Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 septembre 2008 1 01 /09 /septembre /2008 22:44


« Hystériques (ou) Historiques »


«Der Instituts für heil & sonderpädagogik » présente « Hystériques (ou) Historiques », série de portraits de femmes en cinq vidéos et cinq ensembles photographiques.

 

Cet « Instituts für heil & sonderpädagogik »* a été fondé en 1995 sur l'initiative de Michalea Spiegel, artiste autrichienne vivant actuellement à Paris, et fonctionne comme un module à la fois informel et « institutionnel » de création.

 

Depuis près de vingt ans, Michaela Spiegel explore plastiquement les multiples et complexes facettes de la condition féminine, au travers de peintures, collages, photomontages, de samples d'images et de vidéos.

Avec une ironie mordante semblable à celle du cynique Antisthène cherchant dans les rues d'Athènes, lanterne éclairée en plein jour, l'essence d'Homme proclamée par Socrate, Michaela Spiegel défend l'inessentialité de « La » Femme.  Dans une posture résolument existentialiste, l'artiste entend déconstruire, avec un sens de l'humour aigu et subversif, la mythologie de La Femme, d'une supposée « nature féminine », de ses attributs et de ses qualités, pour ne retenir de la femme que ce qu'elle n'est substantiellement : un individu, défini par des marquages culturels et psychologiques, dont il importe, pour l'artiste, de se libérer.

 

Dans la série de cinq vidéos « Hystériques (ou) Historiques » Michalea Spiegel a choisi de dessiner à sa manière le portrait de cinq femmes célèbres: Alma Mahler, Anna Freud, Joséphine Baker, Wallis Simpson et Marie Bonaparte. Elle les a choisit pour ce que chacune d'elle représente de mythe féminin : la séductrice, la femme fatale, la fille à papa, la femme fantasme, l'intellectuelle frigide, la femme entretenue, l'intrigante...Mais à l'évocation archétypale, à l'attitude hagiographique conventionnelle, Michalea Spiegel opte pour un prisme inattendu ou inhabituel, peu connu et pourtant révélateur. En revisitant l'histoire, en désacralisant l'imagerie de manière radicale, l'artiste semble affirmer qu'aucune de ces femmes n'est typique ou atypique sitôt que l'on considère qu'il n'y a pas de typologie de la femme.

Son travail est en outre soutenu par une mise en scène ne laissant rien au hasard dans laquelle chorégraphie, objets, symboles, signes et musiques offrent, en deçà de l'image,  un sous texte psychanalytique aussi signifiant que réjouissant.

 

Dans la peau d'Alma Mahler,  Michaela Spiegel revêt tous les attributs de la femme fatale fin de siècle. Mais se superposent à l'image de la funeste séductrice au destin teinté de tragédie, celles, multiples et ambivalentes, d'une femme dépendante, veuve joyeuse arrogante « avare d'amour et de gloire »** et mère en deuil, femme traquée fuyant le nazisme et dominatrice, mégalomane plus que mélomane (la musique est de Alma Mahler, qui croyait pouvoir rivaliser avec le génie de son premier mari).

Voici la douce Anna Freud, prisonnière de l'écrasante figure paternelle et du secret de ses amours féminines. Ce portrait, né d'un travail de l'artiste sur les correspondances entre Anna Freud et Lou Andréas Salomé, dévoile la relation masturbatoire d'Anna avec le tricot dont les fils filent la métaphore de la parenté...de la filiation. Fil de laine qu'elle roule, déroule, enroule autour de son corps, avec lequel elle se bat, se libère et s'emprisonne, inlassablement, exutoire entre protection et enfermement, dans une violence narcissique qui peine à se contenir et un mal-être palpable. Une évocation sur le fil entre douceur et tension.

Les images de Joséphine Baker, interprétée par l'étonnante Victoire Germany (sic !), évoquent la manière dont celle-ci bâtit sa fortune sur le fantasme assumé de l'exotique négresse. La « vénus d'ébène » épluche consciencieusement des bananes, les avalant goulûment et sans équivoque, ou les glissant à sa taille comme les filles le font des billets gagnés au strip-tease. Avant d'abolir les couleurs dans le projet fou de la Rainbow Family,  il lui fallu d'abord nourrir la vision colonialiste, réductrice et condescendante de l'Africaine, alors même que la ségrégation raciale américaine l'avait fait fuir.

Sur un air satirique des années 40 -époque où Edward VIII fut gouverneur des Bahamas-, Wallis Simpson, « jamais trop mince ni trop riche », habile stratège ayant échoué à réaliser son fantasme de maîtresse d'un roi, se console en se jetant dans la plus oisive et mondaine des existences. C'est la fête chez la Duchesse de Windsor, dansant au milieu de ses bijoux, de ses billets de banque -qu'elle fait laver et repasser-, de ses chiens, préparant des cocktails et prenant des poses de lady, apparemment insouciante du nazisme qui la frôla pourtant de près.

Avec Marie Bonaparte, Michaela Spiegel prend le parti du rouge glamour et de la ritournelle jazzy désuète, façon star des années 50. Ici, elle décline le fantasme et la névrose du plaisir féminin que vécut la psychanalyste amie de Sigmund Freud et Altesse Royale... autour d'un mollusque suggestif, d'une cage diamantée et d'instrument chirurgicaux pour celle qui, obsédée par son « accomplissement orgasmique » se fit opérer trois fois et mesurait le clitoris des femmes.

 

Si la tonalité générale est puissamment ironique, il n'y a là aucun procès, mais seulement les prémices d'une opération de transvaluation, une tentative pour démasquer les hypocrisies ordinaires, provoquant naturellement le rire, un rire pervers, donc, s'affranchissant des codes. « Là où on croyait voir du sublime, on découvre seulement la dérision »***

Et si le travail de Michaela Spiegel se place dans une réflexion sur la prégnance du contexte socio-historique, elle ne se veut pour autant ni sociologue, ni historienne, ni même psychanalyste, même si l'on admet l'importance de la symbolisation dans son travail. Elle, artiste plasticienne, donne à voir son regard de femme contemporaine sur la misogynie ordinaire et les résidus des présupposés féminins/féministes, dans un engagement constant à donner à voir, à comparer, à distancier, en livrant par le biais de l'anecdote signifiante et du second degré une réalité qui aurait échappé à l'histoire.

 

 

Les photographies en regard des vidéos se présentent sous la forme de cinq séries de captations d'images issues des films, mais retravaillées en noir et blanc et en superposition d'images, donnant à l'ensemble une beauté et une autonomie plastique, tirant parfois jusqu'à l'abstraction.

Chacune des photos est légendée en français, parfois en anglais ou en allemand, langue natale de l'artiste. On retrouve là un autre aspect récurrent et essentiel du travail de Michaela Spiegel : celui du travail sur les mots, les jeux de mots. L'axe sémantique de ce travail est double : d'une part une réflexion autour de l'interaction entre les mots et l'image, d'autre part une attention particulière à  la signifiance intrinsèque du jeu de mot comme jeu « d'esprit » pour reprendre la terminologie freudienne. Dans la fusion ou la condensation sémantique, dans l'ellipse, se confrontent et se superposent sens réel et sens métaphorique, sens et non sens. Parfois proche des calembours dada, ces sous-titres se jouent en indices révélateurs d'un sens nouveau et inopiné, comme une manière de court-circuiter la perception par la spiritualité. Par la force des jeux de mots explosent en douce les prohibitions et se démasquent les mythes.

Et comme un bon mot d'esprit, les séries photographiques légendées de Michaela Spiegel offrent une salvatrice prime de plaisir.

  

 

* Michaela Spiegel explique : « Depuis 1995 je travaille sur ce titre de "heil & sonderpädagogik": j'avais découvert une plaque sur un des bâtiments de la grande clinique de Vienne, juste avant les travaux sur les bâtiments. "Heil & sonderpädagogik" pourrait se traduire comme " pédagogie spécialisée dans la guérison des enfants perturbés", sauf que dans mon jeu de mots je ne mets pas le - après "heil", qui est donc autrement associé....
Par suite, j'ai décidé d'utiliser ces termes pour le titre de mon exposition cette année-là. L'exposition démontrait les nationalismes cachés dans la langue allemande  d'une autre époque
. » Aujourd'hui l' « Instituts für heil & sonderpädagogik » est devenu une sorte de structure de création récurrente, à laquelle se rattache les travaux et recherches de l'artiste.

** Françoise Giroud - Alma Mahler ou l'art d'être aimée

*** Sarah Kofman, à propos de Nietzsche dans Pourquoi rit-on ?



Photos courtesy Michaela Spiegel/ School Gallery
Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche

Liens