Liberty enlightening the world – Fibres de tapis – 7 x 7 x 29 cm – 2019 – Courtesy de l'artiste
Je collabore étroitement avec Sadek Rahim depuis plusieurs années maintenant, toujours avec passion et enthousiasme; et je fus avec fierté commissaire de sa grande exposition monographique "Gravity3" au MAMO d'Oran, première exposition de cette envergure d'art contemporain d'un artiste vivant en Algérie, première exposition post-Bouteflika aussi...Une exposition qui réunit de nombreux superlatifs et de "première fois" dans l'Histoire, et sur laquelle nous travaillons encore puisque nous sommes actuellement en train de préparer un ouvrage et espérons pouvoir faire tourner tout ou partie de l'exposition dans le monde.
Parmi les nombreuses oeuvres produites pour l'exposition, il ya eu cette oeuvre - une parmi d'autres - qui était présentée au MAMO sous une vitrine en forme de "cabinet de curiosité"
Dans ce "cabinet de curiosités", se trouvaient divers objets, expérimentations, matières..j'écrivais , pour le cartel: "(...)des « Artificialia », objets repris ou créés par l'artiste rappelant son univers esthétique : petites pièces mécaniques, fragments, poussières ou fibres de tapis, cubes de béton ou de graphite...Tous revêtent un sens pour l'artiste, faisant écho à des gestes du quotidien ou des objets familiers, tels que le tapis, présent dans tous les intérieurs, ou le cube de béton, que l'on voit sur les ports ...Un abrégé de l'univers de l'artiste, son monde en miniature, en quelque sorte."
Il y avait donc cette dimension d'objet curieux, à laquelle s'ajoutait celle de l'usage inédit de la fibre de tapis, désagrégé et reformé, de l'expérimentation sculpturale, et du résultat - un objet fragile, semblant au bord de la désintégration...
Et puis cette petite sculpture de la statue de la Liberté, ô combien symbole, a commencé à faire parler d'elle: on l'a vue à New-York, à la Wallach Gallery, on la verra à Marseille peut-être après le déconfinement, elle a fait la Une du magazine Artaïs, la voici dans Touriste! Sa préciosité, son apparente fagilité ne dissimulent pas la richesse de ses significations. Une très belle oeuvre qui, colosse de poussière ou presque, peut aussi se voir aujourd'hui comme le présage de la fragilité extrême du monde occidental et en particulier des Etats-Unis, dont la pandémie a révélé de manière radicale l'immense précarité économique du plus grand nombre.
Sadek RAHIM
Liberty enlightening the world – Fibres de tapis – 7 x 7 x 29 cm – 2019 – Courtesy de l'artiste
Auscultant l'Histoire de l'Algérie, ses richesses et ses renoncements, ses illusions, ses drames et aujourd'hui, plus que jamais, ses espoirs, dans des œuvres profondément inspirées par les matériaux et les formes iconographiques liés à la culture algérienne, Sadek Rahim traite de manière sensible et critique des problématiques de la jeunesse algérienne, des relations complexes entre Orient et Occident, du déracinement, du désir d'exil, et de l'illusion de l'eldorado.
Cette Statue de la Liberté, dont le véritable nom est «Liberté éclairant le monde» représente pour de nombreux candidats à l'exil, le symbole d'un autre monde, celui de la liberté, mais aussi d'un Eldorado qui pour l'artiste n'est souvent qu'un mythe et une illusion.
Cette sculpture dont on pressent d'emblée la fragilité est réalisée avec des fibres de tapis. Elément domestique commun à tous les intérieurs algériens, le tapis cristallise, matérialise, l'idée du départ au travers du mythe de la lévitation qui lui est attaché, le tapis « volant » étant l'objet qui permet littéralement, de s'arracher à la pesanteur, de voler vers une destination meilleure. Chez Sadek Rahim, l'utilisation du tapis comme moyen plastique récurrent est une manière de « mettre en échec le mythe du tapis volant comme métaphore de l'échec du mythe de l'eldorado ». Il y fait appel de multiples manières, même les plus inattendues. Ici, il est effilé, désagrégé et sa fibre devient comme une nouvelle matière avec laquelle jouer. De simples particules provenant d'un objet familier, les fibres de tapis se resolidarisent en sculpture précieuse et fragile et se font symboles de l' « autre monde », celui du rêve, du fameux « Eldorado » que peuvent constituer, aux yeux d'un jeune algérien, New York ou Paris. Ici donc, l'espoir et le rêve d'exil se substituent au cliché touristique. Symboles de la liberté, la statue de Bartholdi au large de Manhattan, ou sur l'Ile aux Cygnes, à Paris, non loin de la Tour Eiffel, autre symbole puissant, paraissent pourtant ici bien précaires et les rêves, comme les mythes, se désagrègent peu à peu...
Sadek Rahim est un artiste pluridisciplinaire, faisant appel au dessin, à la peinture, à la sculpture, à l'installation, la photographie ou la vidéo au gré de ses projets. Dans les années 90, il voyage en Syrie et en Jordanie, avant d'entamer des études à l’école des Beaux-Arts de Beyrouth (Liban), puis à la prestigieuse Saint Martin’s School of Arts and Design of London. Depuis 2004, il vit et travaille en Algérie, tout en développant une carrière internationale. Son travail, dans lequel il prend des positions affirmées sur la situation économique, culturelle et politique de l'Algérie et de la jeunesse algérienne, explore les questions universelles du « chez soi » et de la migration, de l'appartenance et de l'exil, de l'ailleurs et de l'espoir. Il expose partout dans le monde, à Dubaï, en France, en Corée, au Canada mais aussi en Espagne, en Argentine, en Allemagne, au Liban, en Slovaquie, en Tunisie, au Maroc, au Sénégal, aux Etats-Unis. Une exposition personnelle d'envergure, la première exposition de ce type en Algérie, lui a été consacrée en 2019 au Musée d'Art Moderne et Contemporain d'Oran, sa ville natale.
Actif dans le développement des Arts Visuels en Algérie, Sadek Rahim est co-fondateur de la Biennale Méditerranéenne d'Art Contemporain d’Oran et du premier Salon de Dessin Contemporain d’Oran en Algérie, en collaboration avec l’association Civ-Oeil.
Il vit et travaille à Oran, en Algérie, où il est né, en 1970.