plan cinématographique, c’est du « trou » que l’on surprend l’autruche. Au-delà du jeu visuel, ce renversement ouvre sur un espace symbolique aussi signifiant qu’ambigu, entre refuge illusoire d’où le monde s’évanouit, terreur de la chute dans le lieu sans fond – Lewis Caroll n’est pas loin-, et, sans se perdre en trop d’analyse lacanienne, vertiges des territoires intérieurs inexplorés : « The fish inside me ».

Les êtres hybrides que dépeint Yassine Balbzioui, aux confins de l’humain et de la bête, interrogent avant tout l’animalité en nous, révèlent cette part inexplorée, occultée par la pensée et le polissage de la civilisation, et pointent les basculements toujours possibles.

 

La série « The fish inside me » montre des nageurs affublés de masques de poisson, redoublant ainsi la métaphore aquatique. Dans une atmosphère nocturne et énigmatique, ils affichent leurs visages sans visages, figures ébahis, grands yeux comme des trous noirs, dont on jurerait qu’ils nous observent derrière le masque, inquisiteurs et stupides -au sens propre-, des yeux qui diraient « et alors, et le monde? », exprimant une sorte d’effroi face au spectacle du monde dont nous sommes.

 

Par delà le non-sens et le décalage, le comique du geste, en terme de rupture de cohérence, qui pourraient suggérer le monde de l’enfance, la vision de ces hommes-poissons masqués nie dans le même temps toute innocence, nous renvoyant à nous-mêmes avec une certaine violence. Bizarrement, ils semblent à la fois « dans leur milieu naturel » et exogènes à ce milieu. Car ces poissons ne sont pas des « poissons objectifs », mais manifestent l’invisible- et incommode- envers des êtres, sur le fil ténu entre l’étrangeté et la folie.

A la manière de Proprichtchine, le fou de Gogol, Yassine Balbzioui entend-il parler les animaux, ou plus précisément, entend-il les animaux en nous, qui grondent de leurs révoltes inexprimées ou de leurs violences réprimés?

 

Dans cette esthétique proche du carnavalesque, les peintures, mais aussi les photographies et les vidéos -comme celles des aventures de la « grosse tête »- de Yassine Balbzioui tendent vers la catégorie du grotesque. S’il s’inscrit ainsi dans une certaine tradition littéraire et artistique, ce choix du hors norme, de l’hybride, de l’hétérogène, du fantastique et de l’étrange, mais aussi du burlesque, du bouffon et surtout, de la transgression et du renversement, interroge plus que jamais une actualité perturbée, exprimant, dans le malaise que la représentation grotesque distille, autant d’inquiétudes identitaires qu’une forme de « radicalité négatrice », dans le rejet des normes, de la bienséance et des évidences.

 

C’est ainsi à double titre que l’on peut dire de la peinture de Yassine Balbzioui qu’elle est une peinture « expressionniste », un « expressionnisme de la dérision ». Il y a d’une part cette intensité expressive de la touche picturale, le traitement des corps, des fonds, dont les clairs-obscurs cherchent moins une vérité picturale qu’une atmosphère, une sensation. Puis d’autre part, cette conscience sensible de la survivance de « ce ventre encore fécond d’où a surgi la bête immonde » (2).

 

the-fish-inside-me.jpgMais l’hyperbole, construite avec humour et ironie, retourne tout pessimisme en rire salvateur. « Le rire causé par le grotesque a en soi quelque chose de profond, d'axiomatique et de primitif » disait Baudelaire (3). Yassine Balbzioui a compris en quoi la nature même du déguisement est comique, qui, se détachant du « corps habituel », pour reprendre l’expression de Bergson (4), produit le décalage et l’inattendu. Il  n’hésitera pas à se photographier, masque de poisson sur le visage, émergeant du fleuve Niger après avoir pêché un de ses semblables, ou gisant dans les décombres tel un poisson mort, ou encore, comme dans la vidéo « The fish inside me », ramant tant bien que mal dans sa baignoire d’enfant pour atteindre quelque rivage impossible.

 

Sacrifiant son amour-propre sur l’autel de la dérision, Balbzioui n’a peur ni du ridicule ni de l’absurde, et son art est une manière de lutter contre la gravité, dans tous les sens du terme, et l’esprit de sérieux. Il est ainsi une forme de subversion, qui oppose sa force de résistance, au travers de ce geste régressif, de ce retour à la nature, aux idéalismes parfois dangereux et aux théories vides d’humanité.

 

Alors le rire, plus que jamais grinçant et d’essence « satanique » (3), que provoquent les performances vidéo ou les photographies du « Safari Bamako » de Yassine Balbzioui exprime intensément les tiraillements de notre «nature contradictoire », entre ces deux infinis en nous, l’angélique et le diabolique, le sublime et l’animal.

Mais ce rire-là, résultant de la propension de l’artiste à user du non-sens, constitue, s’il faut en croire Bergson et d’autres avant lui, l’essence même de l’intelligence et de la créativité humaine, un pont jeté résolument entre la vie et l’art.

 

Car pour Balbzioui, il n’y a pas d’autre équation que celle de l’art à la vie, et, à la manière de Filliou, sans doute oserait-il proclamer que dans l’art comme dans la vie, rien n’est sérieux…bien qu’il n’y ait rien de plus sérieux. Cette idiotie de l’artiste, dont parlait Jouannais (5), est clairement pour lui un combat, une posture stratégique, une attitude construite et jouée, fondée dans la lucidité d’un homme engagé dans son art, dans la vie des formes comme dans celle des hommes de son temps.

  

 

(1) C.G. Jung – « Dialectique du moi et de l’inconscient » - Trad. Roland Cahen- Ed. Gallimard, 1986

(2) Bertold Brecht - « La Résistible Ascension d'Arturo Ui » (trad. Armand Jacob-1941), dans Théâtre complet, vol. 5- Ed. L'Arche, 1976

(3)Charles Baudelaire – « Curiosités esthétiques - De l'essence du rire (et généralement du comique dans les arts plastiques) » –publié en 1855 dans « Le portefeuille »

(4)Henri Bergson – « Le rire- Essai sur la signification du comique » - Ed.Alcan,1924 et PUF, 1959 (5)J.Y. Jouannais – «  L’idiotie » -  Ed Beaux-Arts Magazine, 2003

 

 

 

"The fish inside me" - Yassine Balbzioui- Orangerie- Château de la Louvière- Montluçon - Du 5 mars au 3 avril 2011

Rencontre avec l'artiste le vendredi 25 mars à partir de 18h30

Voir le site de l'artiste: www.yassinebalbzioui.com  

 

catalogue disponible sur demande

 

 

photo 1: "still watching" - peinture, 2011 - photo 2 : "The fish inside me" - Vidéo 1'04

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 21:53

 

Pour sa première exposition personnelle à New-York, Zevs a le privilège d'avoir été choisi par la De Buck Gallery pour son ouverture officielle.

 

zevsdebuck.jpg

 

A cette occasion, un catalogue est publié, avec des textes de Carlo Mc Cormick, curator et critique new-yorkais spécialiste de l'art urbain, Stéphane Malysse, anthropologue brésilien, et moi-même.

 

Je livre ici le texte en français (le catalogue est évidemment en anglais) 

 

 

« Liquidated Version » - ZEVS

 

 

Un soir de novembre 2010, une rue des beaux quartiers de Sao Paulo…Une jeune femme déambule, nue, puis, soudain, s'écroule au sol. Le sang coule. Autour d’elle, des traces étranges, un L, un V : le crime semble signé…Les top models, seraient-elles les premières "victimes" de l'industrie de la mode?

A priori, la performance de Zevs -avec le mannequin brésilien Marina Dias dans le rôle de la victime- pourrait être appréhendée comme une réponse mi trash mi cynique  à celle orchestrée par Vanessa Beecroft, en 2006, au moment où Louis Vuitton ouvrit son flagship sur les Champs Elysées. L’artiste new-yorkaise avait alors mis en scène des jeunes femmes nues dont les corps, pliés aux exigences de l’agencement et des présentoirs du magasin, ainsi que de la forme du logo, dessinaient les lettres entrelacées de la célèbre marque. Ainsi, le model symboliquement assassiné dans les rues de Sao Paulo semble en signer l’épilogue . Il n’y a qu’un pas du luxe à la luxure, on commence dans la volupté et on finit sur le trottoir.  

 

Cela étant, au-delà de cette anecdote, la performance "Victim" est particulièrement intéressante pour qui souhaite approcher le travail de Zevs, car elle synthétise un certain nombre de pratiques récurrentes chez l'artiste au cours de ces dernières années, comme autant de formes d'autocitations ou de traversées des repères dans son vocabulaire graphique et sémantique.

On y trouve, par exemple, une référence aux "Visual Attacks" (2001), lorsqu'il s'agissait de shooter d'un flash de peinture rouge sang entre les deux yeux  le mannequin sur l'affiche, déshumanisé par la magie de Photoshop, dans la rue, les abris de bus ou sur les palissades. Le sabotage, particulièrement efficace, s’imposait comme une attaque frontale contre l’omniprésence de la publicité dans le paysage urbain et une manière de saper son pouvoir de suggestion. Par la radicalité visuelle de ce geste, Zevs opérait une rupture dans la lecture commerciale de l’image par le passant, et occultait l’identification de la marque derrière un visage ensanglanté. Il détournait, retournait, ainsi, le pouvoir de l’image à son propre avantage.

D’une certaine manière, « Victim » rappelle aussi le travail de « logo liquidé », qui, de Louis Vuitton à Chanel, en passant par Nike, Mac Donald's, Coca-Cola, UBS ou Lehmann Brothers, ont été vus souvent et copiés parfois. La scène renvoie plus particulièrement à ce même travail de liquidation de logo, mais réalisé à même le corps nu d'une femme (à Honk Hong en 2008 ou plus récemment au cabaret Voltaire de Zürich). Les lettres d’un de ces si enviables logos, saignant sur la peau, offre une image saisissante de sensualité et de violence. Dans cette attaque contre les marques de luxe, s’exprime implicitement la conscience que celles-ci aiguillonnent le désir des femmes, et s’en nourissent vampiriquement. Les question du corps-objet, de la soumission du corps aux impératifs du marketing, de la violence faite aux femmes – et aux hommes dans une moindre mesure-, victimes de la mode et de leurs fantasmes, dans le formatage d’une image-miroir idéale, apparaissent à Zevs comme des épiphénomènes signifiants fondamentalement liés à celle de l’économie mondiale.

Car sans doute Zevs pressent-il que le pouvoir réel aujourd'hui n'est peut-être pas tant politique ou religieux qu’économique, et c'est à ce pouvoir- là, au travers de la séduction du logo et du luxe incarné comme objet du désir renversé en objet mortifère, qu'il entend s'en prendre ici.

Mais il sait aussi que le logo n’est qu’un signe, la partie visible et émergeante d’un monde aux valeurs et aux enjeux aussi complexes qu’incertains.

 

Quelques mois plus tard, à New York, un jeune artiste français expose dans une galerie de Soho pour la première fois. Il flotte dans la galerie une atmosphère de scène de crime. Ici, la peinture coule des toiles comme du sang frais, là, des larmes de sang sur un visage en plein effroi, là encore un poste de télévision comme carbonisé, des pages du Wall Street Journal couverts d’étranges dessins, et on entend, sorti d’une radio au bord de l’épuisement, un ancien tube de Huey Lewis, « Hip to be squared », à moins qu’il ne s’agisse des cordes stridentes et lancinantes de Bernard Herrmann…

Et partout, on s’interroge sur l’auteur du drame.

Est-ce Zevs, l’artiste déjà coutumier d’« Art Crimes » en tout genre, d’attaques visuelles, de kidnapping d’icône publicitaire, et autres violences contre le tranquille ordonnancement urbain ? Ou Norman Bates, ou encore quelque magnat de banque d’affaires en déroute… Patrick Bateman peut-être, ou alors le patron d’un de ces trusts industriels inondant le monde de leurs productions ?

 

C’est à ce genre de jeu de piste, de thriller autant politique que psychologique, que nous convie Zevs ici. Un thriller aux indices principalement cinématographiques.

Zevs, enfant de Warhol et de la Pop culture, mais conscient de ses ambiguïtés et de ses limites, aime les images. A commencer par celles du cinéma, qui véhiculent autant sinon davantage que toutes autres une forme de vérité sur le monde. Son travail a toujours été traversé de références cinématographiques, comme une manière de poser les jalons d’une opera, d’une œuvre vécue comme une dramaturgie. Pour lui, tous les espaces qu’il investit, la rue comme la galerie ou le musée, sont les lieux possibles d’une histoire, d’un scénario. La plupart de ses actions, projets, vidéos, performances sont minutieusement écrits, empruntant leurs codes esthétiques au cinéma expressionniste, au film de super-héros, au film indépendant ou au film noir, multipliant les croisements et les références. Mais ces emprunts formels ou stylistiques n’ont réellement de portée qui si l’on veut bien considérer ce qu’ils sous-tendent. Ici, sous la figure tutélaire d’Hitchcock, ou au travers du clin d’œil à l’univers de l’ « American Psycho » de Bret Easton Ellis (roman adapté au cinéma par Mary Harron en 2000), se tisse une toile sémiologique, dans laquelle le monde de la finance et ses crises, que Zevs évoque directement, se cristallisent dans la névrose. Si l’artiste s’attaque sans détour à l’univers des multinationales et des banques d’affaires, c’est que le règne du cynisme y est à son climax, et que rien ne peut réguler cette adoration du dollar, non plus grâce divine mais veau d’or, devenue la plus contemporaine des pathologies.

 

L’épistémologie* moderne montre bien comment la pathologie se définit comme une disruption dans l’ordre vital, un état de crise au sens propre, qui ne s’inscrit pourtant pas en contradiction avec la norme, mais comme un dérivé possible et naturel de la norme. D’une certaine manière, Patrick Bateman, le sérial killer de Ellis, est une émanation naturelle du système, la crise financière, un moment nécessaire de l’histoire du capitalisme et un état transitoire de la post-modernité. Zevs a l’intuition de cette ambivalence, en choisissant de se référer à des personnages criminels pour exprimer la violence pathologique de la crise, mais aussi en se servant des images que produit la société de marché et de consommation non pour les réduire à néant, mais pour y ouvrir une faille, les inciser et  en exprimer la maladie par la liquéfaction, comme on ouvre une plaie purulente.

Les drippings de peinture coulant sur les toiles aux logos liquidés, à l’impact visuel si fort, et qui font aujourd’hui la signature de Zevs, rappellent dans ce contexte la puissance graphique du Saul Bass de « Psycho », évoquant l’enfermement physique autant que cette déliquescence des psychismes.

Le logotype, quant à lui, est un média puissant, par son esthétique symbolique, son pouvoir d'analogon, immédiatement identifiable, rattaché à un produit et à un imaginaire précis. Depuis 2005, Zevs s’emploie à en « liquider » méthodiquement les plus emblématiques. En les rendant « liquides », il s'attaque visuellement à leur fonction symbolique et en interroge le pouvoir. Clé de voûte de l'identité d'une marque, s'immisçant durablement dans le paysage affectif des individus, le logo est un  réel « vendeur silencieux ». En liquidant le logo de Vuitton ou de Nike, tous les deux immédiatement reconnaissables, l’artiste s'attaque à tout un réseau de signes de reconnaissance, de codes sociaux, de significations et d'émotions. Le logo synthétise un monde. La transfiguration du logo par liquidation renvoie, par une contre-force suggestive, à la surconsommation, à la tyrannie de la publicité, du paraître et des codes.

Dans le même temps, Zevs manifeste, par cette opération, la perversion du sens que constitue ce signe, ou comment le « logos » de la connaissance se voit éclipsé au profit du « logo » commercial. Jeu de mot pour dire comment le sens de la communication et du marketing se substitue à la quête de sens,  comment un système de valeurs fondé sur le désir d’avoir et la pensée calculatrice l’emporte sur les champs du savoir et de la pensée rationnelle. Le logo commercial élabore des mythes, que le logos n’a plus la force de détruire.

Cette liquidation en règle des logos renvoie ainsi avec acuité au propos de Roland Barthes, constatant, avec la pensée structuraliste, le rapport conflictuel, si ce n’est le hiatus, dans la société contemporaine, entre la pensée et la mythologie. Il s’agit de pointer la façon dont les « représentations collectives », produits de notre société et de notre histoire, pour reprendre le terme de Barthes, sont développées comme outils idéologiques par le pouvoir, les médias et les valeurs d’ordre : Autant d’instances que Zeus examine et questionne dans son travail en les maltraitant, qu’il s’agisse des symboles monétaires, des logos des medias, du graphisme des noms des marques ou des banques, ou de ses attaques contre l’ordre urbain.

 

La menace plane toujours…Sur fond de Wall Street Journal, l’ombre des oiseaux, ceux d’Hitchcock, se profilent. Alors le crime peut être soudain, frapper aveuglément. A l’instar de ceux du film, ces oiseaux s’inscrivent comme métaphore de conflits essentiels, entre l’ordre et le chaos, le réel et le possible. Leur présence fugitive ne profile pas tant une parabole apocalyptique du danger et des déséquilibres engendrés par la crise et la folie des traders, que l’idée d’une fragilité de l’individu dans la société, d’une illusion de puissance, face au pouvoir réel des puissances financières. Mais nier la menace ne la rend ni inopérante, ni invisible.

De la même manière que les images véhiculées par les médias manipulent les opinions et le regard porté sur les objets, Zevs manipule et déconstruit l’image pour en mettre justement en lumière les arcanes, les ficelles, les présupposés signifiants. Il extirpe peu à peu une sorte de sémiologie implicite et critique de ces images qui font et décrivent le monde, et c’est dans ce dévoilement que se situe la subversion de son travail. En offrant au regard une vision du monde en « Version liquidée », il entend nous mettre en alerte, nous enjoindre à garder l’œil ouvert, nous décille à la manière du « Chien Andalou ».  

 

Le travail de Zevs relève donc bien davantage de la « déconstruction », pour reprendre le terme cher à Derrida, que de la destruction. Dans son souci récurrent de faire remonter l’invisible au visible, de l’envers des rues au soubassements de la publicité, il s’agit bien de mettre au jour ces fondements implicites qui justifient la hiérarchie du système pour, par son acte artistique, en travailler les écarts jusqu’au basculement, renverser l’ordre, et, en définitive, intervenir sur « ce qui reste ». Ce planisphère liquidé que montre Zevs («Global liquidation multicolor », 2011) signe la fin annoncée, et peut-être nécessaire, d’un monde, celui de la raison instrumentale, de l’impérialisme de l’économie mondiale, d’une manière de vivre ce monde, dont la crise financière aura rendu la fragilité particulièrement accrue et sensible.

 

Mais la réflexion de Zevs sur l’état de ce monde se garde bien de tout manichéisme.

Ainsi assume-t-il les ambiguïtés de son travail, depuis la manière dont il s’approprie les logos pour produire son œuvre, jusqu'à la ré-esthétisation du signe, contribuant à lui confirmer son statut d'objet esthétique. Il a parfaitement conscience de la manière dont les marques, ayant remarqué son travail sans en éluder l’aspect critique, s’en inspirent, tentant ainsi d'intégrer le négatif pour le synthétiser en une émanation nouvelle de leur créativité. Il sait aussi comment les images qu’il produit seront aspirées dans le vortex du monde médiatique, retaillées, remaniées puis relâchées dans d’autres publicités, des images nouvelles…

 

En France, sur les vitrines des magasins, on voit parfois, se détachant sur le blanc d’Espagne, des banderoles indiquant « Liquidation totale avant travaux »…Une autre voie, d’autres possibles, sont possibles. Ce qu’affirme Zevs au détour de ces symboles liquidés, c’est que la crise est en soi la première étape d’une résolution, qu’une action curative est possible. Ni dogmatique, ni nihiliste, il laissera à l’acquéreur d’une de ses « Five Fabulous » (« The Five Fabulous »- Private Bank Series, 2010-2011) le soin de choisir d’en finir, ou non, avec le cynisme des banques d’affaires.

Alors à la fin, lorsque le traditionnel « the End » des  films hollywoodiens se détache sur l’écran d’une télévision rongée de bitume sur fond de Bloomberg TV (« Perpetual Ending », 2006-2011), de quoi est-ce réellement la fin ? Celle de l’histoire d’un monde gouverné par les oscillations boursières, à la merci de l’avidité de quelques uns ? La dernière crise économique et financière mondiale n’a pas encore signé la fin de l’Histoire, celle dont Fukuyama, après Hegel, pensait voir l’issue dans la résolution des conflits idéologiques. Le sens de l’Histoire doit encore s’écrire comme une Histoire du sens.

Dans sa « Liquidated Version », Zevs décrit et dénonce un état du monde contemporain, mais il n’est pas assez utopiste – naïf ?- pour nous en raconter la fin. Il suggère seulement qu’il nous faut chercher dans le sens des images avec lesquelles nous vivons, et dans la manière dont nous pouvons les retourner, les dérouter, les déconstruire, des indices comme une ultime tentative de se réapproprier ce monde. Car à la fin, le meurtrier sera-t-il arrêté dans sa course criminelle ? La fin n’est pas toujours un « happy end », et parfois, suspensive, comme dans la plupart des films d’Hitchcock. Le doute peut alors continuer, infiniment, de planer.

 

 

ZEVS - "Liquidated Version" - Du 24 février au 7 avril 2011

DE BUCK Gallery - 

511 West 25th Street, Suite 502 

New York, NY 10001 

USA

www.gallerydebuck.com

 

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 00:00

 

Dans le cadre du "Parcours céramique", parcours touffu et éclectique dans les salles du Musée des Arts Décoratifs, sont donc exposés les casques de chantier en porcelaine de Mounir Fatmi, sous le titre "Les monuments".

 

monumentsa.jpg

 

Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Jean Baudrillard, Georges Bataille, Walter Benjamin, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Pierre Bourdieu... autant de noms d’intellectuels, de penseurs de la modernité occidentale, qui ont construit la plupart des théories, des systèmes, des critiques, des structures idéologiques avec ou contre lesquels s’est construit le monde contemporain. Par leur manière de porter un regard toujours critique parfois révolutionnaire sur l’éthique, la politique, la sociologie, l’épistémologie, l’art ou le langage, ces hommes sont les bâtisseurs de la pensée moderne et post-moderne.

Leurs noms inscrits sur des casques de chantier suggèrent immédiatement la notion de construction, et fournissent d’emblée le moyen plastique de créer un lien avec l’architecture, qui dépasse ici la notion de mode de construction du bâti, mais opère un glissement vers un mode de formalisation de la pensée, de son histoire, de ses connexions. Si la pensée est à la fois construction et matière à construire, les systèmes de pensée s’édifient en architectures. D’ autres formes d’architecture.

Le parallèle entre le travail de l’ouvrier, et l’ouvrage que constitue la structuration d’une pensée, d’une théorie, d’un système philosophique se fait ici évident.

C’est ainsi bien à dessein que Derrida employait le terme de « déconstruction » quand il s’agissait de déstructurer les modes de pensée occidentaux hiérarchisants.

Mais l’espace sémantique des Monuments ne se limite pas à ce parallèle et la métaphore se file en réseau polysémique.

Le casque de chantier ne renvoie pas seulement à l’idée du penseur-bâtisseur, il signifie aussi ce qui est « en voie de construction ». Autrement dit la pensée en mouvement, en perpétuelle construction, reconstruction, déconstruction est un vaste chantier. C’est là l’essence même de la pensée, que de se déployer dans ce continuum nécessairement inachevé. Ce chantier permanent traduit la dimension fondamentalement critique de la pensée, dans la capacité qu’à l’homme de remettre en question ce à quoi il pensait un jour avoir répondu, dans cette curiosité sans cesse nourrie de la vision de l’univers, dans cette aptitude à hypostasier les raisons du monde, à bâtir des systèmes explicatifs, à s’interroger encore et encore sur le sens et la valeur de la condition humaine, à transformer les faits en problèmes, à ne pas se suffire du réel. On reconnaît ici le refus de mounir fatmi de la pensée totalisante –ou totalitaire-, des systèmes clos et des préjugés auxquels conduit l’ignorance.

Les monuments semblent rappeler la nécessité, plus que jamais, de laisser parler, d’écouter, de lire, ce que peuvent avoir à dire sur le monde ces « ouvriers de la pensée ».

Si ces penseurs sont des monuments, ce sont des monuments fragiles. Sur leurs chantiers aussi le port du casque est obligatoire car de tels chantiers sont éminemment dangereux. Si à première vue, l’idée que ces casques soient faits pour protéger leur outil de travail peut être perçue comme une boutade, elle révèle en fait cette fragilité de la pensée, menacée par l’ignorance, l’incompréhension, la violence du dogmatisme, l’aveuglement de l’illusion ; tout penseur reste toujours, d’une manière ou d’une autre, dans cette solitude et ce risque mortels de la caverne platonicienne.

Les penseurs sont des monuments fragiles et il faudrait en réalité bien plus qu’un casque pour les protéger car les chantiers qu’ils mettent en œuvre sont toujours menaçants pour les idolâtres, les philistins, les contempteurs de l’intelligence, les candides de toute sorte, et plus encore pour les dictateurs, tyrans et autres despotes pour qui le paternalisme dogmatique et l’ignorance populaire garantissent la perdurance du pouvoir.

Dans sa version de porcelaine, la vulnérabilité des ces Monuments est renforcée, dans ce paradoxe d’un objet censé protéger bien que lui-même si fragile.

Fragilité de la pensée, aussi, en ce qu’elle peut avoir de perverti. Car ne nous y trompons pas : la crise intellectuelle que nous traversons n’est pas tant une faillite de la pensée en tant que telle qu’une crise éthique. Le triomphe du capitalisme sauvage, de l’économie de profit, de la globalisation médiatique, conduisant à une anti-morale de l’instrumentalisation, voire de la réification de l’humain, ne résultent nullement de l’absence de pensée mais au contraire d’une réflexion choisie, et orientée, à laquelle Sun Zi, Machiavel, Thomas Hobbes, Hegel, Malthus, Nietzsche, Auguste Comte ou Adam Smith ne sont pas étrangers.

Alors, les casques d’ouvriers marqués au nom de nos penseurs, abandonnés en tas proliférants comme si le chantier avait été déserté, semblent manifester l’urgence de se remettre au travail, et d’opposer à nouveau une Pensée, humaniste si c’est encore possible, au règne du cynisme et de la matière consommable.

 

Texte publié dans le catalogue de "Circuits Céramiques- Une scène française contemporaine" - Musée des Arts Décoratifs, Paris - Ed. Musée des Arts Décoratifs - ISBN: 978-2-916914-22 

D'autres textes sur le site de l'artiste www.mounirfatmi.com

 

"Parcours Céramiques- La scène française contemporaine" - Commissaire: Frédéric Bodet- Musée des Arts Décoratifs, rue de Rivoli- Paris 2ème  - du 10 septembre 2010 au 20 février 2011-

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 11:48

2011 I "The fish inside me" - Yassine Balbzioui- Préface bilingue du catalogue de l'exposition - Shakers! Lieux d'effervescence/ Château de la Louvière - mars 2011 I "Liquidated Version- ZEVS- Catalogue de l'exposition (Avec aussi des textes de Carlo Mc Cormick et Stéphane Malysse) Février 2011- De Buck Gallery, NY, NY USA

 

2010 I "Circuits céramiques - La scène française contemporaine" - Texte pour mounir fatmi "Les monuments" dans le catalogue de l'exposition - Commissaire : Frédéric Bodet - Musée des Arts Décoratifs, Paris - septembre 2010- février 2011-  Ed. Les Arts Décoratifs - ISBN: 978-2-916914-22 I Institutsbuch II- des Instituts für Heil & Sonderpädagogik" - Michaela Spiegel - Adaptation des textes en français - Ed. Vice versa verlag, Berlin - ISBN: 978-3-932809-67-5 I Christophe de Fabry - Préface du catalogue de son exposition "Portraits identifiables" - Galerie Deborah Zafman, Paris - ISBN: 978-2-9519326-0-9 I "Figure libre - Quand l'art détourne le sport" - catalogue de l'exposition, octobre-novembre 2010, La Salle d'Exposition - Ville de Guyancourt (78) - Commissariat: Marie Deparis-Yafil et Isabelle Vernhes-Lebaupain/ Agence Pop (Avec Sophie Dalla Rosa, Amélie Deschamps & Capucine Vever, Marie Denis, Dominique Dubois, Massimo Furlan, Cyril Hatt, Thomas Jouanneau, Alfredo Lopez, Luna, Sébastien Lecca, Edouard Levé, Bruno Peinado, Laurent Perbos, Guillaume Poulain, Emmanuel Régent, Chloé Ruchon, Lionel Scoccimaro, Ernesto Timor, Laurent Tixador)

2009 I Gérard Charruau - Préface du catalogue de son exposition "Portraits du Caire" - Sibman Gallery, Paris I Sylvie Kaptur-Gintz - texte pour "Port-Royal" édité dans le catalogue "Le regard des autres", 4ème Biennale armoricaine d'Art Contemporain, octobre-novembre 2009 I Thierry Schoenenwald - texte édité dans le catalogue du salon "Les Grands Maitres de demain" - Art+Europe- Carrousel du Louvre- Septembre 2009 I "Zevs" - Article pour le magazine Juxtapoz (magazine US) numéro de septembre 2009 I Catalogue du Parcours Saint Germain "Play Time"- Extrait de texte pour " A bas les cieux" de Naji Kamouche - Chapelle des Beaux-Arts I "De la couleur au trait - 40 ans de figuration" - Texte pour Luna dans le catalogue de l'exposition - Commissaires : Marie Christine Janos et Michel Garcia-Luna - Conseil Général de la Dordogne - Espace Culturel François Miterrand- Périgueux (24) de juin à septembre 2009 (Avec Bernard Rancillac, Peter Klasen, Jacques Monory, Erro, Rebecca Bournigault, Damien Deroubaix, Hervé Di Rosa,  Robert Combas...) I "Sayaka Shoji" - Texte pour le catalogue de son exposition à la galerie PUNCTUM, Tokyo  (Japon) en mai 2009 I « mounir fatmi » - Texte pour le catalogue de l'exposition « Looking inside out » - Commissariat : Maaretta Jaukkuri (Avec des textes de Seloua Luste Boulbina et Simon Njami), Kunstnerned Hus, Oslo (Norvège) I « Seconde peau, seconde vie » - catalogue de l'exposition, mars-avril 2009, La Salle d'exposition - Ville de Guyancourt (78) - Commissariat : Marie Deparis-Yafil et Isabelle Lebaupain/ Agence Pop (Avec Barthélémy Toguo, Ghyslain Bertholon, Zevs, Lucie Duval, Mouna Karray, Vanessa Fanuele, Sylvie Kaptur Gintz, Miguel Angel Molina, Suntta Li...) I « Zevs » - Article pour le magazine Etapes Graphiques N°166 - Mars 2009


2008
I « Le jeu, fantaisies politiques » - XiuYi Shen, peintre (France-Chine) : catalogue bilingue, en collaboration avec la galerie Marie Demange, Paris I « Paysages politiques, paysages contemporains » - Catalogue trilingue de l'exposition, mai 2008, Basilique Agios Markos, Héraklion, Crète-Grèce - Commissariat : Marie Deparis et Mary-Jane Schumacher I « Hard head l Tête dure » - Mounir Fatmi, plasticien (Maroc) - Textes « Les connexions » et « Les voleurs » (Avec des textes de Mounir Fatmi, Evelyne Toussaint, Paul Ardenne et une interview de David Hilliard)- Édition Rijksakademie van beeldende kunsten, Amsterdam - juin 2008 - ISBN : 978-90-78681-06-9 I « Clair-Obscur » -Jean-François Chavanne, photographe (France)- Port-folio édité en 200 exemplaires avec tiré à part pour l'exposition de l'artiste à la Galerie Schoffel-Valluet, Paris 6e I « Racines 02 » - Catalogue de l'exposition- Hôtel du Département, Strasbourg - Commissariat : Mary-Jane Schumacher et Marie Deparis


2007
I « Découpages » - Marie Hélène Roger, peintre (France) : Préface du catalogue, Editions Lelivredart, juin 2007 I « American dreams » - Arietti, peintre (France) : Préface du catalogue, Galerie Ariel Sibony, juin 2007 - ISBN : 2-914312-24-5 I « Tigrane 1987-2007 » - Tigrane, peintre, sculpteur (France) : monographie bilingue (français-anglais), septembre 2007 - Editions Assart- ISBN 978-2-9530129-0-3   I « Secrets de collections lilloises » : catalogue de l'exposition, décembre 2007, Musée de l'Hospice Comtesse, Lille - Commissariat : Caroline David, Directrice des Arts Visuels et Alain Tapié, Conservateur des Musées de Lille (Avec Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Roman Cieszlewsik, Nan Goldin, Pierre-Yves Bohm, Fabrice Hyber... -) ISBN : 978-2-9530789 I « Histoires improbables » - Catherine Wagner Dudenhoeffer-  Editions Lelivredart, novembre 2007


2006 I
« La mélancolie de la résine » -  François Fries, Galerie Charlotte Norberg, Paris I « Futurotextiles », Lille3000 -  Commissariat : Caroline David - Catalogue de l'exposition au Tri Postal, Lille


2005 I
« Histoires d'arbres », catalogue de l'exposition au Centre Régional d'Art Contemporain de Fontenoy, Bourgogne, juillet 2005 - Texte pour « Les liens », installation de Dimitri Xenakis, plasticien (France-Grèce)


2004 I
« La Cité Idéale », Lille 2004 - Une sélection de projets réalisés dans les établissements scolaires de l'Académie de Lille, livret distribué dans l'ensemble des structures culturelles, mairies et établissements de l'Académie. I Participation au catalogue « Gonflables ! », Lille 2004 - Commissariat : Caroline David pour Lille2004

 

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