Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 23:22

Saint-S-bastien---2010.JPG

 

Oeuvre présentée

« Saint-Sébastien », sculpture - aluminium, fibre de verre, polyester, coton, 107x50x60, 2010

Crédit photo : Arnaud Cohen

Courtesy Galerie Laure Roynette

 

L’œuvre de Arnaud Cohen présentée dans l’exposition revisite de manière radicale et contemporaine la représentation du saint martyr romain Sébastien, juxtaposant les interprétations religieuses, érotiques et politiques du corps du jeune homme supplicié de l’iconographie chrétienne et jouant de ces ambiguïtés.

 

C’est, dès le Moyen Age, une figure apollinienne, opportunité trop rare d’admirer un autre corps jeune et presque nu que celui du Christ, bien que « spectacle lascif  (pouvant) contaminer l’esprit des femmes »*. Et on ne peut fait l’impasse sur la puissance homo-érotique que dégagerait la plus classique des représentations du martyr, si on en croit la réaction de Mishima découvrant dans un ouvrage celle de Guido Reni « Ce jour-là, à l'instant même où je jetai les yeux sur cette image, tout mon être se mit à trembler d'une joie païenne. (…) La partie monstrueuse de ma personne qui était prête à éclater attendait que j'en fisse usage, avec une ardeur jusqu'alors inconnue, me reprochant mon ignorance, haletante d'indignation. Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu'on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l'attaque, venu d'au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant » ** Depuis, à partir de l’image canonique du saint transpercé de flèches, dans l’équivocité de la jouissance et de la douleur, de l’extase et du martyr, Saint-Sébastien est devenu icône catholique gay, revendiquée comme telle par, par exemple, la communauté LGTB.

 

C’est donc fort à propos que la relecture du Saint-Sébastien d’Arnaud Cohen interroge à son tour les relations ambiguës de la religion et de l’érotisme, dans l’innocence à peine feinte de représentations ambivalentes, dans lesquelles plaisir et jouissance sont à la fois donnés et coupables. C’est cette ambivalence que surexpose Arnaud Cohen en éludant la représentation physique de l’éphèbe au profit d’un objet à la forme clairement phallique.

 

Mais, comme souvent dans les œuvres d’Arnaud Cohen, l’objet est polysémique. Car l’objet présenté est en fait la carlingue d’un avion, dont les ailes sont retenues à l’arrière, comme les mains liées du Saint-Sébastien.  On pense alors à d’autres martyrs, une autre forme de culpabilité, qu’à moins de fascisme « pasolinien », on peut délester de dimension libidinale : celle par laquelle s’interpellent toutes les responsabilités politiques face aux enjeux de la marchandisation du monde, du choc des idéologies, conduisant au terrorisme et à leurs victimes, par exemple.

 

Bien que parfois défini comme « néo-pop », le travail d’Arnaud Cohen s’inscrit, selon lui, dans une filiation allant de Marcel Duchamp à Marcel Broodthaers, considérant la forme de l’œuvre moins essentielle que l’impact de son message. Aussi privilégie-t-il les formes existantes, historiques et esthétiques, qu’il détourne et recontextualise, manipule comme un alphabet visuel constituant son vocabulaire. Héritier du situationnisme, il crée en 2005 un personnage fictif du nom de Jean-Paul Raynaud, « archétype de l'artiste officiel », puis colle « en différents lieux de fausses affiches politiques aux slogans ambigus et raillant les rapports des artistes français à l'institution. » Si une partie de son travail flirte avec une certaine tradition de l’agit-prop et de l’activisme contestataire, il se réapproprie ou produit aussi des objets sur le principe du télescopage visuel et sémantique en subvertissant les sens initiaux pour constituer un corpus critique, un catalogue ironique des failles du monde contemporain bien que, de toute évidence, son regard porte au-delà de l’immédiate contemporanéité et semble en inscrire l’état dans une forme de mythologie.

 

* Giovanni Paolo Lomazzo – Traité de  l’art de la peinture, 1584 -

** Yukio Mishima, Confession d’un masque – 1949,  traduction de l'anglais R.Villoteau, Gallimard, 1971

 

 

"SEULES LES PIERRES SONT INNOCENTES" - GALERIE TALMART - 22 Rue de Cloître St Merri- PAris 4ème -

DU 13 AVRIL AU 12 MAI 2012

Partager cet article
Repost0

commentaires