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21 mars 2009 6 21 /03 /mars /2009 22:32

« A bas les cieux » peut très certainement s’appréhender comme une pièce charnière dans le travail de Naji Kamouche.

D’une part, on y reconnaît des préoccupations qui sous-tendaient déjà d’autres pièces, au travers d’une stratégie symbolique d’utilisation d’objets réinventés, recréés, reproduits ou détournés dans une perspective mémorielle et poétique. Cette installation réalisée à partir de tapis tels qu’on en trouve dans les intérieurs arabes s’affirme dans la continuité plastique de l’installation « Caresser l’errance d’un pas oublié », réalisée en 2005. Le choix de ce tapis, matériau délimitant l’espace de l’installation mais aussi servant à produire les objets, chaussures (pour « Caresser l’errance d’un pas oublié »), ou gants de boxe, relève d’une réflexion sur ce qu’évoque cette matière, et en premier lieu ce motif familier pour l’artiste, analogon d’images et de symboles –l’enfance, la maison, la domesticité et par extension, l’intériorité.

Mais d’autre part, se produit ici un passage entre un travail chargé d’autobiographie, de références personnelles, d’expression de l’intime –douleur, solitude, souffrance, déchirement, colère, émotion, difficulté d’être soi-  vers un travail superposant à la sphère de l’existentiel une forme de parole et d’engagement qui ne s’observait qu’en filigrane jusqu’alors. Et de la lecture désenchantée de l’artiste d’un monde en souffrance semble renaître une énergie nouvelle, toujours sur le fil tendu entre l’émotion pure et la pensée.

 

D’espace intime le tapis se fait territoire mental, matérialisation d’une conscience en lutte. Le dispositif implique émotionnellement voire physiquement le spectateur qui, explique l’artiste, « se retrouve face à lui-même », peut reconnaître ou projeter ses propres colères et ses propres luttes. « A bas les cieux », espace de protestation, de contestation, semble exhorter à prendre les gants et à frapper, à reprendre la lutte, à ne jamais s’avouer vaincu, à relever la tête, les manches, les bras, à dire non, à se rendre libre, donc, et vivant.

 

Cet étrange et dramatique ring de boxe joue sa complexité dans les entrelacs de dualités, d’ambiguïtés, que suggèrent les choix plastiques, entre douceur et violence.

On pourrait bien interpréter la moelleuse texture des objets, contrastant avec l’usage habituel de gants de boxe et d’un punching ball, comme l’expression désabusée de la vanité de toute lutte. On pourrait voir dans ce rouge prégnant une chaleur bienveillante et inoffensive rendant toute colère stérile. Mais ces ambivalences se veulent bien plutôt des manières de dire les violences étouffées ou rendues invisibles sous le velours policé et la vigilance nécessaire face à une servitude que la caresse aura peut-être rendu volontaire.  Le constat de nos souffrances et de nos désillusions ne suffit pas. La colère et la lutte ne peuvent être vaine, sitôt qu’elles savent être circonscrites dans une stratégie, dans un processus de rationalisation. De la même manière que l’état de guerre est un état naturel que la civilisation exige de dépasser, la colère n’est constructive que si elle est sous-tendue par une réflexion posée.

 

Naji Kamouche fait partie de cette génération d’artistes qui n’entend pas que se jouent sans eux les débats du monde. Loin d’un aveu d’impuissance, son oeuvre dit à la fois cette évidence de la nécessité de la lutte, qui, de l’homo homini lupus de Hobbes à la lutte des consciences hégélienne, s’inscrit au coeur de l’existence humaine parmi les autres. Si cette lutte est d’abord celle de l’affirmation de soi, elle manifeste aussi, à une époque dans laquelle le cynisme, l’instrumentalisation et la réification humaine menacent dangereusement les restes de nos utopies, le refus d’abdiquer de cette croyance que la colère, et la pensée critique ont un sens. Il a dans ce ring quelque chose de la bravoure et du don de soi, où la grandeur côtoie la souffrance, la victoire, la déchéance, et sans doute Naji Kamouche se reconnaît-il quelque part dans cette figure du boxeur, entre noblesse et disgrâce, comme d’une certaine manière, chacun d’entre nous, dans nos démêlés avec ce monde et nos rêves.

 

« A bas les cieux » : comme dans toutes les oeuvres de Naji Kamouche, les mots, parties intégrantes de la création, revêtent la plus grande importance. Charge poétique mais pas seulement, si les mots disent l’indicible, portent en eux ce pouvoir de suggestion, de radicalité, et que la polysémie se fait polémique.

Ici, les indices sont multiples. Que le monde soit sans dieu, ou que les dieux aient abandonné le chantier du monde, il devient inutile d’implorer l’aide des cieux et c’est à hauteur, à espoir et à pouvoir d’homme qu’il faut reprendre la lutte. « A bas les cieux » comme une imprécation nietzschéenne, dans un monde où le silence de dieu aux oreilles des uns est contrebalancé par le fanatisme assourdissant des autres. A l’aliénation, à la résignation, Naji Kamouche oppose une oeuvre vitaliste et percutante.

Les gants sont prêts à être chaussés. Il n’y aura pas de K.O.

TEXTE POUR L'INSTALLATION " A BAS LES CIEUX" DE NAJI KAMOUCHE / SCHOOL GALLERY - pour ARTPARIS09

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