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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 11:40
Il se dit ici et là que c'est une des oeuvres les plus réussies du "Spectacle du quotidien", mis en scène par Hou Hanru pour la Biennale de Lyon 09...

« Ghosting », vaste installation conçue comme la scène d’un spectacle permanent, réactive la réflexion menée par mounir fatmi sur les images médiatiques, la manière dont on les construit, les diffuse, les transforme, les conserve ou les fantasme.

Au fond, un mur de cassettes vidéo, objet de transmission et de copie de l’image aujourd’hui obsolète et réhabilité en matériau plastique récurrent par l’artiste. Les bandes magnétiques tirées des cassettes se répandent au sol comme une marée noire luisante, un tsunami d’images potentielles, copies ou ombres d’images, rampant jusqu’aux photocopieuses disposées en plusieurs endroits de la scène. Ces photocopieuses, qui évoquent le monde du travail, de l’administration, envers du décor commun à toute société qui produit, elles aussi instruments de copie en passe d´être supplantées par d’autres moyens de diffusion, sont laissées à la disposition des visiteurs. En les actionnant, ceux-ci provoquent ce flash de lumière caractéristique, diffusant une lumière blanche et ne saisissant que l’ombre, le spectre, l’envers, de l’image qu’ils auront voulu dupliquer, jusqu’à sa disparition progressive, son absence. Que restera-t-il de leur action ? Que reste-t-il de ce que copient nos mémoires ?

A l’orée de la modernité, Feuerbach prédisait déjà : « Et sans doute notre temps...préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... »*. « Ghosting » est un temple, un temple désuet, voué à la duplication.

 

« Mehr Licht ! » : Plus de lumière ! Tels auraient été les derniers mots de Goethe. Peint à même le mur, ce mot de la fin éclaire cette installation d’un autre jour.

Plus de lumière ! Expression quasiment passée dans le langage courant de la langue de son auteur, pour réclamer plus de savoir et de vérité, savoir que mounir fatmi sait être seule arme contre les préjugés, la violence et les extrémismes, vérité dont il se méfie si elle doit être dogmatique, mais qu’il convoque aussi en choisissant parfois d’user de la violence des images.

Terrorisme de l’image, images terroristes. Mounir fatmi explique : le terrorisme développe une esthétique de l’image-spectacle comme une arme supplémentaire et puissante de manipulation. Il s’agit de se les approprier, de s’y confronter, d’en démonter le mécanisme pour en désamorcer la charge. En créant des images violentes auxquelles il donne une dimension poétique, mounir fatmi tente de déconstruire la mécanique de la peur en leur instillant un autre sens.

 

Il n’y a pas d’image sans lumière et pourtant, dans le maelström médiatique aspirant tout sur son passage, phénoménale puissance d’attraction, tout ne risque-t-il pas de se résoudre à une lumière sans nom et sans signe ? Sur le mur, une vidéo diffuse une série de cercles lumineux calligraphiés, comme arrachés au fond obscur de la pesanteur, se mettant en rotation semblable à un mécanisme chaplinien, mécanisme implacable et nécessaire, dans un sens puis dans un autre, de plus en plus vite, jusqu’à ce que les mots calligraphiés, que la plupart d’entre nous ne comprennent pas, disparaissent sous nos yeux pour laisser place à une sorte d’image universelle, de blanc et de lumière.  Dissolution des signes menant à l’universel ou disparition du savoir dans un néant spectral ?

 

Plus de lumière. Plus de spotlights, d’images, de divertissement, terrorisme pornographique. Plus de spectacle. Mounir fatmi intègre à dessein cette dimension dans son travail en donnant à voir une installation spectaculaire, où se mêlent deux aspects de ce « spectacle du quotidien » décrit par Guy Debord, la sphère de l’audio-visuel et celle de la bureaucratie, qui relèvent toutes deux de la même idélogie de la représentation du monde, comme image et copie. Depuis Debord, nous savons que les sociétés post-modernes, celles là même capables de produire en quantités industrielles des images en même temps que les moyens massifs de les diffuser, sont des sociétés organisées autour et dans le spectacle. Mais le spectacle que l’artiste nous donne à voir est celui de la fin. L’installation est spectaculaire mais obsolète, son semblant d’interactivité, dépassée. L’avènement du numérique nous fait rentrer dans une nouvelle ère médiatique. Le support de l’image devient virtuel. La médiation de la copie est remplacée par l’identique et la transmission des images et des informations devient immédiateté. Artefacts, surfaces sans support. Immédiateté médiatique qui sans doute rend le monde plus spectaculaire encore, mais au risque de réduire à néant le temps du recul critique, de l’indignation et de la riposte.

  

*L. Feuerbach, L’essence du Christianisme-1841

L'installation s'appelle "Ghosting" et elle est à voir jusqu'à la fin de la Biennale.
Retrouver ce texte ainsi que d'autres textes que j'ai signé sur le site de l'artiste:
www.mounirfatmi.com

Photo courtesy mounir fatmi

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