Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 22:47

Cette exposition personnelle de François Fries est principalement conçue autour de sa série « La mécanique des fluides », débutée en 2007. Elle fonctionne comme un jeu de mouvements continus, fluides et sensuels. Les couleurs filent, ruissèlent, se mélangent, se lovent et s’entrelacent, entre opacité et transparence, dans des all-over aux couleurs acidulées qui ne masquent pas une certaine violence contenue, comme un risque permanent de débordements exponentiels et proliférants, une vue macroscopique révélant les dessous du monde, charnel et vorace à la fois.

 

lam-canique-des-fluides-146x97cm-2011-1-.jpg

 

En 2006, à l'occasion d'une exposition personnelle à la Galerie Charlotte Norberg, avait été publié un petit catalogue contenant l'entretien que voici:

 

Marie Deparis : Depuis 3 ans, vous avez choisi de vous consacrer complètement à la peinture, après des années de pratique « en dilettante » et une carrière vouée au cinéma. Depuis vous avez exposé dans plusieurs lieux notamment Artcore, Artparis avec Véronique Smagghe et aujourd’hui ici, à la Galerie Charlotte Norberg. Pour cette exposition, vous avez choisi le titre «La mélancolie de la résine ». Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de ce titre particulier?

François Fries : Cela évoque un vague à l'âme, une mélancolie douce comme on dirait une
folie douce. C'est aussi un clin d'oeil à la « mémoire de l'eau ».La résine fonctionnerait de la même manière.  Elle va saisir les couleurs, les envelopper et dans le même temps en séchant,  figer une sensation, un mouvement passés qui ont à voir avec la mémoire, un peu comme le souvenir liquide de quelque chose d'immatériel.

MD : D’emblée, on perçoit dans votre propos la volonté de lier le « faire » , l’aspect formel, matériel de votre travail : le mouvement, les formes, la couleur, et aussi les pigments, la résine… et le « ressentir », l’expression de sensations, d’impressions diffuses…

FF : Les deux problématiques sont liées. J’essaie de rendre concret quelque chose d’immatériel comme l’air, le vent, ou une expression comme la timidité, la colère pour essayer de les figurer concrètement sur la toile avec des choses simples et naturelles

MD : Pourtant, votre peinture n’est pas figurative. Ne cherchez-vous pas, au fond, à représenter ce qu’il y a d’abstrait dans ce qui est figuré, à extraire l’image abstraite, ressentie dans la narration, quelque chose comme la sensation de ce qui reste ?

FF : Ce qui peut paraître abstrait tend pour moi vers le figuratif, bien que le « motif » ne m’intéresse pas. Lorsque j’ai réalisé la série « Les dessous des feuillages », chaque tableau était une sorte d’hippocampe où auraient été stockés durablement des fragments de sensation, ici, le frémissement de feuilles, là, le mouvement d’une branche. En cela on pourrait dire que ma peinture est figurative. La figuration d’une sensation, d’une réalité floue, impalpable voire insaisissable.

MD : Vous revenez souvent sur cette idée de flou, de réalité floue : Pouvez vous développer?

FF : L’an dernier, j’ai  réalisé une série qui s’intitule « Peinture floue ». Avec l’idée de quelque chose qui aurait le moins de prise possible avec la réalité qui elle, vous submerge de partout… Parce que nous vivons dans un monde très « identitaire », très rationnel aussi, dans lequel l’indécis, le contradictoire sont plus ou moins bannis. Mais la réalité subjective, celle de la mémoire, des perceptions, des sensations n’est pas une, unique…Dans ma peinture, c’est cela qui m’intéresse : les choses ténues, la tension que créent les entre-deux, le paradoxe…

MD: J’ai le sentiment en effet qu’il y a dans votre peinture sinon des paradoxes, au moins des ambiguïtés, des dualités. Par exemple, la manière dont vous travaillez donne à vos taches un contour imprécis, fondu, qui suggère le mouvement. En même temps, lors de nos différents entretiens, vous m’avez dit vouloir parvenir à un résultat le plus lisse possible, comme si le mouvement avait été gelé…

FF : Oui, ce qui m’intéresse actuellement, c’est attraper le mouvement. Je cherche à ce que le mouvement soit saisi comme un instantané sur une pellicule, comme « scotché » sur une toile cirée...Par exemple, le mouvement d’un massif de fleurs. Plonger dedans puis le geler, le découper comme un fragment de réalité sensible dans le carré ou le rectangle de la toile, comme un arrêt sur une image en mouvement. Ce qui m’intéresse aussi, c’est la chimie des couleurs qui se mélangent, leur intimité, leur densité, leur transparence…

MD : Densité et transparence : on aborde là, à mon sens, une dimension essentielle, et équivoque, de votre travail. Ce qui frappe au premier abord, c’est la profusion du motif, la densité visible. Et puis vient la transparence, l’impression d’une lumière venue « d’en dessous », éclairant la surface, lui donnant cette luminosité diaphane. Dans le même temps, on a le sentiment que cette lumière est empêchée, occultée par cette surface pleine, suggérant ainsi une profondeur sans la montrer, comme s’il y avait « quelque chose » derrière, que vous voudriez masquer. Avez-vous des choses à cacher ?

FF : Tous mes tableaux ne sont pas recouverts de couleur mais il y a toujours un fond, une résine qui « habille » la toile… Sur la profondeur, j’éprouve un sentiment paradoxal. Il y a d’un côté, c’est vrai, la volonté de recouvrir la toile, comme une manière de se fabriquer une nouvelle peau. Pour certains tableaux, c’est aussi l’idée de cacher quelque chose à l’intérieur, comme un tiroir secret. Mais d’un autre côté, j’essaie surtout de donner l’envie de plonger à l’intérieur du tableau, de s’y immerger totalement.

MD : Quand on cherche à pénétrer vos toiles, on a parfois l’impression que sous leur apparence paisible se cache peut-être quelque chose de plus rude, de plus violent, de plus noir, mais c’est à peine suggéré ! Vos toiles invitent, en fait, à une espèce de liberté fictionnelle ou tout à coup, on se sent libre d’imaginer que derrière la couleur, toutes les histoires sont possibles…

FF: Ma peinture pourrait bien être plus inquiétante, plus trouble qu’il n’y paraît…

MD : Voilà une autre de ces ambiguïtés dont je parlais tout à l’heure !

FF : Certains tableaux  appellent à la fiction, d’autres sont pour moi davantage des évocations, des métaphores. Si l’on prend « Sous le bleu » par exemple, ce bleu là, ce peut être aussi le « bleu »…de travail.  Lorsque je travaille à ma peinture, je pense souvent  « écriture ».

MD : Autrement dit, l’écriture, autre activité à laquelle vous continuez de vous consacrer, nourrit votre inspiration. De quelle manière ?

FF : De manière différente à chaque étape de la conception du tableau. Je ne fais pas de dessin préparatoire sur la toile. La préparation, ou plutôt la conception, se trouve dans mes petits carnets ou sur des post-it. Bref, je commence par imaginer le tableau en l’écrivant au préalable en quelques lignes et pendant l’exécution parfois je m’en éloigne. Ensuite, l’acte de peindre, par glissement, m’appelle à d’autres évocations, imaginaires ou textuelles. Enfin, une fois le tableau fini, il y a le titre, parfois suggérant une histoire, qui me vient…

MD : Vous dites que lorsque vous vous mettez à peindre, vous vous éloignez parfois de votre intention initiale. Quelle est la part de préparation, de projet, et quelle place laissez-vous au hasard ou à l’accident ?

FF : Avec une certaine expérience, il y a moins d’accident mais je cherche toujours à provoquer le hasard par des rencontres entre de nouvelles résines et des nouvelles couleurs. Il y a dans l’élaboration d’un tableau quelque chose qui pourrait à voir, je crois, avec la mise en scène. Je dispose les couleurs sur la toile et les met en mouvement avec plus ou moins de lumière, de fluidité. J’essaie de provoquer leurs rencontres, de leur donner telle forme, tel effet, selon leur structure moléculaire et leur densité. C’est un moment excitant et inquiétant, car c’est toujours très empirique. Le temps de séchage entre chaque couche est déterminant et le résultat parfois surprenant car après le séchage, les couleurs se métamorphosent et on n’est jamais sûr à 100% du résultat. La construction de chaque tableau se fait ainsi, lentement, couche après couche, en risquant telle couleur contre telle autre, quitte parfois à tout perdre…

MD : C’est un problème récurrent pour tous les peintres, je crois, de savoir s’arrêter au bon moment. Alors pour vous, qu’est-ce qu’une toile réussie ?

FF : Un tableau réussi à mes yeux tient sans doute dans la rencontre des couleurs qui vont se lover les unes dans les autres, sachant qu’avec le jeu du hasard, il y a de bonnes et de mauvaises rencontres. Cela reste fragile, en suspens, en équilibre précaire.  Un tableau réussi c’est aussi celui qui, alors que c’est souvent long, parfois même laborieux, donne le sentiment qu’il a été fait rapidement, quelque chose de naturel qui aurait pu se faire tout seul. C’est une idée que j’aime bien, le tableau qui se fait tout seul. Comme une évidence.

MD : Ce doit apparaître évident pour le spectateur, mais pour vous aussi, non ? Il me semble que le travail d’un artiste qui s’affirme, dans son univers et pour le regard des autres, doit au fil du temps, pour se reconnaître comme « œuvre », se constituer autour de racines esthétiques et problématiques récurrentes. Au regard de vos travaux, depuis toutes ces années, se dessine une ligne de recherche, une cohérence dans cette recherche

FF : Il faut que cela soit cohérent et en même temps que chaque tableau soit une remise en jeu, une expérimentation nouvelle. C’est une liberté indispensable à préserver. Si mon travail prend une certaine maturité, je ne veux pas tomber dans la répétition ou le système de reproduction. Aujourd’hui, je suis dans la couleur, la fluidité, le recouvrement aussi. Demain, peut-être irais-je vers une libération de l’espace et de la lumière, ou vers un plus grand lien avec l’écriture…

 

François Fries  et  Marie Deparis

 

 

 

Le parcours de François Fries est celui, atypique, de va-et-vient permanents entre la peinture, le cinéma et l’écriture.

Au début des années 80, tandis qu’il finit ses études de philosophie, d’histoire de l’art et d’économie, il s’essaie déjà, et avec assiduité, à la peinture. Pourtant, bien qu’ayant très jeune tissé un lien intime et constant avec la peinture, il se tourne vers le cinéma. A cette époque, le cinéma français connaît un regain novateur, et François Fries est séduit par ce mode d’expression qui lui semble alors plus dynamique, plus créatif et plus « vivant » que la peinture.

Tandis qu’il collabore avec une des plus grandes maisons de production françaises, parallèlement, il partage, avec quelques amis peintres un grand atelier au Kremlin-Bicêtre, à Paris, et expose régulièrement dans le cadre de salons et d’expositions collectives telles que le Salon de Montrouge, Jeunes Peintures ou Courants d’art…

Au début des années 90, il lance sa propre maison de production, produit et réalise de nombreux courtsmétrages, documentaires ou premières oeuvres, dont certaines amplement primés dans les festivals internationaux. En 1994, « les Dimanches de permission », premier long métrage de Nae Caranfil est sélectionné à Cannes et primé aux festivals de Montpellier, La Baule et Bucarest. La même année, « Le fils du requin », premier long métrage d’Agnès Merlet, reçoit, entre autres, l’Award du meilleur 1° film européen à Berlin, est nominé dans la catégorie « Meilleur premier film » aux Césars et reçoit le Prix international de la Critique à la Mostra de Venise. « Tom est tout seul », premier long métrage de Fabien Onteniente reçoit le Grand Prix du Festival de Sarlat et « Les Mille Merveilles de l’Univers » premier long métrage de Jean Michel Roux avec Tcheky Karyo et Julie Delpy le prix du festival de Namur.

En 2003, François Fries produit un dernier opus, « La traversée », une collection de 20 courts-métrages expérimentaux réalisés par des plasticiens, scénaristes et écrivains via le web, en association avec le CNC.

Pour François Fries, la peinture s’inscrit dans une expérience de la durée, et, tandis qu’il poursuit sa carrière dans le milieu du cinéma, il ne cesse jamais de peindre. En 1998, il publie un opuscule au titre signifiant : « De la pratique clandestine de la peinture en milieu salarié ».

Le besoin de revenir à une pratique artistique plus solitaire, sous-tendue d’enjeux plus personnels, se précise de jour en jour.

Au début des années 2000, François Fries décide de se consacrer de manière exclusive à la peinture.

D’expérimentations en expérimentations, de séries en séries, se dessine peu à peu un univers pictural dense et mystérieux, fluide, inquiet et tendre, dans une quête perpétuelle entre recouvrement et effacement.

Depuis, il présente régulièrement son travail dans les foires d’art contemporain (Art Paris, Slick Art Fair, biennale du Havre) ainsi que dans des expositions collectives ou personnelles.

Le travail de François Fries se joue dans une transversalité des expressions, où l’acte pictural et l’écriture, l’image –cinématographique- et la narration sont toujours intimement mêlés.

 

"Mécanique des fluides" - Galerie Pierrick Touchefeu - Du 6 au 29 mai 2011-

2 rue Marguerite Renaudin- 92300 Sceaux

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche

Liens