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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 22:47

 

Dans ce monde de compétitivité, qui est celui du sport comme le nôtre au quotidien, le dépassement de soi et des autres, le record et la sur performance se développent. Le culte de l’extrême et du dépassement des limites font de l’exploit un acte logique.

Dans le détournement, les artistes, faisant appel à l’humour, au non-sens et au sens de l’absurde, remettent ainsi en question le véritable sens de la performance, comme une expérience du monde, dont le décalage fait œuvre.

 

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longball.jpgS’il est un objet sportif familier, c’est bien le ballon de foot ! Aussi, lorsque Laurent Perbos décide de s’attaquer au record du « plus long ballon du monde », en créant un objet comme génétiquement modifié, il « projette directement le spectateur dans une situation surréaliste », face à cette métamorphose inattendue. Est-ce encore un ballon s’il n’est plus jouable ? Est-il alors devenu une œuvre d’art ? Et sa forme devenue virile n’est-elle pas une manière de moquer le machisme de l’univers footballistique ? Mais surtout : pourquoi vouloir établir un tel record, a priori absurde ? Laurent Perbos explique : « Je détiens plusieurs records du monde. Par ce biais, je tente de montrer que chaque individu est exceptionnel, il suffit juste de savoir en quoi. De façon obsessionnelle, je répète, j’amplifie un acte ordinaire, aussi simple que celui de mettre un chapeau par exemple, afin que le résultat devienne à son tour contraire à l’usage, hors du commun, insolite. Je transgresse l’acte de valeur, l’action difficile et digne d’admiration, l’exploit, en métamorphosant l’acte dit « banal ». (…) Le record n’est autre que la matérialisation d’un acte ordinaire exagéré. L’histoire des records du monde que je développe dans mon travail est une métaphore de l’œuvre d’art. Certaines caractéristiques du record sont en tous points similaires à celles de l’œuvre d’art : unique, exclusif, rare, insolite... Mes pièces sont quand même plus des œuvres que des records, la prouesse n’est qu’un mobile pour produire de l’art. Donc pour produire il faut que je batte les records précédents, c’est un peu le but du jeu. »*

 

« Laurent Perbos travaille sur des champs et des médiums divers et diversifiés, touchant principalement à des activités de masse et de divertissement, issues de cultures populaires (tel le jeu, le sport, les records…), à ce qu'il appelle des « mythologies sociales ». Usant des déplacements et des décalages pour mettre en question son environnement et perturber l'ordinaire, il fait du détournement un véritable système de travail ».**

Par cette manière de détourner les codes, de s’éloigner de la raison d’être et des règles des jeux et des objets, Laurent Perbos donne à réfléchir sur des enjeux sociaux tels que la soumission à la norme, la compétitivité, la performance, ou l’échec. Une « extension du réel » qui, derrière une stratégie d’ironie, est peut-être plus sérieuse qu’il n’y paraît.

Cette attitude de dérision et d’idiotie, en tant que manière de lutter contre l’esprit de sérieux et forme subtile de subversion, le pousse donc à briguer au Guiness Book quelques titres des plus absurdes. Ainsi, le 18 janvier 1997, à Bordeaux, il réalise le record du monde du plus grand nombre de bonnets mis sur la tête, soit 51 bonnets, ainsi que le record du plus grand nombre de blousons portés les uns sur les autres, avec 37 blousons. Dans le même ordre, il est également l’heureux détenteur du plus grand nombre de petits pois mis côte à côte (551 980). Par ces activités absurdes, en dissonance avec la rationalité du monde réel contemporain, il projette, au-delà de l’échappée poétique, un monde des possibles qui, lui, reste encore à construire.

 

* Entretien avec Valérie Paillé

** Leila Quillacq, pour l'exposition «Marseille Artistes Associés 1977-2007» au Musée d'Art Contemporain de Marseille, 2007."

 

(Texte extrait du catalogue de l'exposition)

 

Le plus long ballon du monde - Ballon de football en cuir- 175 x 35 x 35 cm -– 2003 – Acquisition Domaine de Chamarande, 2004 – N° d’inv : 2004.1.6

Photo: courtesy Laurent Perbos

 

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29 octobre 2010 5 29 /10 /octobre /2010 22:50

 

COVER-INSTITUTSBUCH-M.SPIEGEL-copie-1.jpg

 

 

Nous avons travaillé dessus de longs mois et le voici: le deuxième tome de l'ouvrage de l'"Instituts für Heil & Sonderpädagogik", autrement dit difficilement traduisible mais quelque chose comme "Institut pédagogique de guérison pour les enfants perturbés"..., est sorti.

 

Ici, l'artiste autrichienne Michaela Spiegel y livre avec un humour féroce sa vision personnelle et engagée de l'histoire des femmes et du féminisme. 

 

A propos du travail de Michaela Spiegel, j'écrivais, il y a quelques temps:

"Depuis près de vingt ans, Michaela Spiegel explore plastiquement les multiples et complexes facettes de la condition féminine, au travers de peintures, collages, photomontages, de samples d’images et de vidéos.

Avec une ironie mordante semblable à celle du cynique Antisthène cherchant dans les rues d’Athènes, lanterne éclairée en plein jour, l’essence d’Homme proclamée par Socrate, Michaela Spiegel défend l’inessentialité de « La » Femme. Dans une posture résolument existentialiste, l’artiste entend déconstruire, avec un sens de l’humour aigu et subversif, la mythologie de La Femme, d’une supposée « nature féminine », de ses attributs et de ses qualités, pour ne retenir de la femme que ce qu’elle n’est substantiellement : un individu, défini par des marquages culturels et psychologiques, dont il importe, pour l’artiste, de se libérer ."

 

j'ai eu grand plaisir à travailler avec Michaela à l'adaptation en français de ses textes aux jeux de mots aussi délicats qu'intraduisibles, toujours emprunts d'une réjouissante folie à l'esprit dada mâtiné de Mme de Rotschild!

 

"Institutsbuch II - des Instituts für Heil & Sonderpädagogik"- Michaela Spiegel - Edition trilingue allemand-français-anglais (Texte allemand: Michaela Spiegel - texte français: Marie Deparis-Yafil - texte anglais: -)

Edition Vice versa verlag - Berlin

ISBN: 978-3-932809-67-5

35 €

 

 

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 22:34

 

J'étais allée l'année dernière à Main d'Oeuvres, à St Ouen, découvrir les travaux des étudiants de l'ENSAPC, suite au workshop dirigé par Michel Delacroix, de Chez Robert, qu'on ne présente plus.

J'y avais repéré le travail de Capucine Vever, "Catch the Pieces". Aussi, quand l'idée est venue de cette exposition sur le sport, j'ai repensé à Capucine. Bien m'en a pris. S'assurant de la collaboration d'Amélie Deschamps, Capucine a réalisé, avec Amélie, un travail de construction d'une mythologie assez remarquable.

On ne peut aussi que les remercier pour leur investissement sans faille dans ce projet, leur enthousiasme, leur efficacité et leur sens du jeu.

 

"

cap et aOfficexpo et Ferir Ligue B se présentent sous la forme d’une installation et de l’édition en série limitée d’un album, évoquant pour l’un un bureau de fédération sportive et pour l’autre les fameux albums de vignettes de sportifs qu’affectionnent et collectionnent les enfants. Ferir Ligue B, anagramme* du nom de l’exposition FIGURE LIBRE, joue sur le sens du terme médiéval férir**. Cet album est l’émanation du projet Fedexpo, qui est également composé d’un bureau itinérant baptisé Officexpo. Fedexpo se présente comme un mode d’interprétation des expositions « adhérant » à la Fédération, générant une fiction retranscrite sous la forme d’album et de vignettes à collectionner.

Ici, au travers du propos général de FIGURE LIBRE, Amélie Deschamps et Capucine Vever se sont intéressées aux mythologies qui fondent l’univers du catch et s’y construisent. Elles ont imaginé des personnages, semblables aux personnages de catch, avec leur histoire, leur manichéisme et leur mythologie. Elles produisent ainsi une fiction à la manière d’un tournoi sportif en proposant 22 figurines créées à partir des anagrammes des noms des artistes et des commissaires de l’exposition. Chaque figurine-personnage fait l’objet d’une vignette que les visiteurs peuvent collectionner et placer dans l’album qu’ils pourront acquérir, créant ainsi les conditions de développement de leur propre tournoi. Durant l’exposition, l’Officexpo propose une permanence du bureau de la Fédération au sein même de la Salle d’exposition, qui permet de découvrir les catcheurs de Ferir Ligue B, leurs mythologies et leur histoire, et de prendre contact avec Fedexpo, la fédération (sportive) des expos !

 

 

Amélie Deschamps et Capucine Vever sont toutes les deux récemment issues de l’Ecole Supérieure d’Art de Cergy. Les recherches formelles de Capucine Vever la conduisent, à la fin de son cursus, à prendre en compte « la notion de réseau au sein d’un rapport d’échelle ». Ses pièces, souvent réalisées de manière contextuelle, se font écho, en liant entre elles des mythes, des légendes et des peurs contemporaines. En activant ces différents réseaux, en traitant des questions de la communication et de la contamination, son travail, qui peut se traduire en objet, édition, sculpture monumentale, site internet communautaire, vidéo ou pièce sonore, porte sur la mise en relation des codes constitutifs de différentes communautés à priori hétérogènes.

La démarche d’Amélie Deschamps se fonde, quant à elle, sur l’observation des fonctionnements communautaires, principalement par immersion dans un milieu donné. Si elle choisit la prise de vue et de son de type documentaire, qui produit une représentation d'une réalité à priori indépendante de toute mise en scène, pour collecter la matière « brute », le traitement de cette matière constitue le cœur de sa démarche. Ces banques sonores et visuelles, utilisées comme des samples, génèrent des fictions, des installations sonores, des vidéos ainsi que des performances, qui ont pris une place prépondérante dans son travail. Ces pièces « performatives », à l’inverse des pièces sonores, ont tendance à reproduire le schéma de fonctionnement d’une communauté par mimétisme retravaillé. Elles engendrent à la fois des collaborations avec d’autres artistes, des musiciens, et avec les acteurs de ces performances.

 

 

*Anagramme : renversement de lettres. Construction qui inverse les lettres d’un mot ou groupe de mots.

** Le verbe férir prend son origine au Moyen Age. Il signifie frapper, par analogie avec l’arme en fer du combattant. On disait aussi croiser le fer."

 

Texte extrait du catalogue de l'exposition.

 

Les albums de Ferir Ligue B, ainsi que les stickers, par lot de 5, présentés à l’Officexpo sont vendus le temps de l’exposition à la Maison de la Presse de Villaroy/Guyancourt. En édition limitée et numérotés.

 

 

 

 

Remerciements à l'ENSAPC pour son soutien dans la réalisation technique de "Ferir Ligue B"

 

tap-ok-tap-copie-1.jpg

 

A l’occasion du vernissage de l’exposition FIGURE LIBRE, Amélie Deschamps a ré-initié sa performance Tap’ok’tap; où il est question de jeu de balle, de mayas, de claquettes, d'absurde et de mise à mort...

 

Photo 1: Capucine Vever font la permanence au bureau de la Fedexpo

Photo 2: Performance "Tap ok Tap", initié par Amélie Deschamps

 

 

 

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11 octobre 2010 1 11 /10 /octobre /2010 19:49

Détournement d’icônes

 

Mélanger l’art et la vie : devenir l’espace d’un instant une star du football, prendre la place des nouvelles icônes que sont devenus les sportifs de haut niveau, réfléchir sur le pouvoir des logos...

 

Chloé Ruchon est davantage designeuse que plasticienne, même si son rapport à l'objet s'en rapproche et que les frontières entre art et design sont parfois ténues. Ce BarbieFoot, montré autant chez Colette qu'à la Biennale de Lyon, connait un succès international. Pour les connaisseurs, il faut savoir qu'il s'agit d'un vrai Babyfoot, fabriqué chez Bonzini, référence du genre!

 

arton2189.jpg"Pièce quasi-monumentale, le Barbie Foot de Chloé Ruchon est un baby-foot dont les traditionnels joueurs en aluminium ont été remplacés par les mythiques poupées Barbie, en tenue de footballeuse. Ce Barbie Foot oppose et réunit deux univers a priori inconciliables.

D’un côté, l’univers du football, viril, parfois violent, peu enclin à la sophistication et au glamour à paillettes. Et puis le monde du baby-foot, qui, s’il est aussi un sport, symbolise l’atmosphère des cafés, l’adolescence et le lycée.

De l’autre, le monde rose bonbon, lisse et joli, de la poupée Barbie mondialement connue, rêve de séduction et d’ultra-féminité pour des millions de petites filles.

En remplaçant les joueurs par de jolies poupées, Chloé Ruchon fait voler en éclat les stéréotypes du masculin/féminin et les codes qui les régissent. Mais elle induit aussi une réflexion plus fine sur la notion de compétition, non seulement entre les sexes, mais au cœur même de l’image de la féminité que véhiculent des icônes telles que la poupée Barbie.

 

Chloé Ruchon est une jeune designer free lance, diplômée en design d’objet de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. Le Barbie Foot a constitué son projet de fin d’étude, réalisé en partenariat avec la société Bonzini et la marque Barbie - Mattel. Cette oeuvre a déjà été présentée au DMY, Festival International de Design à Berlin, au magasin Colette à Paris, à Metz lors de la Nuit Blanche 2009, ainsi qu’à Lyon, dans le cadre de la Biennale Off d’Art Contemporain.

Le travail de Chloé Ruchon est axé autour d’une réflexion sur les codes et les fonctions des objets caractéristiques de la société contemporaine, et sur la manière de les manipuler ou de les détourner, toujours avec humour ou ironie, en connectant des mondes hétérogènes."

 

(texte extrait du catalogue)

Oeuvre réalisée en collaboration avec Bonzini et Mattel

 

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10 octobre 2010 7 10 /10 /octobre /2010 15:28

Détournement d’icônes

 

Mélanger l’art et la vie : devenir l’espace d’un instant une star du football, prendre la place des nouvelles icônes que sont devenus les sportifs de haut niveau, réfléchir sur le pouvoir des logos...

 

J'avais découvert le travail de Cyril Hatt à Slick l'année dernière, et j'avais retenu de ses étonnants volumes photographiques une impression d densité qui était trompeuse, car il n'y a rien de plus léger que ces objets, et cela renforce l'étrangeté de ces oeuvres au réalisme malmené.

Nous avons choisi de montrer plusieurs oeuvres de Cyril Hatt dans l'exposition, et, en particulier dans cette première partie, un ensemble de "chaussures à logo", comme une interrogation sur cette sorte de hiatus entre le fantasme du logo, et la réalité de l'objet.

 

hatt-shoes.jpg"Une fois passé le moment de perplexité et d’étonnement face aux objets réalistes mais étrangement usés de Cyril Hatt, on saisit à quel jeu sculptural, autour de l’illusion de l’image, de la matière, de la densité et des volumes, l’artiste nous convie. Cyril Hatt s’approprie des objets du quotidien, souvent issus de la culture populaire - une bicyclette, un tee-shirt - ou de l’univers de la rue - comme le skate-board -, à la fois ordinaires et anodins, si quotidiens qu’on ne les voit plus. Il les fait renaître sous notre regard, dans la reconnaissance troublée de cette réalité, à la fois étrange et familière.

Avec ses chaussures de sport « à logo », il présente des objets de désir « presque » à l’identique, mais qui, contrairement à une contrefaçon, se trouvent vidés de leur substance, de leur valeur marchande. « Peau » de l’objet ou simulacre, l’artefact, avec ses sutures visibles, se trouve privé d’une certaine manière de son pouvoir de séduction, montrant comme l’envers de son décor, sa métaphore négative.

 

Travaillant depuis longtemps sur la matière photographique, Cyril Hatt produit des « volumes photographiques » depuis 2003. Pour lui, la photographie est un matériau et un moyen de détournement de l’image de l’objet. Prenant des dizaines de clichés d’un objet sous tous les angles, il en découpe les contours puis le réassemble en volume à l’aide de simples rubans adhésifs et d’agrafes. Il le recrée alors dans ses trois dimensions, opérant ainsi un glissement des dimensions. Appliquant à n’importe quel objet ce procédé de « stéréophotographie »*, Cyril Hatt peut réaliser des objets aussi impressionnants qu’un bus ou une voiture à l’échelle 1 et même des intérieurs d’appartement entiers ! Il questionne ainsi la perception de la réalité, des volumes et de la densité par des effets d’illusion. Mais dans le même temps, cette mise en volume inhabituelle de l’image photographique n’est pas une duplication hyperréaliste de l’objet. Les photographies-sculptures de Cyril Hatt, altérées et fragiles, à la fois « bricolées et sophistiquées », semblent avoir vécu. Artefacts dotés d’une certaine étrangeté, réalités sublimées, les objets sont théâtralisés, comme des reliques, devenant simulacres de notre monde quotidien, dont le réassemblage paraît en dévoiler une forme de vérité intrinsèque.

 

 

*Depuis 2003, Cyril Hatt travaille autour du procédé de stéréophotographie. « La stéréophotographie est un procédé qui permet de créer l’illusion du relief en superposant deux photographies prises d’un même objet ou lieu, mais à partir de points de vue légèrement différents, recréant la distance entre les deux yeux. C’est de centaines de points de vue qu’a besoin Cyril Hatt pour recréer le relief sans passer par l’illusion d’optique », François Bazzoli"

 

(Texte extrait du catalogue de l'exposition)

Oeuvres Courtesy Galerie Bertrand Grimont

 

On retrouvera prochainement la Galerie Bertrand Grimont et Cyril Hatt à la FIAC, cour carrée du Louvre

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9 octobre 2010 6 09 /10 /octobre /2010 22:16

Détournement d’icônes

 

Mélanger l’art et la vie : devenir l’espace d’un instant une star du football, prendre la place des nouvelles icônes que sont devenus les sportifs de haut niveau, réfléchir sur le pouvoir des logos...

 

Dans cette partie, nous avons choisi de présenter la vidéo-performance "Numéro 10" de Massimo Furlan, dans une ambiance "jour de match au salon" qui, à l'instar du propos de Furlan, rappelle notre enfance.

 

furlan.jpgDans Numéro 10, Massimo Furlan rejoue le match de la demi-finale de la Coupe du Monde de 1982, entre la France et l’Allemagne de l’Ouest, en se glissant dans la peau du numéro 10 de l’époque, Michel Platini, qui représente pour l’artiste une figure héroïque. Ce match est resté mythique en raison de l’intense suspens qui régna jusqu’à son terme, avec ses tirs au but, et de ce qui fut qualifié d’« agression » du gardien de but allemand sur le joueur français Battiston. « Aucun film au monde, aucune pièce, ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d’émotions que la demi-finale perdue de Séville », dira Michel Platini de ce match d’anthologie.

Cette performance ramène l’artiste à une période de son enfance dans laquelle il se prenait pour un champion de football. L’artiste rejoue seul et sans ballon la partie, au Parc des Princes, dans un stade vide à l’exception d’un public restreint. Il doit donc, comme un enfant le ferait lorsqu’il joue un match imaginaire, se remémorer les phases de cette rencontre historique. Ballet quelque peu fantomatique, ce n’est pas une victoire que rejoue Furlan mais une défaite, qui peut aussi être vue comme une forme de deuil des images de l’enfance, moins dans la nostalgie que dans une forme de réminiscence proustienne. Cet acte dans lequel se (re-)jouent l’absence et le grandiose, le rituel et l’absurde, semble exprimer la puissance des idoles sur l’enfance et la manière dont se construit l’imaginaire et l’identité dans ces identifications et ces admirations.

 

Massimo Furlan, artiste suisse d’origine italienne, a d’abord pratiqué la peinture, la photographie et la sculpture, pour ensuite se consacrer aux installations, à la vidéo, à la scénographie et à la performance. Il fonde d’ailleurs, en 2003, Numero 23 Prod, sa propre compagnie de production liée à cette nouvelle orientation. Furlan collabore aux scénographies de plusieurs compagnies de danse et de théâtre. Il a récemment mis en scène, en Avignon, une de ses créations théâtrales, dans laquelle il « rejoue » le concours de l’Eurovision de 1973. Ainsi, son travail repose essentiellement sur les notions de mémoire et d’oubli, liées à son enfance et à la « banalité », dit-il, de son histoire personnelle, en parallèle de l’histoire collective. Que fait-on de ses souvenirs d’enfance? Comment nourrissent-ils ce que nous devenons, qu’a-t-on perdu de nos enfances ? Si Massimo Furlan a réalisé plusieurs performances autour du football, il a aussi convoqué de nouveau les héros de son enfance, de Superman (dans le costume duquel il se promena dans les rues de Zurich ou au Parc de la Villette à Paris) à Mike Brant ou Patrick Juvet, vedettes de la chanson populaire ou de la variété, qui incarnent des figures auxquelles, petit garçon, il rêvait de s’identifier. Ainsi, ce sont toujours des éléments de sa propre vie qui, mêlant humour sans cynisme, poésie, fantasme, réinterprétation de la biographie et de la mémoire, nourrissent sans cesse son travail.

 

(Texte extrait du catalogue de l'exposition)

 

Vidéo Courtesy TutuProduction, Genève, Suisse

 

 

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10 janvier 2010 7 10 /01 /janvier /2010 18:28

J'avais rédigé il y a quelques mois ce texte pour parler du travail de dessin de Christophe de Fabry, que l'on pourra découvrir dans quelques jours, à partir du 14 janvier, à la Galerie Deborah Zafman, dans le Marais.

Portrait-Encre-et-aquarelle-CH2F-1-.jpgIl est rare qu'on puisse affirmer sans proférer de truisme qu'un artiste développe dans son oeuvre un univers très « personnel ». Car tous, d'une manière ou d'une autre, réalisent dans la création la synthèse d'une perception subjective du monde et de préoccupations dans une stratification complexe de mobiles où s'entremêlent vécu et histoire, réalité et désir, plaisir et souffrance, imagination et espoir... Mais s'il fallait illustrer cette évidence par le travail de l'un d'entre eux, les dessins à l'encre de Christophe de Fabry en serait le parangon, donnant autant à voir un pan de monde fantasmagorique que sa plus secrète intimité.

Car il n'y a sans doute dans ses dessins aucun abandon plus sincère pour l'artiste -de cette sorte d'exigence de sincérité aussi poignante que libératoire- que ces étranges personnages, caractères plus que figures, organes plus que corps, fantaisies grinçantes plus qu'histoires.

Un corpus, un bestiaire, un bréviaire, une nef des fous qui jetteraient bas les masques, comme si nos corps nos visages n'étaient que spectres et simulacres...Christophe de Fabry en atomise l'apparente bien-pensance, dévoilant, avec la plus grande ironie, et un certain sens du burlesque, une physionomie, un geste, un trait, un caractère. Voici vanité, concupiscence, fatuité, obscénité, cupidité ou luxure se révélant sous ses traits de crayon acides.

 

S'il a gardé de ses premiers essais la vivacité du tracé se déroulant, motif après motif, sur le papier, le geste a perdu de sa spontanéité brouillonne au profit d'un trait précis, puissant, presque obsessionnel. Se déploie une œuvre graphique sur le fil, comme prise dans l'urgence de la brutalité de l'émotion en même temps que travaillée jusqu'à l'extrême de lacis de lignes, rhizomes construisant peu à peu les espaces, laissant s'imposer les formes. Le travail de Christophe de Fabry, amateur de cadavres exquis, suggérerait bien tout à la fois certains aspects du dessin surréaliste, quelque chose proche d'un art brut à la Unica Zürn, au bord de l'hallucination, une plongée psychique à la Louise Bourgeois, une folie boschienne, en tout cas une certaine violence, dans ces métamorphoses du corps, ces mutations organiques, parfois habitées d'une vie grouillante.

Mais avant que toute référence, le travail de Christophe de Fabry peut s'appréhender d'abord dans sa spécificité, comme écriture de soi, spéculation, étonnement du processus échappatoire. Laissant enfin s'exprimer sans entrave sa réalité intérieure, ces visions impétueuses qu'il ne maîtrise pas, il se fait explorateur de cette « altérité de l'existence » dont parlait Lacan. Assumant la fonction cathartique de la création, les dessins de Christophe de Fabry sont autant de tentatives de réconciliation avec le je-autre, de réappropriation de soi.

 

Ainsi cette expérience personnelle et esthétique se mue-t-elle en expérience portant l'universel, transcendant le narcissisme de la démarche : les dessins de Christophe de Fabry parlent de s'affranchir de la censure, de renverser les tabous, de sortir de soi pour mieux y entrer, y vivre, y renaitre. La feuille blanche rongée de dessins se fait métaphore d'un espace psychique, un espace de libération, de réparation, de restauration de soi.

L'artiste questionne sans rien affirmer quelque chose de l'ordre du mystère des genres, de leurs permutations et de leurs polarités, des ambivalences et des ambiguités du masculin et du féminin. Expressions ou impressions érotiques, se dessine une galerie de portraits dans lequels bouches, yeux, chevelures sont aussi vulves, penis, vagins, sperme mais aussi formes informes que l'on devine vivantes, organes non répertoriés, fluides indéterminés...

Ce faisant, Christophe de Fabry, dans le grincement de son trait, ose explorer les régions sous-terraines et obscures de l'envers du monde, un monde à la fois physique et fantasmatique, dans le mystère de la cellule, de la multiplication, de la reproduction, de l'organicité, du viscéral. Ce monde qui part et parle des entrailles et qui, toujours, fascine.

 

Dans ses plus récents travaux, Christophe de Fabry matérialise, d'une certaine manière, ces ambiguités de la matière, de la forme et du fond, en expérimentant de nouveaux matériaux et de nouvelles manières. A la douceur colorée, duveteuse et tendre de la laine cardée, parfois renforcée d'un écrin d'aquarelle, l'artiste oppose et mêle la cruauté, sombre et vitale, de ses dessins à vif. Etape décisive dans son processus de création, le dessin à l'encre semble former la gamme à partir de laquelle le procédé de création à la laine cardée se fait partition, engageant progressivement l'artiste sur la voie de l'expérience esthétique d'une « inquiétante étrangeté » se métamorphosant peu à peu en Beauté.

A l'occasion de cette exposition, Christophe de Fabry présentera un livre-catalogue signé et numéroté. Ce texte se trouve en préface de ce catalogue.

Dessin encre et aquarelle- Courtesy Christophe de Fabry-

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18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 11:51

L’exposition annuelle de l’Association Florence se tiendra du 19 au 29 novembre 2009 sur les quelque 650 m 2 de l’Espace Commines à Paris.

IMAGINAIRE


Toutes les créations artistiques, d’évidence, appellent par essence à cette faculté de déborder le réel, pour l’artiste comme pour le spectateur, qu’est l’imaginaire. L’imaginaire, ou plutôt les imaginaires recouvrent des champs multiples, des territoires divers, depuis la production d’images par l’esprit aux mondes les plus oniriques, des fantasmagories les plus poétiques aux projets les plus fantaisistes.

Mais dans le monde d’aujourd’hui, quel sens prend le recours à l’imaginaire pour les artistes ? Qu’expriment les artistes contemporains en convoquant cette « fonction de l’irréel » ? Quels sentiments peuvent susciter des oeuvres empruntes de l’imaginaire de leurs créateurs ? Car le réel pouvoir de l’imaginaire ne prend-il pas véritablement corps dans la rencontre de la vision de l’artiste et du regard du spectateur ? Autant de questions que pose, en autant de propositions plastiques et conceptuelles différentes, chacun des artistes choisis par l’Association Florence, et

présentés ici.


LES 9 ARTISTES DE L’EXPOSITION


Les combinaisons de figures peintes et découpées de Dominique Gayman ouvrent à un univers baroque et insolite, entre forêt amazonienne et cabinet de curiosité. Réalisées à l’échelle 1, créant une sorte de frontalité, de proximité immédiate, ces scènes semblent évoquer tout à la fois des récits de voyage, d’expéditions lointaines, des rêves de territoires encore inexplorés et des fantasmes d’exotisme.

Chez la cosmopolite Katrin Bremermann, les univers et les moments de l’histoire de l’art s’entrelacent et se superposent. Les frontières entre l'abstraction et la figuration se dissolvent. Ainsi, bribes de réalisme parfois teintées de pop occultées par l’abstraction, aplats de couleurs primaires et lignes géométriques, les images, présentes et oblitérées à la fois, se devinent, images volées entre imaginaire et souvenirs d’un monde vécu, vu ou revu, dans des confrontations visuelles, des tensions entre illusion et réalité, transformant l’oeuvre en énigme et laissant le spectateur face à ses propres scénarios. Des formes, des gestes et des images proposent un autre langage.

Jeanne Clauteaux et Patricia de Gorostarzu, chacune à leur manière, explorent les territoires intimes et évanescents de la mémoire. Les gravures en noir et blanc, souvent à la pointe sèche, de Jeanne Clauteaux, offrent un réel potentiel émotionnel. Ses silhouettes denses et énigmatiques surgissent dans une ambiance presque cinématographique, étranges et inquiétantes, comme dans un film expressionniste, entre rêve et cauchemar, réalité et souvenir confus. Les photographies « à la chambre » de Patricia de Gorostarzu, dans leur dominante sépia, explorent des lieux de vie, chambres, salles de bains, couloirs, qui font écho en nous et invitent aux rêveries nostalgiques, imaginant avec émotion les trajectoires de ces existences singulières, au travers des traces qu’elles ont laissées.

Les peintures de Catherine Olivier, présentes et évanescentes à la fois, se jouent des ombres, de la lumière et de la couleur, pour évoquer, au travers de ces portraits en douces silhouettes, un « état d’âme », quelque chose de l’ordre de la nostalgie, un sentiment plus qu’un souvenir, une atmosphère davantage qu’une image : la sensation d’un après-midi au soleil.

Tiphanie Spencer dessine et peint comme s’exprime l’inconscient : non pas à la manière d’une bibliothèque, ordonnée et bien rangée, mais dans un apparent capharnaüm, bien que poursuivant une logique interne qui bien souvent nous échappe, à moins de s’attacher à en décrypter les symboles. Ainsi le travail de Tiphanie Spencer fonctionne-t-il par glissements : glissement sémantique, associations d’idées et d’images. Elle compose et décompose ses figures, nous fait rentrer dans son univers entre cubisme et surréalisme, dans un esprit proche du « cadavre exquis », ou se mélangent l’actuel et l’intemporel, le passé et le présent.

Les sculptures d’Alice Morlon associent un esprit parfois proche de l’Arte Povera et une certaine forme de primitivisme : cavaliers oniriques, éléments de la nature, bestiaire fantastique rappelant celui de César... Attentive à l’« énergie à l’oeuvre » dans ce qu’elle crée, ses figures totémiques semblent vouloir faire entrer en dialogue la nature et la culture, autour de formes vitales ou organiques, suggérant une relation empathique entre l’homme et la nature, une relation nouvelle et apaisée pour le monde de demain.

Légères, fragiles et insaisissables comme l’âme et les airs, les installations, comme les tableaux-reliefs, de Maryline Pomian expriment une infinie poésie au détour de laquelle se déploie délicatement l’imaginaire. Matériau comme un souffle, un « presque-rien », le papier à cigarette, plié, froissé, plissé, modelé, accumulé, empilé se réinvente en

sculptures puissantes et délicates, et l’on rêve de rentrer dans le secret de leurs compositions minimalistes et pures.

Quant à Laurent Pernot, ses vidéos explorent des « espaces aux frontières du réel », des territoires d’un imaginaire silencieux, épuré, contemplatif. Ses images mystérieuses et poétiques surgissent de la nuit et s’évanouissent comme des songes, du visible vers l’invisible, abordant les continents du fantastique et du merveilleux.

L’ASSOCIATION FLORENCE EN QUELQUES MOTS


L’association Florence est née de la volonté de collectionneurs et d’amateurs d’art de défendre et de promouvoir les talents émergents de l’art contemporain depuis plus de vingt ans. Créée en hommage à Florence, artiste et mécène disparue, elle met en avant chaque année une dizaine d’artistes et leur offre pendant dix jours l’occasion de montrer leurs créations au sein du prestigieux Espace Commines à Paris.

www.associationflorence.com

On peut retrouver l'intégralité de ce texte sur les brochures éditées à l'occasion de cette exposition.

IMAGINAIRE- Espace Commines - 17 rue Commines- Paris 3e - Du 19 au 29 novembre 2009- Entrée libre de 11h30 à 19h00 tlj

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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 00:20

C'est avec plaisir que j'ai pu voir que l'installation sculpturale que j'avais commandé à Sylvie Kaptur-Gintz pour l'exposition "Seconde peau, seconde vie"...continue sa vie! Récemment exposée dans le cadre de la 4ème Biennale armoriciane d'Art contemporain, "Le regard des autres", "Port-Royal" a été installée au Musée de la Briqueterie de Langueux, Parc de Boutdeville à Langueux. A voir jusqu'au 29 novembre.

A cette occasion, le texte que j'avais écrit pour  le catalogue de "Seconde peau, seconde vie" a été re-publié dans le catalogue de la Biennale.

La robe de Sylvie Kaptur-Gintz, entièrement faite de bandes plâtrées et de bandes « Velpeau », rubans de crêpe de coton nécessaires aux pansements, n est pas une robe à porter mais une robe symptôme, ouvrant à une multiplicité d interprétations et de sens. La femme qui porterait cette robe, avec son corset rigide de bandes plâtrées, serait obligée à un « port de reine », dans cette robe qui soutiendrait, masquerait, soignerait ses blessures et ses faiblesses. « Port-Royal ", c est aussi le nom du boulevard parisien où se situe un important hôpital maternité. Au travers de cette robe, ce sont donc différentes figures de la féminité qui sont mis en jeu et en regard : la femme mère, la femme protectrice, celle qui

panse les petites et grandes blessures mais qui vit aussi avec ses propres blessures, ses douleurs.

Parmi elles, parfois, le regard sur soi déformé par les images de femmes que renvoient les magazines, et dont Sylvie Kaptur-Gintz obture ici la visibilité.

L installation de chaussons de danse en bandes plâtrées qui l accompagne renforce ce sentiment de fragilité, rappelle à la fois à l enfance -quelle petite fille n a pas rêvé d être danseuse ?- mais aussi à la souffrance du corps au travers de l'évocation de la pratique de la danse. "Port-Royal » est une évocation émotionnelle intime à propos de l identité d une femme, poétique et d une grande puissance évocatrice.

Chez Sylvie Kaptur Gintz, la nécessité de créer est une évidence car dit-elle souvent, « l acte de peindre

est étroitement lié aux notions de naissance et de renaissance ». Car le monde, ou plus exactement, « l être au monde", est une naissance sans cesse renouvelée, porteuse de mémoire, d' identités, d histoires individuelles et d histoires collectives. Dans ses installations, les dispositifs formels sont intimement liés au sens, et aux émotions suscitées, travaillant sur la singularité de la condition humaine, sur la présence humaine dans sa multitude et son unicité, dans sa force et sa fragilité.

voir le site de Sylvie Kaptur-Gintz: www.kapturgintz-plasticienne.com

"Le regard des autres" - 4ème Biennale armoriciane d'art contemporain - Jusqu'au 29 novembre 2009 -PLERIN . Le cap PLOUFRAGAN . Espace Victor Hugo LANGUEUX . Point Virgule . Musée de la Briqueterie SAINT BRIEUC . Pavillon des expositions temporaires au Musée d'art et d'histoire de Saint- Brieuc . Centre Départemental de Documentation Pédagogique .

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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 00:09

Si l'esprit de Cartier-Bresson, Ronis, Boubat ou Doisneau plane sur les photos élégantes et sereines de Thierry Schoenenwald, c'est davantage comme figures tutélaires que comme source d'inspiration. Car c'est avec un œil neuf, sans les présupposés d'une culture photographique qu'il ne possédait pas, que celui-ci a abordé la photo il y a plus de vingt ans, et le noir et blanc depuis 1998. Plus tard, il découvrira ces grands maîtres, et tissera avec eux une parenté d'univers, ancré dans la réalité quotidienne, profondément humain, et volontairement humaniste.

Saisir l'intime réalité, telle qu'elle se présente, sans artifices ni effets, tel semble être l'origine et la finalité de la démarche de Thierry Schoenenwald. Ainsi par exemple ne travaille-t-il qu'à la lumière naturelle, comme pour authentifier cette beauté du réel qu'il traque partout où elle peut se cacher.

Pourtant, le choix du noir et blanc révèle en même temps une volonté de sublimer ce réel donné. En renforçant les contrastes et en dramatisant l'image, il pose une distance, rappelle implicitement que nous ne sommes pas devant la réalité - dont la couleur rendrait toute la banalité- mais bien devant une photographie.

Sans ostentation, l'artiste, par ce travail des contrastes, magnifie ce qui, simplement sous nos yeux, se noierait dans le quotidien. Il sait à merveille en faire émerger une dimension d'étrangeté, où l'extraordinaire se révèlerait sous l'ordinaire, et où renaîtrait la beauté enfouie sous l'habitude. Ainsi, si beaucoup de ses photos s'intitulent simplement " vie quotidienne ", c'est qu'il cherche davantage à en saisir le caractère unique qu'à offrir au regard des images spectaculaires ou exceptionnelles.

Chacune de ses séries sont pour lui l'occasion simple de raconter (la série " Jour de fête ") ou de rappeler (" Venise ") une histoire, de créer ou de rendre compte d'une ambiance, d'une atmosphère.

Curieux de quotidiens différents, il ne manque pas une occasion de partir en exploration vers d'autres intimités, au Japon bien sûr, en Grèce, en Italie...Il en revient avec des clichés, témoins de rencontres et de moments, uniques par essence, extraits du tourbillon de la temporalité.

Ainsi présente-t-il avec habileté, comme en sa série " Rencontre avec le Pays du Soleil Levant ", de savants mélanges de tradition et de modernité ...qu'on ne saurait dater. Ses photos prennent alors une dimension, et donc une valeur et une force, atemporelle. Car Schoenenwald n'oublie jamais ce que la peinture lui a appris, ce souci de transcender le temps et de survivre à l'éphémère. Un cliché trop daté ne serait pas de l'art, dit-il, mais du reportage.

Un sens aigu de la composition, lui venant de ses velléités premières de peintre, lui permet de nourrir l'intuition qu'a tout photographe du " moment opportun ", de l'instant de grâce où il faut appuyer sur le déclencheur, comme lorsque dans " le mariage shinto ", la mariée s'avance dans un clair-obscur dramatique, fantômatique, le visage recueilli, et la tension de l'évènement en devient presque palpable. Intuition donc du moment où " l'image vient à soi ", pour reprendre un mot de Ronis auquel l'artiste aime à se référer, contribuant sans nul doute au travail épuré qu'il présente aujourd'hui.

Eloge de l'ombre : pour le photographe, c'est de l'ombre que doit s'extraire la lumière, c'est par la lumière que s'épanouit la beauté de l'ombre. Le Caravage, Rembrandt ? C'est davantage vers l'esthétique japonaise -source importante de travail et d'inspiration- que se tourne l'artiste. On connaît l'importance que le Japon traditionnel donne à l'ombre, dont la maîtrise délicate produirait la plus profonde beauté. " Le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre " écrit Tanizaki, postulat dans lequel pourrait se reconnaître Thierry Schoenenwald.

Dans sa quête esthétique, l'artiste œuvre à rapprocher toutes les formes de beauté, à la recherche d'harmonies possibles, de rencontres pacifiées entre l'être humain et la nature, comme celles qu'il orchestre dans ses séries de nus, où la sensualité suggérée prend le pas sur le visible. Ici, l'eau court sur le corps comme un voile, là des mots d'amour subliment les formes féminines qui en deviennent œuvre -et l'on songe, bien sûr, au " Pillow Book " de Peter Greenaway- et de précieux clairs-obscurs, encore...

La beauté n'émerge pas tant d'un corps qui n'est ici jamais crûment offert au regard, mais de ces liens implicites qui tisseraient la trame d'un monde apaisé : ceux d'une matière humaine retrouvant sa place dans les éléments, ceux d'une complicité nécessaire, d'une fraternité peut-être ? entre les êtres de cette même matière.

Peu de paysages très urbains, de foules intenses, même dans ses clichés de Tokyo. De cette sorte de présence physique du vide émerge un certain sentiment de solitude, quelque chose d'un peu mélancolique, un appel à l'intime. Souvent, les photos sont cadrées comme si le spectateur assistait à la scène : le dos d'un homme qui passe, des chaussures au premier plan comme si on entrait dans le magasin, un artiste seul dans son atelier, des lieux presque désertés...Il y a comme une sorte d' " effraction " de l'intimité, comme pour chercher à en percer le mystère, sans voyeurisme mais avec une authentique curiosité teintée de compassion, et sans doute beaucoup d'humanité. De celle qui consiste à extirper la beauté de quotidiens ordinaires, de vies ordinaires, d'hommes ordinaires, dont la contingence dissolue parmi des millions d'autres ne fait aucun doute et pourtant ils sont là, le marin grec, les buveurs d'Ouzo sous les parasols, Yukiko...tous sous son objectif révélateur d'existence.

Il y a, dans le travail de Schoenenwald, une dimension d'idéalisation du réel qu'il ne renie pas. C'est là au contraire un des moteurs essentiels de son travail. Pas d'écriture journalistique ni de photo-reportage mais une quête de sérénité contre le tumulte et la violence du monde, de simplicité contre sa confusion, de méditation conte sa vaine agitation, d'ombres en douce contre les néons des villes...

Au gré de rencontres, de réflexions et de son inspiration, de son intuition et des mots dont il aura couvert ses carnets, Thierry Schoenenwald produit, petit à petit, une œuvre, construite en séries cohérentes pour le sens qu'elles diffusent et qui les lie : beauté du réel, empathie pour l'humain. Il rappelle que, si le monde n'est en soi ni beau ni laid, seules les images que nous pouvons en tirer peuvent le rendre beau à nos yeux, et qu'il nous appartient de les créer.

Texte publié récemment dans le catalogue d'un salon tenu au Carrousel du Louvre - Voir aussi le travail de Thierry Schoenenwald et d'autres artistes  de l'association VIPPA sur www.vision-photographique.com

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