Meute de loups – Loups en moutons de poussière, structures métalliques – Dimensions variables – 2011 – Courtesy de l'artiste et collection privée
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Lionel Sabatté - Meute de loups – Loups en moutons de poussière, structures métalliques – Dimensions variables – 2011 – Courtesy de l'artiste et collection privée
Dans les hauteurs de l'église désacralisée, au détour de l'escalier montant au jubé, retenus dans l'Oratoire supérieur de Marguerite, une meute de loups. Ils sont l'oeuvre de Lionel Sabatté, artiste qui transforme poussière, peaux et ongles morts, cheveux et autres rebus en fascinantes œuvres d'art.
Ces loups, fabriqués en moutons de poussière agglomérés, récupérés durant plusieurs mois à la station de métro Châtelet, à Paris, suggèrent au premier abord, installés ici dans l'Oratoire, dans cette lutte de l'amour contre la destruction et la mort, la métaphore religieuse du « loup dans la bergerie»: «Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans ce sont des loups féroces»*
Mais la voracité de ces loups, qui ne sont ici nullement déguisés, si ce n'est recouverts de leur peaux de moutons de poussière, peut être interprétée de multiples façons. Ce peut être la soif de pouvoir autant que la faim d'argent de l'impérialisme politique ou économique, et la tentation de pactiser avec eux. Nous ne pouvons pénétrer dans la salle aux loups, restant séparés d'eux comme d'un danger potentiel, notre folie, notre miroir. «Homo homini lupus est», de Plaute à Freud en passant par Hobbes.
Le lien entre l'homme et les loups relève d'une longue histoire. Déjà à l'ère paléolithique dessinait-on des loups sur les parois des cavernes. Présent dans presque toutes les mythologies européennes, il représente le plus souvent l'état de nature brute, la puissance de la nature à l'oeuvre dans la destruction, à l'instar de Fenrir le loup annonciateur de l'apocalypse de la mythologie germanique. La culture judéo-chrétienne va ainsi développer de très nombreuses croyances et légendes autour de cet animal, y compris au travers des contes de fées, de la littérature.
Catalyseur de nos peurs, et de notre violence, il incarne ce contre quoi l'homme doit lutter en lui et hors de lui, lorsque, comme le préconise Descartes, nous devons nous rendre «maîtres et possesseurs de la nature»**
Pour l'artiste, le loup de poussière, un peu comme L'élevage de poussière de Marcel Duchamp (1920) manifeste aussi le passage du temps, l'irréversibilité et la part d'indéterminé du monde que matérialise le mouvement brownien de la poussière qui toujours se déplace et couvre toute chose de sa masse presque imperceptible mais présente.
* Evangile selon St Matthieu - ( 7-15)
** René Descartes - Discours de la méthode, 1824, tome I, sixième partie.