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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 21:55

  
Article paru dans le Numéro de mars 2009 (N° 166) du magazine ETAPES GRAPHIQUES

Zevs a à peine douze ans lorsqu'il commence à taguer dans les tunnels du métro. Zevs, comme le RER qui faillit lui être fatal. Depuis ce nom sur les murs, comme une reconnaissance territoriale, en passant par la saturation publicitaire vécue comme une agression du consensuel, jusqu'à une réflexion sur les signes de la ville, il dessine peu à peu les contours d'un vocabulaire graphique, plastique et sémantique inédit et souvent précurseur dans l'art urbain. Aujourd'hui, Zevs a largement contribué à la reconnaissance du street art en tant que forme essentielle de l'art contemporain et a su, à un peu plus de 30 ans,  se faire une place légitime dans le circuit des galeries.

Le travail de Zevs, transversal, se joue à la frontière de plusieurs disciplines et sur divers territoires. Ainsi, le «Visual kidnapping», performance au long court (2002 à 2005), tenait à la fois du cinéma noir, du documentaire, de la vidéo, de la communication et du happening. Ce rapt symbolique d'une image publicitaire, au radicalisme second degré très dada, contribua largement à faire connaître l'artiste comme « Pubkiller ». Perçu comme un « artisan de la guérilla urbaine », ses interventions portent un engagement critique, une forme d'activisme construit et énergique. Et s'il expose régulièrement en galerie, Zevs continue de travailler dans la rue, qui, à l'instar de Buren dans les années 60,  reste son réel atelier. De l'insurrection, de la contestation brute, de la colère nourrissant ses premières interventions, Zevs a évolué vers une réflexion sur les conditions de visibilité et de pérennité de ses «Art crimes»(délits artistiques), ouvrant à la dimension sémiotique de son travail.



Révéler l'invisible

 

Dénominateur commun de la plupart des interventions de Zevs : sa manière de révéler l'invisible. La nuit tombée, dans la rue, le métro, il cherche à souligner par contraste ce qui, dans la ville, passe inaperçu, ouvre des brèches et révèle des failles...

Surlignant les ombres de l'architecture et du mobilier urbain à la lumière de l'éclairage public, ses «Ombres» prolongent l'existence des objets- feux tricolores, monuments, ponts et parfois passants-, en manifestent le potentiel de présence invisible aux yeux des passants, qui redécouvrent alors la ville sous un autre angle. La ligne blanche sur le bitume donne une dimension graphique à la ville en en soulignant la structure. En rendant visible l'invisible envers de la rue, Zevs en capture la part d'évanescence dans une sorte de poétique de la furtivité.

A la fin des années 90, Zevs réalise ses premiers «tags propres», technique dont il est précurseur. Opération de révélation bien particulière, le tag propre consiste à utiliser le jet d'eau haute pression pour réaliser un graffiti en ôtant la saleté du mur qui l'accueille. A l'époque, explique Zevs, les services municipaux avaient entamé un programme intensif de nettoyage de Paris, visant principalement les graffitis. Il les avait observé et avait malicieusement mis au point ce « nettoyage créatif ». En révélant comme en négatif le tag sur fond de crasse, il met en échec l'illusoire idéal de « ville propre » et opère un intéressant retournement: le tag devenu propre oblige à nettoyer non le tag mais le mur, et le tagueur, habituellement poursuivi pour dégradation devient initiateur du nettoyage!

Autre manière de révélation, le «tag invisible», que Zevs expérimente depuis trois ans. Il s'agit de graffitis réalisés avec des encres fluoluminescentes, invisibles à la lumière du jour mais qui se révèlent dans la lumière noire ou à la lumière artificielle. Zevs souligne les fissures des murs, les infiltrations, les failles, révélant les cicatrices de la ville. Il réalise aussi des tags à grande échelle comme le  « Ztunnel » à Eindhoven : à la nuit venue, les silhouettes des passants « flashés » et devenus fantomatiques habitent un tunnel passager et transfigurent la physionomie de ce no man's land nocturne. Le tag invisible se prête à un singulier jeu de piste, confidentiel pour les initiés, énigmatique pour la voirie qui, arrivant le matin pour le nettoyer, n'en trouve aucune trace!

Le travail de Zevs se joue donc en permanence entre l'ombre et la lumière, le jour et la nuit, le visible et l'invisible.

Cette question récurrente de la lumière se retrouve dans ses «graffitis illuminations». D'abord travail de peinture et de grattage éphémères sur les derniers jours d'un néon qu'il aura repéré dans le métro, il en poursuit aujourd'hui l'expérience sur des vitrines publicitaires, comme ceux des abribus, qui, lorsqu'elles on été cassées, dévoilent un écran de lumière qu'il entreprend de zébrer, reconstituant les rhizomes du verre brisé. En sculptant ainsi les lumières de la ville, Zevs en révèle d'autres dimensions, produit d'autres images, des paysages différents, qui interpellent le passant, décalent légèrement la réalité et le visage ordinaire de la ville.

Si le tag ou le graff s'érigent en symptômes des mutations urbaines, Zevs joue de ces codes pour proposer une relecture de la ville, y introduire des tensions visuelles, en interroger les systèmes de signes. Comment se transforme l'image de la ville ? Comment se vit et se regarde le paysage urbain ? De quelle manière se réapproprier l'espace public, lorsque celui-ci, réduit à un espace commun indifférencié, réprouve toute initiative individuelle pour l'habiter ? Pour Zevs, la ville n'est pas seulement un support, un terrain de jeu, mais un personnage à part entière, un protagoniste dans l'histoire qu'il écrit.

 

Liquider les logos

 « J'aime beaucoup le graphisme et plus particulièrement les logos. Il y en a de très beaux et qui arrivent à produire du sens. (...) J'ai créé mon propre logo en m'inspirant du triangle jaune visible sur les armoires électrique dans les stations de métro »*



Le travail de « liquidation » des logos s'enracine dans les « Visual attacks » réalisées au début des années 2000. Un point rouge à la bombe, entre les deux yeux du mannequin sur l'affiche, filets de peinture rouge sang coulant sur son visage : les « Visuels attacks » détournaient et brouillaient la lecture commerciale de l'image. Zevs en avait alors évalué l'intérêt esthétique, émotionnel, et critique. Le logotype est un média puissant, par son esthétique symbolique, son pouvoir d'analogon, immédiatement identifiable, rattaché à un produit et à un imaginaire précis. En 2004, avec « La rue aux artistes », il réalise une affiche placardée à 300 exemplaires, reproduisant une lettre anonyme (l'ultime requête dans l'affaire du « Visuel kidnapping ») constituée d'éléments typographiques entièrement volés aux logos. Zevs s'attaque alors au logo publicitaire dans l'espace public. Il commence par « liquider » une virgule de Nike, à Berlin en 2005, et poursuit avec ceux de Coca-Cola ou de MacDonald's. Aujourd'hui, il s'intéresse aux logos des marques de luxe qu'il reproduit pour les «liquider» en galerie. On aura compris le double sens de cette opération : en le rendant liquide, Zevs s''attaque visuellement à la fonction symbolique du logo. Il procéde à sa descente critique et interroge le pouvoir du signe publicitaire et ce qu'il véhicule. Clé de voûte de l'identité d'une marque, s'immisçant durablement dans le paysage affectif des individus, le logo est un  redoutable « vendeur silencieux »**. En liquidant le logo de Chanel ou de Vuitton, tous les deux immédiatement reconnaissables, il s'attaque à tout un réseau de signes (de reconnaissance), de codes (sociaux), de significations et d'émotions. La simple image des deux C entrelacés, ou des L V du célèbre malletier, et c'est tout un monde de chic, de luxe, de magasins feutrés, de richesse et de pouvoir qui s'impose à l'esprit. Bref, le logo synthétise un monde. La transfiguration du logo par liquidation renvoie, par une contre-force suggestive, à la surconsommation, à la tyrannie de la publicité, du paraître et des codes, à la vulgarité de l'ostentation. Pourtant, son travail ne se réduit pas à une logique binaire. Les ambivalences sont volontairement maintenues, depuis l'appropriation du logo pour produire l'œuvre, jusqu'à la ré-esthétisation du signe, contribuant à lui confirmer son statut d'objet esthétique. C'est bien comme cela que l'ont compris certaines marques, proposant à Zevs de travailler avec eux. Il refuse, amusé par la manière dont les marques tentent d'intégrer le négatif pour le synthétiser en une émanation nouvelle de leur créativité. Récemment, dans une galerie de Zürich, Zevs a méthodiquement liquidé le logo de Louis Vuitton re-designé par Murakami...(...)


*Entretiens avec Pierre-Evariste Douaire

** d'après Benoît Heilbrunn - professeur de marketing et de communication à l'École de Management de Lyon et chargé d'enseignement à l'Université de Paris III .


...la suite dans le magazine, ou  en pdf sur demande, ou sur www.etapes.com/magazine - Voir le site de l'artiste: www.gzzglz.com

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