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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 11:36
TEXTE - ZEVS - Elle

ELLE

De Buck Gallery is pleased to announce an upcoming exhibition by French artist Zevs, entitled ELLE. The exhibition will be on view at the gallery from November 19 to December 19, 2015, with an opening reception to be held on November 19 from 6-8 PM, which the artist is scheduled to attend.


 

ELLE fait suite à l'exposition Traffics in icons, présentée en 2013 dans la galerie, dans laquelle Zevs réinterprétait des tableaux mythologiques de vieux maîtres, les présentant dans un accrochage serré et sous une lumière aveuglante, déconstruisant la muséographie traditionnelle. Se réappropriant l'histoire de Danae, il transfigurait la « pluie d'or » du mythe, qui, si elle peut être interprétée de multiples manières, peut, dans nos temps contemporains, se comprendre comme une métaphore sexuelle autant que comme une allégorie des rapports entre les hommes et les femmes par le prisme du pouvoir, et de l'argent. Les éclairs -éléments récurrents dans le vocabulaire de l'artiste- foudroyant le corps nu de Danae, et laissant ruisseler -« liquider »- dans la terminologie de l'artiste, symboles monétaires et logos, constituaient pour lui les élements sémiologiques d'une critique de la société de consommation contemporaine.

 

L'exposition ELLE est conçue autour d'une série de mises en abîme, de dualités et d'effets miroir qui commencent dès la vitrine de la galerie avec ce « ELLE » rouge, reprenant la typographie du célèbre magazine, qu'on ne peut cependant lire dans le bon sens que dans le renvoi d'un miroir, suggérant d'emblée la réflexion qui traverse l'exposition quant à la question de l'image et de la représentation comme reflets ou signes.

C'est aussi un clin d'oeil aux origines françaises de l'artiste, et à son attachement à la ville de New-York : le magazine Elle fut créé à Paris en 1945 par Hélène Lazareff, qui, réfugiée à New York pendant l'Occupation y travailla comme rédactrice pour Harper's Bazaar et la rubrique « Femme » du New-York Times. Inspirée par le ton de la presse américaine, elle révolutionna la presse féminine française, axant la ligne éditoriale du magazine sur les revendications féministes et la société de consommation. « Elle » est aujourd'hui un des titres phares de la presse magazine féminine, décliné dans plus de 60 pays.

ELLE, ici, convoque toute une imagerie de la femme, notamment au travers de ses représentations iconiques, de la Joconde à une ingresque odalisque, en passant par Marylin ou Brigitte Bardot. Dans la continuité d'autres travaux – comme les « Visual Attacks », par exemple- il s'agit de réfléchir – dans les deux sens du terme- le corps-objet, la soumission du corps aux impératifs du marketing, le formatage d’une image-miroir idéale, apparaissant pour Zevs comme des épiphénomènes signifiants fondamentalement liés aux exigences de l’économie mondiale.

Pour autant, dans cette exposition, le thème de l'image féminine constitue une sorte de point d'accroche, ouvrant à un questionnement plus approfondi sur le statut de l'image à l'ère de l'industrie culturelle, dont nous postulons que l'art contemporain fait bien évidemment partie.

 

Car les notions d' « original » et de « copie » tissent quelques uns des fils conducteurs essentiels de l'exposition. Elle ouvre ainsi sur deux œuvres, deux photographies de deux œuvres que Zevs a par ailleurs réalisé en peinture (« Illuminated Old Masters works »), dans un travail de réappropriation des célèbres « Grande Odalisque » d'Ingres et du « Violon d'Ingres » de Man Ray. Mises en abîme comme dans un jeu de miroir -car l'oeuvre de Man Ray est en outre inspirée de l'oeuvre d'Ingres (une baigneuse, celle, peut-être du « Bain turc »)-, Zevs va au-delà de la simple interprétation. A l'instar de Man Ray lui-même, il a choisi de présenter ici non pas la peinture elle-même, mais une photographie de la peinture, tirée cette fois sur la surface d'une couverture isothermique, jouant à la fois sur l'aspect froissé de la matière dorée et le rendu lisse et froid du plexiglas évoquant le papier glacé d'un magazine.

Ces deux œuvres se présentent donc comme des sortes d' « artefacts », des excroissances du processus créatif initial, des copies de copies dans une chaîne de « reproductions ». Zevs met ainsi lumière le processus de reproductibilité de l'oeuvre d'art, théorisé au siècle dernier par Walter Benjamin* pour qui l'imprimerie et la photographie – ainsi que le cinéma- désacralise, en la rendant reproductible « à l'infini », l'oeuvre d'art, détruisant sa dimension iconique au profit d'une diffusion de masse. Le Pop Art, auquel fait implicitement référence Zevs dans la suite de l'exposition, dans son processus de sérialisation d'artefacts entérinera cette réalité nouvelle largement intégrée dans la production contemporaine, en même temps que sa libéralisation -sa marchandisation**.

 

Zevs avait déjà détourné de sa fonction première la couverture de survie dans la série « Les tombées de la nuit », qui auscultait la condition physique de « sans domiciles fixes»...La voici ici mise au profit de l'éclat chic mais cheap, doré comme le papier froissé d'une friandise de Noël, d'icônes pop. Dans l'esprit de ses « Visual Rapes », Zevs flashe quelques uns des portraits de stars les plus reconnaissables au monde, à tel point que l'allusion suffit : une robe, une pose devenues archétypales.

L'utilisation du doré, que l'on retrouve partout dans l'exposition, renvoie avec acuité à la fonction symbolique de l'or, depuis la lumière céleste nimbant les icônes orthodoxes, reflet éternel mais tangible de la splendeur divine, l'extravagance baroque, manifestation d'un pouvoir politique émanant du religieux, jusqu'à l'ostentation narcissique du luxe contemporain.

Il offre par delà la dimension formelle une réflexion sur le statut de l'oeuvre d'art comme icône, opérant de nombreux brouillages, croisements et retournements. Là où l'icône religieuse rend visible l'invisible, en transcendant la représentation, le flash oblitérant le visage de la star rend invisible le visible. Là où la photographie rend l'image reproductible, Zevs en mime la sacralisation par cet ersatz doré. Mais dans le même temps, ces images sont réellement « icones » au sens sémiotique tel qu'il fut défini par Charles Sanders Pierce***, c'est-à-dire des signes analogiques, immédiatement lisibles (compréhensibles) et porteurs de sens.

 

L'exposition se clôt par une pièce maîtresse, une installation présentant de la manière la plus précieuse et muséale qui soit une Mona Lisa -copie du célèbre tableau de Léonard de Vinci-, parée d'une sculpture représentant un sac – un vrai-faux sac, en bronze recouvert d'or et rappelant la forme d'un sac d'une grande maison de luxe française, mais siglée aux initiales du peintre italien- auprès de laquelle est présenté, comme une relique, détail sorti du tableau, ce qui pourrait être le doigt coupé de la Joconde. « Mona Lisa Yubitsumé » a été réalisé en collaboration avec un prothésiste japonais, qui s'est spécialisé dans la reconstruction des phalanges coupés des yakuzas se soumettant à ce rituel d'automutilation expiatoire. Dans la longue histoire du Yubitsumé, il est rapporté que cette pratique avait également cours dans d'autres corps sociaux, notamment chez les prostituées, se mutilant le petit doigt en signe de dévotion à leur proxénète. Par croisement historique, cette hypothèse rejoint celle que Daniel Arasse**** développe à propos de l'absence de cils et de sourcils du visage de Mona Lisa, participant à son étrangeté. Selon lui, et ceci aurait été confirmé par une analyse spectographique en 2004, les sourcils et les cils de Mona Lisa auraient été effacés vers le milieu du 16ème siècle par un inconnu, car les femmes de la bonne société avaient adopté à cette époque la pratique des prostituées des décennies précédentes et s’épilaient désormais le visage.

 

Voici l'une des représentations d'un visage féminin les plus célèbres au monde, l'objet d'art le plus visité au monde : il n'y a pas au monde d' « icône » féminine plus connue et comme les vraies icônes, ce n'est pas vous qui la regardez mais elle qui vous regarde.

Renforcée par une scénographie épurée, pouvant contraster avec le traitement apparemment fastueux des icones pop, cette Mona Lisa, rare, bien que « fausse », et la sculpture de ce sac « faux » bien que vrai, semble comme une tentative de « restaurer l'aura » que, toujours selon Walter Benjamin, la plupart des œuvres contemporaines ont perdu.

La présence de cette œuvre énigmatique se joue également comme une manière de revenir à « Elle », l'évocation, nourrie d'une pointe d'ironie peut-être, de cet « éternel féminin », que Goethe, ainsi à la fin de son Faust, pensait salvateur. En attendant, « elle » s'est offert un sac à main, rutilant d'or...

 


 

* Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dernière version 1939, in « Œuvres III », Paris, Gallimard, 2000.

** cf Theodor W. Adorno/ Max Horkheimer – La dialectique de la raison, 1947 – Ed. Tel Gallimard

***Writings of Charles S. Pierce: A Chronological Edition. Bloomington, Indiana U. P., 1982-1989

****Daniel Arasse - Histoires de Peintures, 2004 – Ed. Denoël (rééd. Folio-poche 2006)


 

 

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