L'ouverture d'une nouvelle galerie, en ces temps de crise, est un véritable challenge. Et ouvrir une galerie principalement dédiée à la création graphique alternative, qui pour avoir son public et ses lieux, reste souvent confinée à une diffusion underground et des lieux eux aussi alternatifs - librairies ou éditeurs spécialisés- en est un également.
Judith Schoffel et Christophe De Fabry tentent donc cette nouvelle aventure, avec dans leurs bagages l'expérience acquise dans un tout autre domaine de l'art: celui de l'Art primitif, dont Judith Schoffel est experte, auprès de sa mère Christine Valluet, dans la galerie Schoffel-Valluet.
L’idée d’ouvrir Arsenicgalerie, comme un département spécifique et indépendant d'une galerie historiquement dédiée à l’Art primitif est ainsi née de leur passion commune pour l’art contemporain -et en particulier pour la création graphique alternative- mais aussi pour des mouvements artistiques tels que le surréalisme ou l’art brut.
Pour eux, il n’y a pas de rupture radicale entre les mondes anciens et le monde contemporain, mais une réactivation permanente de questionnements, de peurs, d’espoirs fondamentaux, dans la recherche d’une même unité première, d’une même manière d’aller à l’essentiel.
Cette recherche de l’essentiel est précisément ce qui constitue le coeur du projet de la Galerie.
D’une manière ou d’une autre, parce qu’elles renvoient aux mouvements les plus intimes des passions humaines, les oeuvres exposées à l’Arsenicgalerie promettent de ne jamais laisser indifférent.
La première exposition d’art contemporain de l’Arsenicgalerie explore donc les expressions les plus primitives et les plus intimes de trois artistes aux univers et aux horizons différents mais qui tous, sur les terrains fertiles de leurs imaginaires débridés, manifestent avec énergie, humour, violence, leur sensibilité aux réalités protéiformes du monde contemporain.
DAISUKE ICHIBA (Japon)
Aux frontières du graphisme trash, du comic-book, de l’art contemporain et de la poésie, l’art de Daisuke Ichiba est cependant profondément irrigué par la tradition et la culture japonaise.
Réalisant la synthèse du manga et de l’estampe, son univers, entre cauchemar hallucinatoire, folie et érotisme, se nourrit des codes des uns et des autres. On y trouve pêle-mêle le personnage récurrent de l’écolière, triste et souvent borgne, qui semble renvoyer au « daruma », des yakuzas et des samouraïs, mais aussi des êtres étranges, monstrueux ou grotesques, évoquant la figure ancestrale du « yokaï », tels que l’on peut en rencontrer dans les mangas de Shigeru Mizuki ou les films de Miyazaki.
Son traitement de la violence, dans lequel se côtoient le sexe, la jeunesse et la mort, son humour noir, combinés à un trait ciselé, un sens du motif et du détail, le définissent comme « bijin-gaka » (« peintre de la beauté »), une beauté vue comme l’autre visage de l’abject.
« L’humain », dit Ichiba, « réunit la tendresse et la violence. Si vous dépecez le visage d’une jolie femme, vous trouverez chair et viscères. Choisir de créer quelque chose qui n’est que beau est superficiel. C’est pourquoi je peins les deux. On ne peut pas les séparer. L’expression qui en résulte est le chaos. Dans mon travail, je projette le chaos, l’anarchie, l’anxiété, le grotesque, l’absurde et l’irrationnel.En faisant cela, j’atteins une harmonie. C’est mon art. Pour dire simplement, je peins l’humanité »
Daisuke Ichiba ne craint pas d’affronter les « monstres », qui ne sont pas ailleurs mais en nous, à l’instar de Mishima ou Izumi. Son oeuvre gothique se dessine comme l’envers ou l’ombre du masque « Kawaii ».
Figure de la contre-culture nipponne « otaku », Daisuke Ichiba, né en 1963, fut fortement marqué par l’âge d’or du manga et les avants gardes. Il commence à peindre à la fin des années 80 et dans les années 90, il auto édite son premier livre « 37 years old bastard ». Depuis, il publie environ un livre par an. Remarqué par le grand dessinateur manga Takashi Nemoto, en 2006, il est publié par Le dernier cri et Le lézard noir. Depuis quelques années, Ichiba s’essaie également à la photographie.
NUVISH (France)
Nourri aux comics underground américains comme aux maîtres de l’art brut, le travail de Nuvish « s’inscrit comme un chaînon manquant entre un art naïf et populaire », l’exécution presque austère d’une gravure de Dürer, et l’expressionnisme d’un Otto Dix. Son dessin d’une obsessionnelle précision et le caractère torturé et onirique des images et des thèmes développés le place naturellement auprès des singuliers de l’art.
Ni plasticien, ni vraiment peintre, Nuvish Mircovich développe un travail graphique à la marque très personnelle, emprunte d’une atmosphère surréelle et parfois inquiète.
La grande minutie d’exécution dans le dessin, le trait, le souci du détail rapproche sa production de l’esprit et d’une certaine tradition des miniaturistes médiévaux et des gravures curieuses « où sont convoqués les tourments de l’âme et du corps, la nature indomptable et l’humilité de l’homme face au divin arrangement du monde ».
Le monde de Nuvish se dessine à la fois comme une nef des fous, un jardin des délices et un purgatoire, évoquant aussi les univers oniriques et parfois mystiques de Bosch ou de Bruegel l’Ancien, entre allégorie, fantasmagorie et surréalisme.
David Mircovich, alias Nuvish, né en 1975, vit et travaille à Grenoble. La pratique du dessin occupe sa vie depuis son plus jeune âge. Si ses oeuvres sur papier ont déjà été montrés en de nombreux lieux d’art et galeries, dans le cadre d’expositions personnelles et collectives, elle a aussi été largement éditée, notamment par l’éditeur indépendant et collectif artistique « Le dernier Cri », expérimentation éditoriale et radicale menée par Pakito Bolino et Caroline Sury depuis plus de quinze ans à Marseille. Nuvish a par ailleurs publié dans le cadre d’une commande une série de grands dessins sur la psychanalyse pour le quotidien «Le Monde». Il a aussi participé à plusieurs films d’animations en collaboration avec le Dernier Cri dans le cadre d’une coproduction de CANAL+. Ces animations éditées en DVD/VHS ont connu plusieurs diffusions télévisées.
MOOLINEX (France)
L’art de Moolinex est un art sans censure et sans compromis, parfois ludique, souvent cynique, et quoiqu’il en soit hors des conventions. Dans un foisonnement visuel aux références tout azimuts, il aime à superposer les mondes, de la bande dessinée, de la peinture, du graphisme, de l’art brut et de l’art contemporain. Ses travaux sont autant de clashes esthétiques et culturels, dans lesquels s’entrechoquent les imageries populaires, le rock, le monde ouvrier, l’école, l’évocation du 3ème Reich, les calaveras à la mexicaine jusqu’aux tapisseries et aux napperons brodés au point de croix. La vie, l’amour, le sexe, la mort…dans un esprit finalement plus punk et décapant que potache. Un monde singulier, cruel, politique, ou l’idiotie côtoie l’ironie de manière radicale avec un humour grinçant, refusant l’esprit de sérieux, les dogmatismes et les raccourcis idéologiques.
Certaines des œuvres de Moolinex exposées ici se présentent comme une sorte de « matrice » de travaux publiés ailleurs, au travers de séries de dessins en noir et blanc moins narratifs qu’à l’accoutumée. Entre l’homme machine et la brutalité de la nature, elles semblent opposer une prolifération organique à l’idée d’un réseau connectique, cables, prises et fils électriques, à la technologie et à l’impérialisme machinique, qui prend aussi le visage inquiétant d’un barillet de revolver. Les références s’entrecroisent et se multiplient.
Né en 1966 à Nogent sur Marne, Moolinex vit et travaille à Poitiers. Plasticien complet, il expérimente tous les médiums et tous les supports avec la même curiosité : typex, collages, découpages, peinture, dessin, assemblages, canevas,feutres, sculpture, peintures, canevas, collages… Musicien, il joue avec le groupe Magnétix.Moolinex navigue ainsi depuis plus de quinze ans dans les univers underground. Il a beaucoup travaillé avec des structures d'édition indépendantes comme les Requins Marteaux ou Le Dernier Cri ou encore le collectif Ferraille dont il est un des membres fondateur. Moolinex développe depuis quelques années, à travers des carnets très singuliers, le concept bien personnel d' « Art Pute ». Il a été montré à Paris par le Regard Moderne et la galerie Arts Factory, mais aussi, entre autres à La Mauvaise Réputation (Bordeaux) et au Musée International des Arts Modestes, à Sète.
« LES PRIMITIFS CONTEMPORAINS » - ARSENICGALERIE
Du samedi 19 Mars au samedi 16 Avril 2011
Vernissage samedi 19 Mars à partir de 16h
14 rue Guénégaud- Paris 6ème
www.arsenicgalerie.com
contact@arsenicgalerie.com
Tel : 06 12 94 13 33 ou 06 63 75 50 89
Textes réalisés à l'occasion de l'exposition pour l'Arsenicgalerie.