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13 mars 2008 4 13 /03 /mars /2008 23:08


A l'occasion de son exposition dans le nouvel espace de la Galerie Charlotte Norberg, du 15 mars au 19 avril 2008, je me suis longuement entretenue avec l'artiste Sylvain Polony à propos de son travail et de ses enjeux. Une version condensée de cet entretien a été publié sur une plaquette, disponible à la Galerie, dans le cadre de cette exposition.


Marie Deparis : Lors d'une de nos rencontres, nous avions évoqué le fait que votre travail se tenait dans une sorte d'ambivalence, entre, disions-nous, « la nécessité de la rigueur et la tentation de la sensualité ».  Cette « ambivalence » constitue-elle un point d'achoppement dans votre peinture ?

Sylvain Polony : Tout à fait. C'est une ambivalence qui révèle à la fois des questionnements picturaux et des questionnements plus intimes.

MD : Voulez-vous dire que, contre toute attente, il y a un aspect « autobiographique » dans votre travail ?

SP :Bien sûr, sans quoi celui-ci se réduirait à un pur travail formel, désincarné, et même si, nous y reviendrons ensuite, l'aspect formel dans ma peinture est importante - et elle prend racine dans ma formation d'architecte, ce qui est aussi autobiographique ! - tout est lié à des questionnements humains plus profonds, qui sous-tendent autant ma peinture que ma vie. D'abord parce que je vois l'effort formel comme une tentative de dépassement de soi, j'ai tendance à lui donner une dimension méditative.

MD : Pour vous ou pour celui qui regarde ?

Les deux ! Pour moi, la séance de peinture est vraiment une « sortie de soi », presque une transe! Et pour celui qui regarde, du moins j'en fait moi-même l'expérience lorsque je suis spectateur de l'œuvre d'un autre qui m'inspire, la contemplation d'une oeuvre est un moment de « mise entre parenthèses » du reste du monde.

Il me semble que le fait de peindre est un acte intime et d'une certaine manière, le moteur principal n'est pas de montrer mais de faire. Alors, les contrastes que l'on saisit dans ma peinture, le froid et le chaud, le côté glacé et une certaine sensualité me sont liés, non de manière anecdotique, mais en tant qu'émotions humaines, ambivalences de ma personnalité. Et c'est justement ces tiraillements, cette lutte presque, contre les ambivalences, contre l'éclatement qui font de ma recherche, une recherche de l'unité. L'unité du tableau, mais aussi l'unité de l'œuvre, sont pour moi des enjeux essentiels.

MD : La question de l'unité est un problème classique de la peinture, mais aussi de la tradition philosophique. Cette quête d'unité n'est-elle pas au fond une quête de maîtrise ? Et les tensions visibles dans votre travail, les effets de cette quête ?

SP : Oui, très certainement. Pour moi, les tensions, ce n'est pas jeter à la face du monde une violence imagée. C'est un dialogue plus intérieur, la volonté- et la nécessité- de contrôler le cours des choses.

MD : C'est curieux car votre technique est justement un jeu qui tient apparemment d'une certaine sorte de spontanéité : la peinture qui coule sur le support, la peinture qui en séchant se craquelle et forme une peau. Mais quand on connaît un peu votre manière de procéder, et vous le dites vous-même, en fait, tout cela est très maîtrisé.

SP : En effet ! Maîtriser, contrôler la composition comme je le fais, c'est donner sens à l'univers que l'on a crée. Mais cela ne veut pas dire que c'est froid, indifférent. Cette quête de maîtrise, c'est la recherche de la mesure, du geste mesuré, tout simplement...

MD : D'où cette « sensualité », ce côté organique qui émanent de la plupart de vos tableaux, malgré la froideur de l'aluminium, le côté glacé de la peinture brillante...

SP : Oui mais encore ici, l'organique, ce n'est pas, comme on le comprend souvent, comme une sorte d'enchevêtrement informel de sang, de palpitation, un brouillon qui suggèrerait la vie. Je vois plutôt l'organique comme une sorte d'arborescence de la nature, qui relève encore de sa construction et de son unité. Pour moi la beauté du monde vient de sa pureté organique c'est-à-dire de la rigueur, de l'unicité fluide de cette arborescence.

MD : En effet, cette manière d'appréhender l'organique est assez inhabituelle ! D'où vous vient-elle ?

SP : Il y a dix ans, lorsque je faisais mes études d'architecte, j'ai longuement travaillé sur ce que l'on appelle « l'architecture organique », dont Franck Lloyd Wright, à la suite de Louis Sullivan, est un des pionniers. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on pourrait penser, d'un travail sur les courbes, les formes, mais plutôt sur le lien de la partie au tout, le rapport entre le détail et la globalité. Pour moi, la question du détail, du motif, dans son rapport avec l'ensemble du tableau est essentielle. Je suis donc très sensible à cette idée du lien entre les parties, de la manière dont se fait ce lien et de l'unité finale, et que ma peinture soit « organique » signifie pour moi qu'elle forme un « corps cohérent » à partir d'organes, de parties,  autonomes.

Cela est aussi valable, au-delà, dans ce que j'essaie de plus en plus de travailler : entre les tableaux, dans l'accrochage, la scénographie, entre les formats, dans la manière dont les tableaux sont présentés les uns par rapport aux autres...




MD : On a le sentiment, en regardant vos tableaux, qu'il y a, dans leur abstraction et dans ce registre coloré que l'on pourrait hâtivement qualifié de « pop », quelque chose d'intemporel. Pourtant, il me semble que la question de la « contemporanéité » est essentielle pour vous. Comment cela s'exprime-t-il ?

SP : Pour un architecte, une des problématiques essentielles est de savoir « comment faire un bâtiment contemporain », et cela, bien entendu, passe par la forme. Il me semble que dans une peinture figurative, les choses se passent différemment mais lorsque l'on opte, comme moi, pour un vocabulaire formel abstrait, c'est là que s'exprime cette contemporanéité. D'abord parce que cela me connecte avec toute une histoire de la modernité, m'inscrit dans une filiation de la peinture, celle du 20ème siècle.

MD : Cela n'est-il pas contradictoire avec la volonté d'être contemporain. Aujourd'hui, la photographie, l'installation, la vidéo...ne sont-ils pas des médiums jugés plus « contemporains » que la peinture ?

SP : La contemporanéité et la filiation avec l'histoire ne me semblent pas contradictoires. Je ne me pose pas la question dans ces termes. Et puis peindre ne relève pas, en ce qui me concerne, d'un choix intellectuel, mais plutôt de mon histoire propre, de mon « talent », d'une nécessité affective aussi...Ensuite, il est clair que je m'efforce de faire quelque chose qui parle de mon temps. D'abord dans le choix des matériaux industriels, du plexiglas, de la peinture glycéro. Ensuite, parce que mes peintures sont souvent comme des visions photographiques fugitives. Lorsque j'ai commencé à peindre sur aluminium, je vivais à Pigalle. Ce qui m'inspirait, c'était les néons dans le quartier, qui brillent, leur reflet sur le bitume, les trottoirs mouillés de Paris. Le mouvement urbain, les lumières de la ville, ce sont des choses que j'absorbe et auxquelles, spontanément, je trouve une forme de beauté. En même temps, il ne s'agit pas pour moi de peindre des images urbaines pittoresques, c'est plus dans la sensation, plus sensuel que çà. Et puis l'emploi de ces laques sur aluminium sont en connexion avec toute une esthétique de l'époque : les portables, les écrans plasma, tous ces objets technologiques au design noir, lisse, brillant...

MD : Si on parlait justement de cet aspect « esthétique » de votre travail ? Disons que c'est la première impression qui émane de cette peinture, une peinture « esthétique »-  certains seraient tentés de dire « esthétisante »...Que pouvez-vous en dire ?

SP : Il est tout de même curieux que l'on trouve essentiel le fait qu'un créateur -designer, styliste, architecte- puisse bâtir un univers esthétique qui lui soit propre, et qu'on puisse trouver cela creux pour un artiste. Je revendique, oui, l'aspect esthétique de mon travail, qui correspond à une époque, à une « attitude », mais ce n'est pas la même chose une oeuvre « esthétisante » -où il n'y a pas de fond- et une œuvre dans laquelle l'esthétique correspond à un univers personnel fort, à l'affirmation d'une identité.

MD : Il est vrai que votre travail porte clairement votre signature, est reconnaissable, et cela malgré l'évolution du travail, les variations esthétiques : c'est le signe d'un  véritable univers personnel...

SP : En formation ! Car à vrai dire, je pense que l'on ne peut pas juger d'un travail sur quelques pièces, quelques séries, dans l'immédiat. Il me semble que la force d'un univers, l'identité artistique d'une œuvre se regarde avec la distance des années, voire dans sa totalité finale. Car mon travail en est aux prémisses et évolue sans cesse. Je passe petit à petit des laques sur aluminium au plexiglas, au numérique, à la sérigraphie...

MD : Cela correspond-il à l'évolution de votre réflexion sur l'image ?

SP : Oui, mon travail se transforme au fil d'une perpétuelle réflexion sur la manière de produire une image, sur ce que représente l'image dans le monde contemporain mais aussi sur la manière dont on peut créer des liens entre les images...

MD : Toujours cette fameuse question des parties et du tout, de l'unité !

SP : Oui, très certainement ! C'est que cette recherche d'unité est une sorte de mouvement perpétuel, qui se réinvente chaque jour dans des actes de création dynamiques. C'est pourquoi mon travail va connaître d'autres développements, esthétiques mais pas seulement, ne serait-ce que parce que je suis passionné par le fait de produire des images « de mes mains », et que cela m'excite toujours de tenter de nouvelles choses, liées à mes expériences !

MD : Voulez-vous dire que, au-delà, ou en deçà, des problématiques « intellectuelles » qui sous-tendent votre travail, il reste, malgré tout, cette dimension « artisanale » du travail de l'artiste, le plaisir de faire ?

SP : Absolument. Je trouve fondamentale la satisfaction de produire quelque chose de mes mains, de toucher la matière. Se confronter à la matière, c'est encore apprend à maîtriser le monde, et surtout, à se sentir vivant, profondément.

 

Sylvain Polony et Marie Deparis, janvier 2008

 

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