Une Nuit Blanche à Paris. Comme chaque année, pour la 11ème fois consécutive, une foule de curieux, d’amateurs, d’esthètes, déambulent dans les rues de la ville, d’art en art, d’œuvre en oeuvre.
Mais cette année, tandis que dehors se vit l’agitation d’une nuit sans sommeil, au sous-sol de la Galerie Talmart, un homme sera plongé dans le plus profond des sommeils, son corps abandonné offert au regard, et peut-être plus encore…, des visiteurs. Et chacun, seul avec lui dans le secret de la chambre, pourra goûter cette « offrande » que Stefano Cassetti fera de lui-même ce soir-là.
OFFRANDE – nom féminin – Synonymes : cadeau, don, donation, libéralité, hommage, libation, oblation, présent, sacrifice – Etymologie : du latin médiéval offerenda : choses qui doivent être offertes
S1- Ce qui est déposé dans un temple avec une intention religieuse
S2 – Ce qui est donné en signe de dévouement
S3- L’offrande est un don sans contrepartie ni limite temporelle.
Désintéressée, l’offrande n’a aucune valeur d’échange et ne suppose aucune réciprocité.
La valeur essentielle de l’offrande réside a priori dans la pureté de son intention.
Le receveur n'est pas tenu de rendre ce qui est offert ou sa contrepartie en valeur.
Cependant, dans la vie sociale, le don peut appeler, implicitement ou non, au contre don.
Le don/contre don place alors l’acte d’offrir au centre de l’éthique relationnelle : donner, recevoir, rendre.
En principe, la réciprocité de l’acte annule la valeur matérielle des dons pour y substituer la seule valeur (sociale) d’échange.
Stefano Cassetti, par cette performance, tente une double expérience : d’une part, celle de choisir de « se donner », sans contrepartie, au travers de ce corps offert, inerte, au libre-arbitre des visiteurs. D’autre part, celle, par cette « mise en sommeil », d’abandonner son propre pouvoir d’action. Car pour lui, si l’offrande ne s’entend que sans manière aucune de se dédire, par le réveil ou la réaction, son état proche de l’inconscience réduit sa volonté au minimum.
Même si cette performance s’inscrit dans la lignée historique de l’art corporel, se plaçant dans une situation déstabilisante ou périlleuse pour son intégrité, mettant son corps et ses limites à l’épreuve - « je mets mon corps et mon nom en jeu » dit-il -, son action s’inscrit en quelque sorte en rupture avec cette forme d’expression. Stefano Cassetti tente ici de dépasser, ou au moins de décaler, ce qui caractérise la plupart des expériences d’art corporel depuis les années 60 : exploration de la souffrance et de la douleur, de la corporéité brute, réflexion sur les questions de genre, d’identité, sur la sexualité, dimension politique du « corps social ». Autant d’expérimentations qui sont, pour Stefano Cassetti, mis en spectacle et destinés, peu ou prou, à produire un effet sur le spectateur, à entrer en relation, par le geste et ce qu’il peut susciter, avec un public.
Dans L’offrande, l’artiste entend se débarrasser de cette condition. Ici, la conscience, et l’ego de l’artiste, et avec eux la conscience de la manière dont ce qui est offert peut être reçu, sont retirés. Se privant de tout état de conscience, l’artiste « se libère de ce poids d'avoir donné à monsieur X cette vision, ce contact, cette chaleur, ce sentiment, ce frisson, ce froid… et d'en être le responsable, la cause, la source. » Ne reste alors que le corps offert, certes, mais sans attente, ni spectacle, ni obligation de réussite, ni effet. Une performance « minimaliste », plus proche, peut-être, du rituel que du spectacle. Geste sans geste, action sans action, là où la raison calculatrice gouverne souverainement, cette tentative de don de soi sans contrepartie possible, fût-elle narcissique, tient de la subversion.
Avec cette performance dont le corps reste le cœur, dans sa nudité symbolique, sa vulnérabilité réelle, exposé dans tous les sens du terme, sans recours ni sécurité, Stefano Cassetti affleure à un niveau éthique. Celui dans lequel, pourrait-on dire à la manière de Levinas, l’asymétrie de la relation et le refus de la réciprocité, quand bien même s’agirait-il de générosité, incite, quelle que soit l’intention de l’artiste, à s’interroger sur l’altérité, autrement dit, l’humanité de l’autre homme.
Né en 1974 en Lombardie, au bord du Lac de Garde (Italie), Stefano Cassetti vit entre Paris, Berlin, et le Lac de Garde.
Etudiant à l’Ecole polytechnique de Milan, il obtient, en 1999, un doctorat de l’Université d’Architecture, en Dessin Industriel.
Dès 1997, il produit des vidéos et des installations, en Italie, en Suisse et en France et a réalisé, depuis 2003, un certain nombre de performances. Il a ainsi récemment expérimenté deux performances : La Tisane de Montbéliard, en mai 2012, invité par la « Nuit des musées » (commissaire Aurélie Voltz, directrice du Musée de Montbéliard) et Interstices, en juillet 2011, dans le cadre du Festival FAR/fabrique à rêves (commissaire Judith Guibert par le6B, Saint Denis).
En 2001, Stefano Cassetti démarre une carrière de comédien dans le cinéma français et italien, avec le rôle principal du film Roberto Succo, de Cédric Kahn, sélectionné à Cannes. On a pu le voir ensuite, entre autres, dans Nemmeno il destino, de D. Gaglianone (Italie), sélectionné à la Mostra de Venise et primé à Rotterdam en 2005, Il resto della notte, de F. Munzi (Italie), sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2008, Un poison violent, de K. Quillevere (France), Prix Jean Vigo en 2010 et sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2010, Le paradis des bêtes, d’E. Larrivaz (France), Prix du public au Festival d’Angers en 2012.
Stefano Cassetti sera à l’affiche de 3 films en 2013 : Michel Kohlhaas, de A. De Pallières, Terzo tempo, de E.M. Artale et Jeune et jolie, de F. Ozon.
Au rez-de-chaussée, la Galerie Talmart reçoit « Ma couche », installation sculpturale de Yveline Tropéa. Cette œuvre occupe une place particulière dans le travail de l’artiste, tout en recelant, comme à l’accoutumée, force éléments autobiographiques masqués et représentations symboliques Le « lit de jeune fille », au style baroque presque rococo, avec la fantaisie de ses lignes courbes, ses teintes pures de blanc et d’ivoire, et richement brodé de scènes d’inspiration autant psychanalytique que religieuse, fait écho à la figure de la madone, figure récurrente dans son oeuvre.
Si au premier regard, ce lit semble être la couche d’une jeune vierge, lieu d’innocence et de pureté, dans le sommeil et la chasteté, des éléments iconographiques nous renvoient d’emblée vers des zones d’ombres. De sa pureté initiale, le lit peut se faire lieu de la trahison, de l’adultère, du mensonge…
L’artiste le vit alors comme une « empreinte de mémoire » : le temps passé, le rêve, les espoirs, la vie, mais aussi la désillusion, les amours égarées, la colère... Il est enfin premier et dernier lieu de vie.
Peu de pièces usuelles de mobilier sont si chargés émotionnellement et symboliquement. A la recherche d’une innocence perdue, cet hôtel, magnifié et en quelque sorte « sacralisé », tient lieu d’autel.
Installés sur cette couche délicate, les visiteurs pourront patienter avant de découvrir la performance de Stefano Cassetti.
LA NUIT DE L’OFFRANDE
Avec la performance L’offrande, par Stefano Cassetti
et une œuvre de Yveline Tropéa
Samedi 6 Octobre 2012 à partir de 21h
Galerie Talmart - 22 rue du Cloître Saint-Merri - 75004 PARIS
www.talmart.com