Les chemises TOURISTE de UNTEL dans le pavillon de l'Exil ( Mai 2018 - St Louis du Sénégal) - En arrière plan, photographie de Gohar Dashti, Vidéo de Sophie Bachelier, et dans la tente, une oeuvre sonore de Mohamed El Baz
Dans le cadre de l'exposition "Pavillon de l'Exil", co-curaté avec mounir fatmi pour l'Institut français de Saint-Louis au Sénégal ( pour la Biennale de Dakar), nous avions montré pour la première fois en 2018 deux chemises Touriste, issue de la réédition organisée par Michèle Didier en 2015. Ces deux chemises, installées à l'étage de la Galerie du Fleuve, comme deux touristes au bastingage d'un navire de croisière, rappelaient la douloureuse rencontre du tourisme et de la migration, dans cet espace qui, ouvert sur le fleuve Sénégal, semblait un perpétuel appel au départ, de la tragédie au loisir. Cet aspect, essentiel, se retrouve ailleurs dans l'exposition Touriste!, et sera développé plus avant dans le second volet.
Untel, la chemise Touriste- Deux chemises homme / femme - Polycoton blanc sérigraphié quadrichromie – Ré-édition 2015 – © UNTEL et mfc- michèle didier – Collection particulière
Revoilà donc la chemise Touriste, dans un autre contexte. J'avais très envie d'approfondir sur le travail d'UNTEL autour des performances Touriste, datant de 1978, à la fois "vintage" et d'une incroyable modernité.
Dans le cadre de l'exposition, l'idée a été de suggérer une sorte de "boutique", ou de comptoir d'aéroport, dans lequel on trouverait de quoi se transformer en touriste avant de prendre l'avion: badges, autocollants à coller sur ses valises, passeports de touriste, etc...ainsi que bien sûr les fameuses chemises, et une sélection de photographies issues de la documentation d'UNTEL à propos de la performance de Cahors et du défilé dans la Grande Galerie du Louvre.
Je voulais ici particulièrement remercier Philippe Cazal pour avoir suggéré et permis l'utilisation de cette superbe photo pour l'affiche et l'invitation de Touriste!
Ce fut une belle aventure qui m'a permis aussi de découvrir de manière plus approfondie le travail historique d'UNTEL et de rencontrer Jean-Paul Albinet et Alain Snyers. Merci à eux pour leur enthousiasme!
Alain Snyers, au vernissage de Touriste!
Jean-Paul Albinet, de 1978 à 2020!
UNTEL (Albinet / Cazal / Rouff, pour la performance « Touriste » - Albinet/ Cazal/ Snyers, pour UNTEL)
Untel, la chemise Touriste- Deux chemises homme / femme - Polycoton blanc sérigraphié quadrichromie – Ré-édition 2015 – © UNTEL et mfc- michèle didier – Collection particulière
Untel, la pochette Touriste – 6 Séries d'éléments sous pochette plastique: un dépliant, un passeport, un badge, un magnet, 4 autocollants – Dimensions variables – 2015- © UNTEL et mfc- michèle didier
Les artistes se rêvent souvent en voyageurs, sans doute sont-ils le plus souvent touristes, eux aussi. Certains, comme les artistes d'UNTEL, choisissent de revêtir (au sens propre) le costume du touriste et d'en faire matière à performance.
Dans la première salle de l'exposition est présenté un ensemble d'objets et de documents, sous la forme d' un comptoir de vente qui pourrait prendre place dans un terminal d'aéroport, permettant d'acquérir tout ce qu'il faut pour se préparer à être « touriste », avant de prendre l'avion : passeports, vêtements adéquats, et signes de reconnaissance. Tous ces objets ont été imaginés par Untel, un collectif de trois artistes qui furent actifs entre 1975 et 1980.
En juin 1978, UNTEL réalise une performance intitulée "Touriste". Elle consistait à déambuler dans les rues de Cahors et à se faire prendre en photo en duo par un passant, cette action étant simultanément photographiée par le troisième membre du trio. Chacun était vêtu d’une veste et d'un pantalon de peintre en bâtiment blanc, tee- shirt blanc, intégralement sérigraphiés du mot TOURISTE. « Le lettrage et la disposition fait penser à ces anciennes valises, recouvertes d’étiquettes au nom des destinations parcourues – Shangaï, Berlin, Las Vegas, London…- Mais, là où la valise bruisse de noms multiples et exotiques, le statut imprimé sur le costume est, lui, obstinément répété – Touriste, Touriste, Touriste – comme une identité à laquelle il serait impossible d’échapper.» (N. Léger).
Puis, le 16 octobre 1978, lors de leur performance FASHION SHOW, dans la Grande Galerie du Louvre, UNTEL défile, présentant sa collection TOURISTE, détournant un temps le public des chefs d'oeuvre de l'Histoire de l'art.
En 2015, l'exposition «L'art d'être touriste» réactive la performance et donnant lieu à la production des objets et vêtements présentés ici.
Depuis 1978, le contexte a changé mais les propositions radicales d'UNTEL interrogeant l'acte consumériste restent d'une grande actualité. Les enjeux complexes de l'industrie du tourisme sont devenus cruciaux, et le monde de l'art contemporain n'y échappe pas, transhumant de foires en biennales.
UNTEL TOURISTE avec la participation de Wilfrid Rouff – Paris, Octobre 1978
Fashion Show, 1978 - Présentation et commentaire à haute voix de la Collection Touriste - Performance, Grande galerie, Musée du Louvre, Paris
En avant-première / UNTEL présente aujourd’hui / dans la grande galerie du musée du Louvre / sa collection très colorée / « TOURISTE » / JEAN-PAUL / N°1 / veste blanche / pantalon ajusté blanc / au motif répétitif / au graphisme étudié / maillot de corps cerise / encolure ras du cou / harmonisé au costume / N°2 / PHILIPPE / porte un ensemble neige / très confortable / imprimé de couleurs vives et dynamiques / veste décontractée / boutonnée sur le devant / pantalon droit / T-shirt, coloris abricot / Le 3 / WILFRID / a revêtu un complet white tout simple / veste aux poches surpiquées / pantalon sport / polo 100% coton / manches courtes / impression polychrome / le tout reste très original et jeune / À la ville comme en week-end / ces tenues très légères / à porter en toutes circonstances / restent néanmoins très classiques / Les badges et accessoires / sont aussi une création UNTEL.
UNTEL est un groupe d’artistes constitué de Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers qui, de 1975 à 1980, donnèrent vie à de nombreuses actions dans l’espace public. L’investigation d'un quotidien moderne et urbain – une investigation critique, très imprégnée de mai 68 et de la pensée situationniste- constitue l'essence de ces actions et positionne historiquement UNTEL comme post-Fluxus. Mettant en évidence, avec une douce ironie, la banalité et l’insignifiance de ce qui constitue notre quotidien dans ses contradictions et ses aliénations, UNTEL utilise tous les supports et modes d’expression: photographies, films, enregistrements sonores, environnements, gestes, actions corporelles, objets fabriqués, etc. systématiquement documentés et pouvant être réactivés. Ainsi, «La ville 365 jours par an» collecte photographiquement des (non) évènements quotidiens tandis que «Faits divers» documente les actions du groupe. En 1975, au Grand Palais, ils rejouent le «Déjeuner sur l'herbe». En 1977, «Vie quotidienne», au musée d’art moderne de la Ville de Paris, présente 2500 objets du quotidien (journaux, tracts, objets trouvés dans la rue), conditionnés sous vide, à la manière d'un supermarché. Dans «Plus rien à vendre, tout à échanger», ce sont des centaines de déchets qui sont plastifiés et exposés sur un étal du marché de Chalon-sur-Saône. Le groupe se dissout en 1981, apposant pour l'occasion une plaque «commémorative» au Jardin des poètes à Paris.