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22 mars 2019 5 22 /03 /mars /2019 10:38
Vue de l'exposition "Faux Semblants" au Musée de Cholet - A gauche, oeuvre "Intériorité 6" de Florence Baudin

Vue de l'exposition "Faux Semblants" au Musée de Cholet - A gauche, oeuvre "Intériorité 6" de Florence Baudin

 

Publication dans le catalogue de l'exposition "Faux Semblants", Musée du textile et de la Mode, Cholet

Intériorité 6

 

Pour "Faux-semblants", Florence Baudin présente "Intériorité 6", une œuvre sculpturale textile, dont la laine, traitée dans sa naturalité, constitue le matériau principal.

Ici, le "Faux-semblants" réside probablement dans le fait que l'œuvre, bien que rentrant dans la catégorie de l'œuvre textile, comme la plupart des créations de Florence Baudin, ne fait appel à aucune technique textile usuelle, en artisanat comme en art : ici, ni couture, ni broderie, ni travail du fil mais seulement  le matériau dans ce qu'il a de plus brut, naturel et simple, dans une approche libérée des attendus de l'art textile.

Le travail de Florence Baudin dissèque avec force et raffinement les relations entre le "dedans" et le "dehors", l'invisible sous le visible, l'organicité et la forme du corps, essentiellement féminin. Le corps de la femme se voit ainsi défini comme territoire et espace : espace émotionnel d'une mémoire, d'une histoire, mettant à nu le secret organique, de l'ombre à la lumière.  

L'œuvre "Intériorité 6" issue d'une série que l'artiste poursuit depuis 2014 et dans laquelle elle expérimente, de manière chaque fois différente, l'expression de cette poussée de l'intérieur du corps hors de lui-même, cette manière d'affleurer l'organe à la limite de son enveloppe, avant l'irrémissible dispersion, est à ce titre exemplaire. D'un buste, au sens presque classique du terme, si ce n'était cette chevelure laineuse et exubérante masquant le visage, les épaules et la poitrine comme sculptée dans la matière laineuse, comme moulée sur un corps tel une seconde peau, s'échappent des écheveaux de laine en magma viscéral. Dans cette sorte d'arrachement à la vie, l'image pourrait apparaître assez violente mais, sans doute parce que l'œuvre de Florence Baudin relève moins d'une fascination pour l'anatomie splanchnologique que d'une vive expression émotionnelle, il se dégage pourtant de l'œuvre une certaine douceur, dans laquelle on pourrait se lover comme dans un vêtement protecteur, ou encore un espace ouvert de métamorphose, un cocon qui exprime la force de la vie et la possibilité d'un devenir autre.

 

"Faux-semblants"

Musée du Textile et de la Mode, Cholet (Maine et Loire)

du 16 mars au 22 septembre 2019. 

 

 

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11 mars 2019 1 11 /03 /mars /2019 18:41
Crédit photo: Magali Maleux

Crédit photo: Magali Maleux

Suspendues dans la nef, seize sphères, seize « pupilles » imposantes semblent nous regarder…

Mai Tabakian les a baptisé « Gardiens », et l’interprétation très polysémique de cet ensemble d’œuvres relève d’un foisonnement de références possibles, ésotériques et esthétiques.

Les « Gardiens » nous guident-ils, nous protègent-ils, à la manière de l’Œil Oudjat de l’Egypte antique ? A moins qu’ils ne nous surveillent, à l’instar de l’Œil de la Providence ou ne soient menaçants, comme le Rôdeur du « Prisonnier »…

Ou peut-être s’agit-il de l’incarnation de l’œil omniscient de quelque divinité ?

Crédit photo : Magali Maleux

Crédit photo : Magali Maleux

Fascinants, étranges, inquiétants, ces « Gardiens » oscillent entre science-fiction et allégorie, d’une sorte de Big Brother orwellien à l’œil de HAL9000 dans « 2001: A Space Odyssey » de Kubrick, de l’art optique de Vasarely à l’esthétique rétro-futuriste qui, dans les années 70, explorait l’imagerie d’un futur qui n’existera jamais.

Surplombant le jeu de l’oie et faisant face à l’œuvre « Balance Point », ils semblent alors entrer en résonnance avec elle. D’un côté l’œil et de l’autre, le triangle, figure hautement symbolique mais ici, dans cette ancienne chapelle, ramenant à la figure de la Trinité.

 

OBJETS FLOTTANTS
Mai Tabakian

Jusqu'au 23 mars au centre d'art Les 3 CHA - Chateaugiron

/www.les3cha.fr/

http://www.maitabakian.com

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25 février 2019 1 25 /02 /février /2019 13:20
Crédit photo: Magali Maleux

Crédit photo: Magali Maleux

Au sol de la nef, « Le grand chemin » est une installation monumentale de près de huit mètres de long sur plus de quatre mètres de large.

L’artiste a d’abord été inspirée par les pavages labyrinthiques des cathédrales de Chartres, d’Amiens ou encore de Cologne, en Allemagne, tant pour leur dimension formelle, géométrique et bi-chromique que pour ce que symbolise ce type de dédale : la lutte pour élucider le monde, pour cheminer vers son salut malgré les tourments de la vie et la tentative, en architecturant l’espace, d’ordonner le chaos.

Se dessine alors l’idée du « Jeu de l’oie », également utilisé dans les thérapies systémiques pour replacer un événement traumatique dans la temporalité d’une histoire. Métaphore du « chemin de la vie » par excellence, il met en balance, à la différence du labyrinthe impliquant une forme de rationalité voire de nécessité, la part de hasard pur dans ce parcours initiatique, qui est aussi un voyage intérieur.

Crédit photo: Magali Maleux

Crédit photo: Magali Maleux

Vraisemblablement né en Italie à l’orée du XVIIème siècle et composé de 63 cases enroulées en une spirale intérieure ponctuée d’oies, animal symboliquement annonciateur du danger, le jeu de l’oie a pour but de parvenir, entre embûches et coups du sort, au « Paradis ».

Jeu de la destinée, de la « fortune » et du « bon heur », au sens premier de ces termes, l’audacieux jeu de l’oie de Mai Tabakian réinterprète dans son langage plastique chacune des 63 stations. Depuis les cases d’épreuve (Le pont-levis (case 6), l’hôtellerie (case 19), le puits (case 31), le labyrinthe (case 42), la prison (case 52) et la mort (case 58) jusqu’aux cases « oie » qui reprennent des motifs traditionnels (vols d’oies, couronnes de plumes), toutes sont traitées avec beaucoup de recherche, dans une alternance de formes géométriques abstraites, de formes végétales ou de motifs de « quilt » anglo-saxon.

Les visiteurs peuvent, aidés du document mis à leur disposition, parcourir ce jeu de l’oie extraordinaire et tenter avec lui de raconter une histoire.

OBJETS FLOTTANTS
Mai Tabakian

Jusqu'au 23 mars au centre d'art Les 3 CHA - Chateaugiron

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12 février 2019 2 12 /02 /février /2019 17:32
Crédit photo: Magali Maleux

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« Balance point »

Le chœur de la Chapelle est entièrement occupé par « Balance Point », une œuvre sculpturale d’envergure exceptionnelle constituée de dix-huit œuvres triangulaires, formant elles-mêmes deux triangles se touchant par leurs pointes, et reprenant les motifs du triangle dit « de Sierpinski ». On reconnaît là la passion de l’artiste pour la géométrie et les mathématiques, et notamment, donc, pour les figures fractales, que l’on retrouve de manière récurrente dans son travail.

Si l’appréhension visuelle des figures fractales est souvent fascinante, sur le plan symbolique, ces objets mathématiques, tel le triangle de Sierpinski, ouvre le champ à toute une réflexion, dans laquelle se retrouve un certain nombre de préoccupations de l’artiste, sur l’infini et la répétition, sur la réplique et la variabilité, sur la mise en abîme, sur la manière, une fois encore, dont on peut ordonner, modéliser…comprendre le monde et tenter de le maîtriser.

« Balance Point » se manifeste aussi comme l’aboutissement d’une recherche chromatique approfondie, déployant un « colorama » précis de nuances tirant, pour les triangles pointes en haut, vers les couleurs dites « chaudes » et, pour les triangles pointes en bas, vers les couleurs « froides ». Une balance entre, dit l’artiste « le feu et la glace ».

Car il s’agit bien ici fondamentalement de la recherche d’un équilibre subtil et peut-être précaire : pointe contre pointe, apparemment instable et périlleuse, l’œuvre est un mobile, composée d’éléments indépendants pouvant se mouvoir au moindre souffle d’air. « Balance Point »,  à la manière d’un Calder, s’érige en perpétuelle (re)composition, en réinvention permanente, comme doit l’être la vie si l’on veut, en dépit de tout, tenir debout.

Objets flottants : Balance point - Mai Tabakian au Centre d'art Les 3CHA, Chateaugiron

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12 février 2019 2 12 /02 /février /2019 17:10
Crédit photo: Magali Maleux

Crédit photo: Magali Maleux

Les « Blasons-codes »

Sur les murs latéraux de la chapelle, se déploient deux séries de quatre œuvres en forme de blason, de grand format.

Cet ensemble d’œuvres matérialise le premier projet conçu par l’artiste pour l’exposition, en écho à l’histoire de la Chapelle, dont la nef fut, entre le XVIIème et le XIVème siècle, largement ornée de fresques montrant des blasons seigneuriaux.

Mai Tabakian s’empare ici du vocabulaire très codifié de l’Héraldique, née au Moyen-Âge, pour créer des blasons contemporains, des armoiries d’un genre nouveau. Jouant sur le langage héraldique (partitions, associations, couleurs) et sur la symbolique qui le compose (formes, objets, animaux), elle en respecte les  lois (par exemple les métaux : Or (jaune) et Argent (blanc) toujours associés à un émail : Gueules (rouge) et Azur (bleu)) tout en les conjuguant avec son propre langage plastique et symbolique : variations de texture,  hybridations de motifs géométriques ou organiques et végétaux…

 

Objets flottants: les Blasons-codes - Mai Tabakian au centre d'art les 3CHA, Chateaugiron

Sur chaque écu, un QR Code a remplacé abstraitement la devise. En le flashant, le visiteur découvrira alors une phrase courte et concise, donnant sens au blason, que l’artiste rapproche d’un Haïku. En 2011, Mai Tabakian avait déjà fait appel à la technologie du QR Code qui, dans la série « Haïkus code », générait de brefs poèmes japonais. Le Blason-Code ainsi créé constitue, explique l’artiste « une sorte de métissage entre le blason du Moyen-âge et le logotype contemporain, sorte de revendication géométrique et abstraite aux multiples niveaux de lectures. »

Parmi ces niveaux de lecture, celui du sens même du blason comme espace de reconnaissance interpelle l’artiste.  En effet, système de désignation des personnes mais aussi des lignées, des familles et des parentés, celui-ci constitue un marqueur d’identité et d’appartenance. Dans son langage codé à forte composante analogique, le blason demande : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? ». « Objet flottant » utilisé dans la thérapie systémique pour produire la carte d’identité problématique d’un couple, ou d’une famille, le blason, selon l’artiste, interroge aussi une mémoire, investigue un passé, raconte une histoire à décoder.

Blason-code, détail - Crédit photo: Magali Maleux

Blason-code, détail - Crédit photo: Magali Maleux

OBJETS FLOTTANTS
Mai Tabakian

Jusqu'au 23 mars au centre d'art Les 3 CHA - Chateaugiron

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22 janvier 2019 2 22 /01 /janvier /2019 11:36
OBJETS FLOTTANTS, un solo show de MAI TABAKIAN au Centre d'art 3 CHA, en Bretagne, à Chateaugiron

J'aurai la grande joie d'accompagner bientôt Mai Tabakian au vernissage de son Solo Show de folie, au Centre d'Art les 3 CHA, à Chateaugiron, en Bretagne!

A l'occasion de cette évènement exceptionnel, j'ai eu le plaisir de rédiger les textes de l'exposition.

« Objets flottants » est la première exposition monographique d'envergure de l'artiste franco-vietnamienne Mai Tabakian. Sa proposition, dans le déploiement de quatre œuvres monumentales, parfois suspendues, évoque d'emblée cette question du flottement, dans l'espace et dans la métaphore, et offre, dans une sorte de parcours initiatique, une réflexion à la fois ludique et profonde sur la recherche de l'équilibre, d'un point d'équilibre, nécessaire mais mouvant et fragile.

 

Le titre de l'exposition lui a été inspiré par la notion d' « objet flottant » utilisé dans les thérapies systémiques - forme de thérapie tenant compte non seulement de l'individu mais aussi de son environnement comme « système », réseau, rhizome - dans lesquelles des objets (et notamment le blason, le jeu de l'oie) prennent forme symbolique pour dire quelque chose d'une histoire, personnelle, familiale, sociale. L'objet flottant est donc, dans la thérapie comme dans l'art, un « espace intermédiaire », entre soi et soi-même, le réel et le fantasme - qu'il soit de l'ordre du désir ou de l'effroi - un espace des possibles.

 

Flottants, ces « objets », ces œuvres, le sont aussi par la façon dont, à l'instar du « monde flottant » de la tradition japonaise (l’Ukyiô), ils manifestent chacun à leur manière la réalité d'un monde marqué par l'impermanence et la relativité des choses. Draînant toute la pensée asiatique, le sentiment d'incertitude, la difficulté de capturer, de maîtriser les éléments du monde se trouvent confrontés, écho à la double culture de l'artiste, à la tentation rationnelle, notamment au travers de l'intérêt que l'artiste porte à la géométrie et aux mathématiques, à la perfection des formes, à la modélisation du réel. Carré, triangle, cercle, rectangle, pentagone, hexagone ou octogone, les formes de la « géométrie sacrée », à l'œuvre dans la nature comme chez les bâtisseurs, s'inscrivent partout chez Mai Tabakian, comme pour consolider son monde et en conjurer la fluidité.

 

Les œuvres de Mai Tabakian conservent toujours néanmoins une dimension ludique, avec leurs formes sensuelles et leur chromatisme exacerbé, jeu renforcé ici par l'appel à des éléments identifiés de la culture populaire. Comme dans l’Ukyiô, la légèreté est une politesse et un devoir face à la fugacité du monde...

Elles trouvent également leur richesse dans la multiplicité des inspirations et des références qui font de ces objets hybrides et étranges, à l'exemple des « Gardiens » surplombant la nef, des œuvres à la croisée de l'artisanat - toutes les œuvres sont produites par l'artiste dans son atelier - et de l'esthétique numérique, puisant au passage chez Vasarely et l'op art, Felice Varini et Calder, mais aussi Hokusai ou Stanley Kubrick jusqu'au mathématicien polonais Waclaw Sierpinski, qui a inspiré à l'artiste l'œuvre « Balance Point ».

 

Ici, dans l'espace majestueux de la Chapelle de Châteaugiron, la dimension spirituelle du lieu résonne avec le syncrétisme culturel de l'artiste. Pour les 3 CHA, elle a imaginé des installations à l'échelle du monument et sensibles à son histoire et à sa résurrection, spécifiquement créées et produites pour l'exposition.

 

Née en 1970 à Paris, Mai Tabakian est une artiste franco-vietnamienne. Elle vit et travaille à Paris et Montrouge. Diplômée en Droit et en Histoire de l'Art, elle choisit de se consacrer entièrement à l'art à partir de 2010. Ses œuvres, principalement sculpturales, font essentiellement appel au textile, désormais médium à part entière dans l'art contemporain, dans une technique très particulière de « marqueterie textile » dont elle est dépositaire. Depuis 2010, son travail a été montré régulièrement dans des expositions personnelles en galeries (en France, en Belgique, en Allemagne), des centres d'art ( le 116 à Montreuil, H2M à Bourg-en-Bresse), des expositions collectives (« Say it with flowers » au Museum Bellerive de Zurich (Suisse), « Au-delà de mes rêves » et « A l'ombre d'Eros » au Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse, « Growing » à la Gallery of The National Centre for Craft and Design à Sleaford dans le Lincolnshire (UK)) et internationales (Xème Triennale internationale des mini-textiles, Musée Jean-Lurçat à Angers,  Rijswijk Textile Biennial, à Rijswijk aux Pays-Bas, Miniartextil à Côme en Italie)

 

Objets Flottants

Mai TABAKIAN

Vernissage le 1er Février 2019

Les 3 CHA - Chateaugiron


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15 septembre 2017 5 15 /09 /septembre /2017 12:18

Double impact en cette rentrée artistique pour Corine Borgnet, qui présente, avec la complicité de Isabelle de Maison Rouge, une exposition personnelle à la Galerie de la Voûte, qui sera aussi l'occasion du lancement d'un ouvrage publié aux Editions Courtes et Longues. 

"Sans foi ni Particule" présente, entre autres, un entretien avec l'artiste mené par Isabelle de Maison Rouge et moi-même, des textes sur un choix d'oeuvres, également signés de nos deux plumes respectives, et un beau panorama de photographies d'oeuvres.

A découvrir le 21 septembre à la Galerie de la Voûte, pour le vernissage, avec une performance de la désormais incontournable Tata Jacqueline!

Sans foi ni Particule: une exposition, et un ouvrage, de Corine Borgnet

Sans Foi Ni Particule - L'exposition - Galerie de la Voûte, 42 rue de la Voûte, Paris 12

Vernissage le 21.09 - Exposition jusqu'au 14.10

Sans Foi Ni Particule - Le livre -

Avec des textes de Isabelle de Maison Rouge, Marie Deparis-Yafil et Mony Vibescu - Ediions Courtes et Longues - ISBN 978-2-35290-185-3 - 24 €- EN vente aussi sur Internet: Fnac et autres sites de ce genre..- cle.editions.com 

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 12:03

Dans le cadre du Latin Arab Internatiional Film Festival (https://www.facebook.com/LatinArab/?fref=mentions&pnref=story.unseen-section), l'Alliance Française de Buenos Aires a invité Sadek Rahim à développer un  nouveau travail, une exposition intitulée "Continuum", qui tente d'établir des ponts, au travers de l'universalité de l'enfance, entre les trajectoires historiques, et ses drames, de l'Algérie et de l'Argentine.

J'ai ainsi été invitée à rédiger un texte, que je publie ici:

"Continuum", Série de diptyques, Photographie et dessin à la mine de plomb, 2017

"Continuum", Série de diptyques, Photographie et dessin à la mine de plomb, 2017

Continuum

 

...Quelqu'un raclant

les murs du monde

avec ses os ?...


Silence des yeux, Juan Gelman, 1981

 

Quelque part sur l'étroite bande côtière qui sépare la « montagne des lions » de la Méditerranée, entre Oran et le village portuaire de Kristel se dressent, face à la mer, les ruines d'une ancienne colonie de vacances, haut lieu de villégiature des petits Algériens de la région dans les années 70 et 80. 
Sadek Rahim passa un ou deux étés, enfant, dans une colonie de ce genre, dans une ambiance qui tenait davantage du camp militaire que des plaisirs balnéaires. Peut-être que cette rigueur, dans l'organisation des loisirs enfantins comme dans la tenue exigée d'eux avait quelque chose à voir avec la forte influence, militaire, politique économique et culturelle du « modèle soviétique », qui prévalut dans l'Algérie post-coloniale jusqu'à la fin des années 80. Ici, sans doute, s'agissait-il de modeler, pour reprendre l'expression du philosophe français Michel Foucault, les « corps dociles »* nécessaires à toute société disciplinaire. Parmi les ruines, certains murs sont restés bien debout ; sur l'un d'entre eux, on peut distinctement lire le mot « administration ». L'architecture parle, elle organise la violence en la « territorialisant », elle matérialise les dispositifs de contrôle et de domination des corps par les règlements, les fonctions, en un mot, le pouvoir.
De temps à autre, au cours de ses pérégrinations, Sadek Rahim revient sur ces lieux le ramenant à des souvenirs d'enfance pas si heureux, regardant l'horizon depuis ces édifices aujourd'hui à l'abandon, comme s'ils avaient laché prise.
Puis il a appris que ces bâtiments avaient plus tard été occupés par l'armée nationale populaire algérienne, pendant la « décennie noire ». « J'ai trouvé fascinant », dit-il, « que ce lieu, supposé être un lieu de joie, de paix, un des rares échappatoires pour les enfants, soit lui aussi finalement lié d'une façon ou d'une autre à l'histoire tragique récente de notre pays ». 

Au travers du projet « Continuum », comprenant une série de diptyques photographie-dessin à la mine de plomb, Sadek Rahim poursuit une réflexion de près de dix ans sur les échecs de l'histoire contemporaine de son pays, et notamment les questions si sensibles de la migration et de l'exil, et en particulier de l’immigration clandestine des jeunes algériens vers l’Europe. Ainsi, Faces, Leaving paradise, Changing dreams ou encore Facing horizon étaient des projets dans lesquels photographies et vidéos, prises dans des villages côtiers, offraient le portrait de jeunes algériens potentiellement candidats à l’émigration clandestine. Souvent, la Méditerranée a été au centre de son travail. Cette fois, il l'a délibérément placée à l'arrière-plan des images. Puis, dans le dessin, les trouées bleues de la mer – l'échappatoire, l'espoir- se trouvent comme obturées par le crayon noir, manière de dire que si la mer est toujours là, elle représente pour beaucoup aujourd'hui l'immensité d'un drame dont l'origine a un rapport avec ce que fut cette colonie de vacances : une orientation politique, économique, sociale, l'exercice d'un pouvoir...
Aussi, au-delà du continuum des espaces et des temps, se dessine une continuité sous le terme d'universalité. Ce que pointe Sadek Rahim, c'est le rapport de causalité qui est à l'oeuvre dans l'histoire, de manière parfois subtile, sous-jacente, symbolique. Autrement dit, ces bâtiments, dans ce qu'ils ont été et ce qu'ils sont aujourd'hui, matérialisent cette déréliction, cette difficulté à réformer, à sortir de l'émergence, qui, pour l'artiste comme pour beaucoup d'Algériens, sont liées aux choix politiques des pouvoirs successifs depuis l'après indépendance. 

Sur la plage près de Kristel, Sadek Rahim photographie ces murs qui hantent sa mémoire ; à Buenos Aires, il en superpose l'image à un autre mur. Ainsi, sur un mur de la galerie, est posée la reproduction au format réel d'un des murs de la colonie. « Comme une seconde peau », dit l'artiste, comme une manière de lier intimement, d'entrelacer les deux histoires tragiques que ces deux pays partagent dans leur histoire contemporaine. Mur contre, tout contre mur. Ceux de ce centre de vacances abandonné font écho à l'histoire de l'Algérie, mais aussi à celle de l'Argentine, ne serait-ce que parce que la liberté de l'enfance, sa joie pure, son ignorance et son innocence, est universelle. 
Le 24 mars 1976, Sadek Rahim fêtait ses cinq ans. En Argentine, à ce moment là, les lieux dévolus à l'enfance seront bientôt transformés en espaces militaires, en centres de détention...D'une partie à l'autre du monde, les soubresauts de l'histoire, ses errements, et ses erreurs semblent parfois se reproduire comme un continuum de la tragédie, dont les enfants sont souvent les premières et plus innocentes victimes.
Ici, à Buenos-Aires, Sadek Rahim a voulu que l'exposition soit un hommage aux familles meurtries, désossées, aux enfances arrachées, aux enfants volés, aux femmes, enfin, de la place de Mai.
Partout où ont régné la violence et l'arbitraire, il faut tout reconstruire : les identités, fragmentées, éclatées, les « mondes communs »** comme disait Hannah Arendt, reconstruire, donc, les mémoires et les projets d'avenir.
Réinventer aussi. Repousser les murs, les faire tomber, rouvrir le paysage...au bleu de la Méditerranée. 


*Surveiller et punir - Naissance de la prison (1975),- Michel Foucault - 1975
**Condition de l'homme moderne - Hannah Arendt – 1958

Continuum - Un solo show de Sadek Rahim, Buenos Aires, Argentina
Continuum - Un solo show de Sadek Rahim, Buenos Aires, Argentina
Continuum - Un solo show de Sadek Rahim, Buenos Aires, Argentina

Le vernissage, c'est aujourd'hui, lundi 4 septembre!

Sous la direction de Caroline Coll, Direction du Service Culturel

INFORMACIÓN
04/09 - 18.30hs -> Inauguración de la Exposición
Microcentro, Av. Córdoba 946 (Galería de arte, 1º piso)
Entrada Libre y Gratuita
--
Exposición del 04 de septiembre al 20 de octubre
Microcentro, Av. Córdoba 946
Horario de atención: De lunes a viernes: 09hs - 20hs / Los sábados: 9hs - 13hs
Entrada Libre y Gratuita

Texte publié dans la revue Transverse

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4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 19:34

Anne-Marie Morice, fondatirce de la revue on line Transverses, m'a invitée à publier à nouveau dans la revue mon texte sur "Splash!" du peintre marocain Yassine Balbzioui.

Visible donc ici:

http://www.transverse-art.com/oeuvre/splash

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7 mars 2017 2 07 /03 /mars /2017 16:37
khossouf
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khossouf

A l'occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Imane Farès à Paris, le magazine Diptyk m'a demandé d'écrire un article sur le travail de Mohssin Harraki, dont je vous livre ici la "version originale"

 

Matière grise

 

Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Imane Farès, à Paris, l'artiste marocain Mohssin Harraki se penche sur la substance du monde, nourri par un questionnement ontologique en appelant autant au dualisme cartésien – «Matière grise»: substance étendue contre substance pensante- qu'aux cosmologies médiévales arabes.

 

L'artiste a construit le propos de l'exposition à partir de Anwar al-nujūm (La lumière des étoiles, 2015), quatre vidéos interprétant avec force et poésie la beauté mathématique du mouvement des astres. Le monde peut-il se résoudre en une équation? Est-il mû par une logique, matérielle ou métaphysique? Au travers d'un corpus d'oeuvres nouvelles, qui s'offrent comme autant d'indices d'un sens possible, Harraki demande comment comprendre, ou du moins se représenter, l'ordonnancement du monde, si jamais il y en a un? Si cette question fut mille fois soulevée dans l'histoire de la pensée, elle relève, chez lui, d'un intime souci, remontant à l'enfance, de «la logique des choses». «J'ai été bon élève en mathématique et en calculs», confie-t-il à Karima Boudou*,« Je sais suivre la logique des chiffres; mais à un moment donné l’art a pris le dessus, avec une manière de voir la logique autrement.» De là provient sans doute son intérêt pour les penseurs arabes médiévaux (Ibn al-Shatir, Al-Biruni), pour qui mathématique, médecine, art, participaient de la même recherche. De là aussi, l'intuition de la nécessité de se projeter au-delà du «phénomène» (au sens propre, ce qui apparaît) – dont l'Histoire et la politique, dans notre monde médiatisé, font partie- pour s'arracher de la surface des choses.

Ainsi, la série Khossouf (Eclipse, 2017), inspirée des textes de l'astronomie arabe et probablement de l'Amalgeste de Ptolémée, semble lier l'ordre cosmologique à tous les ordres du monde, tandis que dans le secret du sous-sol de la galerie, Najm (Etoile, 2017), sorte de monolithe rayonnant, laisse la lumière traverser ses épaisseurs de verre gravées de schémas et de mots, se diffuser et se diffracter, à la fois émergente et immanente. C'est comme si le désordre, le chaos, la démesure étaient en vérité inessentiels, et que, invisibles aux yeux immédiats, comme ces livres de béton massifs et clos que Harraki imagina en 2010, comme ces sorte de cénotaphes, qui participent de l'installation Rahatu’L-Aql**, les véritables sous-bassements du monde – de la nature à la politique, de la civilisation à la morale- tenaient de lois verticales dont nous ignorons encore bien de complexes ramifications.

Au sol, une installation de huit pierres, prisonnières d'un maillage de cables noirs, s'épanouissent ensuite en arbres lumineux, exprimant la migration des idées, de la pierre à l'ampoule, du sol à la lumière, de la terre au ciel. Harraki avait déjà exploré par le passé la métaphore botanique de l'arbre et du rhizome, pour tenter de décrire un système du monde. Avec Tagant (2016), il avait ainsi créé l'équivalent d'une « cartographie de la pensée».

 

On retrouve donc ici des thèmes récurrents dans le travail d'Harraki : les questions de la généalogie, de l'héritage, de l'histoire, de ce qui se construit sur et par les pairs. Peut-être peut-on y voir une manière de réactiver une filiation interrompue avec l'époque où la pensée arabe était à son climax.

Occupant tout un mur de la galerie, le Débat imaginaire entre Averroès et Porphyre (2016), emprunté à un manuscrit médiéval, est traité à la manière d'une fresque antique, enrichie d'un néon qui reprend, en arabe, des bribes de leur conversation fictive. Ce qui importe ici, c'est l'idée d'un dialogue d'égal à égal entre deux philosophes, l'un incarnant la pensée hélléniste, essence de la pensée occidentale, et l'autre, une pensée majeure de la civilisation islamique. Ces deux-là, s'ils devaient converser, ne parleraient pas de politique, au sens factuel du terme, mais iraient à l'essentiel: ils parleraient du désir. Car avant de comprendre ce qu'est l'amour du pouvoir et l'avidité, ne faut-il pas d'abord saisir la mécanique de ce qui anime le cœur même de l'existence humaine, son «premier moteur» comme dirait Aristote?

Revenir à ce qui est fondamental...

 

S'«il n’a pas renoncé au dessin, à la photographie, au modelage et à l’assemblage de textes, images et matériaux» comme l'écrit K. Boudou, Harraki est-il encore cet artiste «engagé», qui explorait «les conséquences du post-colonialisme sur les constructions culturelles et l'imaginaire collectif»? «Etre un artiste marocain», dit-il, «c'est-à-dire être marocain et avoir choisi d'être artiste est déjà en soi un acte politique». Alors il a pris ici le parti de fouiller les prémices de la pensée plutôt que ses avatars. A l'instar d'autres artistes de cette «Génération 00» comme l'avait baptisée Abdellah Karroum, il ne s'agit pas tant de se détacher du monde contemporain que de le regarder sous un autre prisme, dans une tentative presque nouvelle, tant on a oublié la pensée dans la cacophonie d'un monde perclus de ses contradictions idéologiques, d'en déchiffrer le fond.

 

* »Mohssin Harraki in conversation with Karima Boudou », 2016

** inspiré du livre "Rahat Al-Aql », de Hamid al-Din al-Karmani

 

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