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2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 20:44
Première exposition d'art contemporain dans le patrimoine d'EL Jem!

Première exposition d'art contemporain dans le patrimoine d'EL Jem!

Depuis de nombreuses années, Faten Rouissi est une artiste impliquée quant au développement du paysage politico-culturel de la Tunisie. En témoigne l'Association « 24H Pour l’Art Contemporain», qu'elle a fondé en 2012, visant à infuser l'action artistique contemporaine dans les régions, et au travers de laquelle elle a mis en œuvre deux expositions collectives les deux années suivantes. Quant à ses œuvres, polymorphes, mêlant l'installation, la peinture, la sculpture, le textile, la vidéo, la performance, elles se déploient toujours avec poésie, un sens critique aiguisé et une certaine ironie. Reconnue sur la scène internationale, elle a en outre été lauréate, en 2014, du Prix de la Ville de Dakar au Sénégal, dans le cadre de la 11ème Biennale de l'Art Africain Contemporain DAK'ART.

 

Développer un art contextuel, saisir ce qu'il y a d'essentiel dans un lieu ou un moment contemporain, savoir s'en faire l'écho, avec ce sens particulier du glissement métaphorique, de la parabole, tels sont les axes majeurs du travail de Faten Rouissi.

Ce fut donc probablement avec l'enthousiasme que suscitent les projets les plus exaltants que Faten Rouissi a voulu répondre à l'invitation du Festival International de Musique Symphonique d'El Jem avec cette exposition qui est aussi un concept : L'aboyeur.

En effet, et pour la première fois dans l'histoire de l'Amphithéâtre d'El Jem, haut lieu du patrimoine tunisien millénaire, carte blanche lui a été donnée, dans une réjouissante expérimentation de croisement des arts, de la musique à l'art visuel en son sens le plus large.

 

« L'Aboyeur », c'est donc une exposition et un concept, autour d'un personnage à la fois fictif et réel. Il est né de l'observation attentive qu'a pu faire l'artiste des médias de masse après la révolution et dans la démocratie naissante. Il y avait, explique l'artiste, dans les divers débats télévisés, quelque chose de l'ordre du chaos et de la dissonance, des voix s'élevant non pas ensemble mais les unes sur ou contre les autres, provoquant une inaudible cacophonie, finalement plus pénible que constructive. A cette forme de contestation, libératrice et salvatrice, mais aussi sauvage et parfois sans contenu rigoureux, porté par les passions parfois davantage que par la réflexion, a répondu l'artiste par la création de ce personnage hybride et paradoxal. Il se dessine comme une sorte d'archétype du « contestaire professionnel », de celui qui prend la parole de manière intempestive et en abuse, de celui qui profite de la liberté d'expression pour dire n'importe quoi pourvu qu'on l'entende. Mais que l'on ne s'y trompe pas, ce personnage existe dans toutes les démocraties du monde, il en constitue même un des dangers. Confisquant et détournant le principe de la liberté d'expression, il parvient parfois à couvrir de ses inepties les voix plus intelligentes.

 

C'est donc à une subtile réflexion sur le sens de la liberté d'expression démocratique que nous invite Faten Rouissi, pointant ainsi la nécessité d'une sorte d'apprentissage de la tempérance, qui, nous le savons, est une des vertus cardinales, en morale comme en politique. La muselière, qui évoque immédiatement l'aboiement, contrarié, du chien, symbolise cette nécessité de mesure et de modération, pour parvenir à une vie publique sereine.

 

Un équilibre entre la concorde et la liberté, tel est peut-être le trésor, à l'instar de la légende d'El Jem - qui raconte qu'un chien est ici le protecteur d'un trésor caché-, que ces étranges personnages muselés recherchent. Car il ne s'agit pas, bien entendu, de « museler la parole », car le silence, en politique, est souvent signe de despotisme. Par cette incarnation qu'est l'aboyeur, il s'agit bien plutôt de mettre en avant la nécessité d'une communication rationnelle, apaisée, dans laquelle l'argumentation, la délibération, participent réellement de l'opinion et de la décision publiques. Il s'agit de faire la place à une parole construite, et non, à l'ère du bavardage médiatique, de la « télécratie », pour reprendre le mot du philosophe français Bernard Stiegler *, à ce que les grecs appelaient « la doxa », c'est-à-dire une communication basée sur « ce qui parait », étymologiquement « ce qui scintille », le préjugé et la présupposition, le cliché et la confusion, le spectaculaire, ce que les industries de divertissement culturels incarnées dans les télévisions nourissent.

Sous des dehors ludiques, qui racontent la vie et l'oeuvre de l'Aboyeur, la réflexion politique et sociétale est bien présente.

 

Bien sûr, l'Aboyeur, à l'instar d'un cynique, auquel son intempestivité fait immédiatement penser, est là pour renverser les certitudes et les valeurs admises. Subversif, inattendu, décalé, contestataire, il se dessine comme une figure importante et probablement utile dans la balance des opinions, car, toujours du côté des moins nantis, il ne craint ni ne se soumet aux puissants et reste, à ce titre, un modèle de liberté. Ici, à El Jem, l'aboyeur, provisoirement apaisé, se refuse ce soir de bal aux grands discours et choisit pour une fois le silence, afin de laisser la place à la joie pure de la musique.

 

* Bernard Stiegler - La télécratie contre la démocratie. Lettre ouverte aux représentants politiques, Paris, Flammarion, 2006.

 

Juillet 2017

 

 

ON VOUS DONNE RENDEZ-VOUS A l'AMPHITHEATRE d'EL JEM, LE 5 AOÛT!

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