Voici venu le moment de commencer à diffuser les informations sur la prochaine exposition dont je suis commissaire, sur l'invitation de Marc Monsallier, de la Galerie Talmart...
Ce sera à partir du 12 avril, et ça s'appelle "Seules les pierres sont innocentes"...
« Seules les pierres sont innocentes », titre en forme d’hommage à Camus, présente des œuvres d’artistes qui, d’une manière ou d’une autre, se sont interrogés, dans leur travail, sur le sens de cette innocence, au travers de photographies, dessins, installations ou vidéos.
L’exposition se développe autour de trois axes, offrant, dans l’espace réduit de la galerie, autant de croisements que possible : l’enfance ou le fantasme de l’innocence, le temps de la culpabilité, l’innocence dissidente ou la figure de l’idiot.
Dans une époque où l’on peut être considéré comme coupable avant d’avoir été jugé, ou innocent contre l’évidence même, comment définir un tel concept ?
Deleuze, dans un de ses célèbres cours à Paris8, disait, à l’orée des années 80 : « Tous les concepts moraux sont des Idées. L’innocence ! L’innocence. Il y a-t-il quelqu’un qui soit purement innocent ? Oui, ça peut se dire, mais enfin, c’est douteux ! Une pure innocence, voilà une Idée ! »*
L’innocence ne serait-elle alors rien autre chose qu’un idéal ?
Pré carré de l’enfance, qui en parait le territoire – le terreau- essentiel, le temps de l’innocence est-il un moment moins révolu qu’utopique ?
Loin de tout angélisme naïf, mais aussi de toute tentation de rendre l’enfance plus « diaboliquement innocente », pour se réapproprier le mot de Kafka, plus séductrice à nos yeux pervers qu’elle ne l’est, l’innocence pourrait être appréhendée comme un territoire « invisible », une sorte d’utopie, un « moment » historique sans lieu ni temps réels, dont l’enfance ne serait au fond qu’une incarnation plus ou moins fantasmée.
C’est l’implosion de ce fantasme que montrent avec ironie l’installation de petites culottes plus dangereuses qu’elles n’y paraissent de Jessy Deshais, les photos d’époque revisitées par Michaela Spiegel ou la fausse pudeur de l’étrange créature de Loulou Picasso. Et dans le regard des adolescents, inquiétant chez Corine Borgnet, plein de défi chez Raed Bawayah, la perte de toute illusion d’une candeur réservée aux jeunes années.
Alors si la pureté de l’innocence n’est qu’un fantasme de naïveté, est-ce à dire que nous sommes tous, solidaires ou complices, responsables…et coupables?
« Seules les pierres sont innocentes »** affirmait Camus à propos de la barbarie de l’Histoire. Et dans l’affirmation de cette impossible innocence, énoncée par les barbares eux-mêmes, pointent autant les éternels tiraillements religieux entre innocence et culpabilité, péché et expiation, que les folies idéologiques. Tel est peut-être le sens de cette culpabilité que nourrit le religieux et/ou dont se joue le politique que symbolise le Saint-Sébastien contemporain d’Arnaud Cohen, sur lequel jouent avec humour les dessins de Katia Bourdarel, qu’aborde avec violence et gravité la vidéo de mounir fatmi.
Voici donc l’homme condamné à ses propres sentences, qui, en intégrant comme une donnée logique le mariage de la raison et de la violence dans son histoire, choisit la «culpabilité totale ». Choix qui peut s’avérer tout à fait décomplexé, comme le laisse entendre avec le plus grinçant des cynismes l’œuvre au point de croix de Moolinex.
Comment alors se délivrer de cette « ignoble et cruelle pénitence »** ? Par la révolte, ou –et- par l’absurde, dirait Camus.
L’idée de l’innocence se fait alors « idée directrice » mais idée dissidente.
C’est l’insoumission d’un Meursault, dont l’étrangeté aux valeurs, si ce n’est l’indifférence, menace l’ordre et les normes établis. Ce pourrait être la dérision des valeurs et des hiérarchies, incarnée par l’homme qui a donné à l’art ses « lettres de médiocrité », Jacques Lizène. Ce sont aussi les figures du fou ou de l’idiot, si bien dessinées par Gogol ou Dostoïevski, et auxquelles la photographie de Raed Bawayah nous ramène brutalement. C’est enfin cette « idiotie » dont l’art contemporain a pris possession comme figure de la subversion. Celle non dénuée de tendresse des « Octodégénérés » de Lionel Scoccimaro, celle penchant nettement vers le non-sens de Yassine Balbzioui.
Et au milieu, tel un îlot d’innocence, île vierge encore, havre d’espérance ou quelque chose de ce genre, l’installation de Jamila Lamrani, ses voiles purs protégeant les rêves de quelques beaux lendemains.
* Gilles Deleuze - Cinéma cours 32 - du 22/02/83 – Université Paris 8 Transcription : Lucie Lembrez
** Albert Camus, L’Homme révolté in Essais, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1965
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Marie Deparis-Yafil
Commissaire de l’exposition
« Seules les pierres sont innocentes » - Galerie Talmart- 22 rue du Cloître St Merri – 75004 Paris
Du 13 avril au 12 mai 2012 – vernissage le jeudi 12 avril à partir de 18h
Avec : Yassine Balbzioui, Raed Bawayah, Corine Borgnet, Katia Bourdarel, Arnaud Cohen, Jessy Deshais, mounir fatmi, Jamila Lamrani, Jacques Lizène, Moolinex, Loulou Picasso, Lionel Scoccimaro, Michaela Spiegel
Avec nos remerciements pour leur précieuse collaboration :
Arsenicgalerie (pour Moolinex)
ArtsFactory (pour Loulou Picasso)
Galerie Eva Hober (pour Katia Bourdarel)
Galerie Eric Hussenot (pour mounir fatmi)
Galerie Olivier Robert (pour Lionel Scoccimaro)
Galerie Laure Roynette (pour Arnaud Cohen)