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10 janvier 2010 7 10 /01 /janvier /2010 18:28

J'avais rédigé il y a quelques mois ce texte pour parler du travail de dessin de Christophe de Fabry, que l'on pourra découvrir dans quelques jours, à partir du 14 janvier, à la Galerie Deborah Zafman, dans le Marais.

Portrait-Encre-et-aquarelle-CH2F-1-.jpgIl est rare qu'on puisse affirmer sans proférer de truisme qu'un artiste développe dans son oeuvre un univers très « personnel ». Car tous, d'une manière ou d'une autre, réalisent dans la création la synthèse d'une perception subjective du monde et de préoccupations dans une stratification complexe de mobiles où s'entremêlent vécu et histoire, réalité et désir, plaisir et souffrance, imagination et espoir... Mais s'il fallait illustrer cette évidence par le travail de l'un d'entre eux, les dessins à l'encre de Christophe de Fabry en serait le parangon, donnant autant à voir un pan de monde fantasmagorique que sa plus secrète intimité.

Car il n'y a sans doute dans ses dessins aucun abandon plus sincère pour l'artiste -de cette sorte d'exigence de sincérité aussi poignante que libératoire- que ces étranges personnages, caractères plus que figures, organes plus que corps, fantaisies grinçantes plus qu'histoires.

Un corpus, un bestiaire, un bréviaire, une nef des fous qui jetteraient bas les masques, comme si nos corps nos visages n'étaient que spectres et simulacres...Christophe de Fabry en atomise l'apparente bien-pensance, dévoilant, avec la plus grande ironie, et un certain sens du burlesque, une physionomie, un geste, un trait, un caractère. Voici vanité, concupiscence, fatuité, obscénité, cupidité ou luxure se révélant sous ses traits de crayon acides.

 

S'il a gardé de ses premiers essais la vivacité du tracé se déroulant, motif après motif, sur le papier, le geste a perdu de sa spontanéité brouillonne au profit d'un trait précis, puissant, presque obsessionnel. Se déploie une œuvre graphique sur le fil, comme prise dans l'urgence de la brutalité de l'émotion en même temps que travaillée jusqu'à l'extrême de lacis de lignes, rhizomes construisant peu à peu les espaces, laissant s'imposer les formes. Le travail de Christophe de Fabry, amateur de cadavres exquis, suggérerait bien tout à la fois certains aspects du dessin surréaliste, quelque chose proche d'un art brut à la Unica Zürn, au bord de l'hallucination, une plongée psychique à la Louise Bourgeois, une folie boschienne, en tout cas une certaine violence, dans ces métamorphoses du corps, ces mutations organiques, parfois habitées d'une vie grouillante.

Mais avant que toute référence, le travail de Christophe de Fabry peut s'appréhender d'abord dans sa spécificité, comme écriture de soi, spéculation, étonnement du processus échappatoire. Laissant enfin s'exprimer sans entrave sa réalité intérieure, ces visions impétueuses qu'il ne maîtrise pas, il se fait explorateur de cette « altérité de l'existence » dont parlait Lacan. Assumant la fonction cathartique de la création, les dessins de Christophe de Fabry sont autant de tentatives de réconciliation avec le je-autre, de réappropriation de soi.

 

Ainsi cette expérience personnelle et esthétique se mue-t-elle en expérience portant l'universel, transcendant le narcissisme de la démarche : les dessins de Christophe de Fabry parlent de s'affranchir de la censure, de renverser les tabous, de sortir de soi pour mieux y entrer, y vivre, y renaitre. La feuille blanche rongée de dessins se fait métaphore d'un espace psychique, un espace de libération, de réparation, de restauration de soi.

L'artiste questionne sans rien affirmer quelque chose de l'ordre du mystère des genres, de leurs permutations et de leurs polarités, des ambivalences et des ambiguités du masculin et du féminin. Expressions ou impressions érotiques, se dessine une galerie de portraits dans lequels bouches, yeux, chevelures sont aussi vulves, penis, vagins, sperme mais aussi formes informes que l'on devine vivantes, organes non répertoriés, fluides indéterminés...

Ce faisant, Christophe de Fabry, dans le grincement de son trait, ose explorer les régions sous-terraines et obscures de l'envers du monde, un monde à la fois physique et fantasmatique, dans le mystère de la cellule, de la multiplication, de la reproduction, de l'organicité, du viscéral. Ce monde qui part et parle des entrailles et qui, toujours, fascine.

 

Dans ses plus récents travaux, Christophe de Fabry matérialise, d'une certaine manière, ces ambiguités de la matière, de la forme et du fond, en expérimentant de nouveaux matériaux et de nouvelles manières. A la douceur colorée, duveteuse et tendre de la laine cardée, parfois renforcée d'un écrin d'aquarelle, l'artiste oppose et mêle la cruauté, sombre et vitale, de ses dessins à vif. Etape décisive dans son processus de création, le dessin à l'encre semble former la gamme à partir de laquelle le procédé de création à la laine cardée se fait partition, engageant progressivement l'artiste sur la voie de l'expérience esthétique d'une « inquiétante étrangeté » se métamorphosant peu à peu en Beauté.

A l'occasion de cette exposition, Christophe de Fabry présentera un livre-catalogue signé et numéroté. Ce texte se trouve en préface de ce catalogue.

Dessin encre et aquarelle- Courtesy Christophe de Fabry-

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