A Lille, la désacralisation de l'Eglise Sainte Marie Madeleine avait permis de créer un exceptionel espace à investir pour les artistes invités dans le cadre de Lille2004, Capitale Européenne de la Culture.
L'exposition s'appelait "Du côté de chez", et invitait tout au long de l'année 4 artistes à imaginer un univers dans ce lieu patrimonial. Parmi eux, j'ai pu découvrir le travail de l'artiste japonaise Miwa Yanagi, qui, pour l'occasion, avait livré une version parallèle de son projet "Grandmothers" (dans lequel elle métamorphosait des jeunes filles en elles-mêmes, cinquante en plus tard - le parallèle étant frappant avec le célèbre diptyque -qui en fait n'en est nullement un- de Goya, "Les jeunes" et "Les vieilles", visible au Musée des Beaux-Arts de Lille).
J'avais été particulièrement séduite par la démarche de Miwa Yanagi, avec cette sorte de féminisme plutôt rare au Japon, qui parle du culte de la jeunesse et du temps qui passe sur les corps des femmes, des rigidités machistes de la société nippone, notamment avec l'excellente série des "Elevator girls", ces jeunes femmes interchangeables et lisses comme des mannequins de vitrine, occupant l'enviable poste de liftier(e) dans les grands magasins et les tours de bureaux des mégapoles japonaises.
Pour Lille 2004, je présentais ainsi le projet en quelques mots:
"Pour Lille 2004, Miwa Yanagi, jeune artiste japonaise vivant à Kyoto, renouvelle l’une de ses expériences de référence. « Granddaughters »,comme en 2002 « My grandmothers »,explore de manière très originale et très aboutie les thèmes de la mémoire et de la filiation, mais aussi la place et l’histoire des femmes dans le monde contemporain.
« Granddaughters » se présente comme une installation vidéo complexe, dans laquelle s’entremêlent plusieurs « générations » d’images, de visages, de voix, d’histoires, de récits et de souvenirs. Des femmes âgées, européennes et filmées par Miwa Yanagi spécialement pour ce projet, parlent de leurs grands-mères, s’efforcent de témoigner d’évènements précis et datés de leur enfance. Faisant revivre leurs ailleules à travers l’évocation de ces souvenirs, elles rappellent que la conscience est fondamentalement mémoire, et que chacune est le produit de l’histoire de sa famille et au-delà, de l’Histoire de l’Humanité.
Mais l’écho de leurs voix, de leurs récits, se perd dans les limbes, recouvert par les voix d’une trentaine de jeunes filles, élèves au Collège Carnot de Lille, interprétant la traduction des propos de chacune des vieilles dames.
En une composition vidéo sophistiquée,les visages des grand-mères et des jeunes filles projetées dans les chapelles latérales de l’église se croisent et se renvoient les unes aux autres, brouillant la linéarité des récits, en une sorte de kaléidoscope sonore et visuel, mosaïque rappelant le brouhahaha du monde et des générations."
Je n'ai pas eu l'occasion de revoir Miwa Yanagi depuis, mais il me semble qu'elle représenta le Japon à la Biennale de Venise en 2009, avec une série intitulée "Windswept women", fort puissante, évoquant à la fois Witkin et l'univers de certains dessinateurs japonais, que je trouve plus "trash" mais aussi plus conforme à l'imagerie underground japonaise et donc, d'une certaine manière, moins poétique et moins originale.
Photos courtesy Miwa Yanagi