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14 juin 2022 2 14 /06 /juin /2022 12:39
Un texte pour "Chrysalides", la première expo solo de Caroline Fradet

Je suis ravie d'annoncer, avec l'artiste Caroline Fradet, l'ouverture de son premier solo show à l'Espace Cecil Rivoli, rue des Ecouffes à Paris. C'est toujours avec curiosité et plaisir que l'on rédige un premier texte pour une première exposition personnelle, le début d'une aventure pour une artiste en "chrysalide". 

Je souhaite une belle carrière à Caroline, et vous invite à découvrir le texte, ici, et dans l'exposition, du 16 au 19 juin, dans le Marais, à Paris!

Un texte pour "Chrysalides", la première expo solo de Caroline Fradet

C'est au cœur du Marais que la céramiste Caroline Fradet, invitée par la galerie Cecil Rivoli, dévoile pour la première fois son univers artistique, dans lequel la matière et la nature se déploient, entre terre et mer.

Son initiation aux techniques de modelage et à la céramique, entreprise il y presque dix ans et nourrie depuis de nombreuses rencontres, dont l'artiste Christine Coste, lui ont permis, depuis 2017, de libérer son geste et son inspiration, conduisant aujourd'hui à cette première exposition personnelle, étape décisive d'un monde artistique en train de prendre forme, d'une créativité nouvelle en éclosion.

 

Le travail de Caroline Fradet explore les possibilités multiples de la céramique, tant en termes de techniques qu'en termes de matériau, du grès, émaillé ou non, à la terre noire, de la faïence à la porcelaine, au fil de son inspiration. Car sa connaissance de cet art la libère de nombreuses contraintes et lui permet d'aborder ses envies, ses inspirations, sans la pesanteur du « faire », même si, nous le savons, les arts du feu portent par essence une part d’incertitude avec laquelle il faut compter, peut-être davantage que dans toute autre médium artistique. Néanmoins, l'accident ou l'imprévu ne contredisent pas tant les intentions de Caroline Fradet, dans la mesure où son intérêt pour les mondes organiques implique, comme avec tout ce qui croit, se déploie, une part de liberté « sauvage », guidée par le seul principe de l’élan vital : l'incertitude du vivant rejoint alors celle de cet art qui admet plus que tout autre une part de surprise, un paramètre d'indétermination.

Le premier mouvement d’analyse serait alors de ne voir en le travail de Caroline Fradet qu’un travail d'expression libre, quelque chose de l'ordre de la spontanéité, une activité de création simplement sortie de l'imagination de l'artiste, et ouverte à toutes les interprétations imaginaires. Si cette première hypothèse n'est pas fausse, elle s'avère probablement vite limitée si ce n'est réductrice.

A l'instar des installations présentées ici, mêlant le vivant véritable – plantes, végétations diverses- à la céramique, les invitant à s'unir dans les dimensions de l'espace et du temps, à laquelle s'ajoute celle de l'aléatoire de la croissance organique, il y a là quelque chose d'un mouvement vital, certes spontané en soi mais aussi construit, par l'artiste, en vue d'un résultat invitant l'imprévu au programme d'une œuvre qui refuserait d'être figée et accueillerait en son sein le vivant.

Un texte pour "Chrysalides", la première expo solo de Caroline Fradet

C’est alors qu’apparaît l'univers de Caroline Fradet, évoquant en un lointain écho l'univers poétique, mélancolique et végétal d'un Miyazaki, interrogeant la relation de l’humanité avec la nature, suggérant l'imagerie des plaines d'herbes hautes, une sorte d’ « esprit de la forêt », non à l’image du Liéchi de la mythologie slave mais plutôt dans ce qu'elle peut avoir de mystérieux et d’onirique, comme havre de paix et d'harmonie, espace initiatique dans lequel l'homme trouverait une place immanente plutôt que centrale.

 

L'œuvre en devenir de Caroline Fradet pourrait s’écrire comme le prologue d’un conte naturaliste, soulignant les connexions entre les éléments – terre, eau, feu- et celles permettant, au travers de ces formes presque primitives,  une approche spirituelle, entre le monde organique et le monde de l’esprit On pressent cette conscience, et cette sensation du mouvement, de la temporalité, cette sensation du temps qui passe et transforme la matière, à la surface de ces œuvres qu'on dirait autant ressurgies d’anciennes réminiscences que remontées des profondeurs marines. Affleurant peu à peu à sa conscience d'artiste, le souvenir de son enfance au bord de la Méditerranée semble imprimer l'inspiration de ces pièces de grès semi émaillés, avec ces formes arrondies et comme polies par le temps et l'eau, que l’on dirait sorties du fond des mers comme des trésors anciens, toute une mémoire de mondes perdus, une archéologie poétique et émotionnelle, agrégeant éléments organiques, coraux et sables, végétaux pétrifiés et fossiles, avec une sorte de sensualité archaïque.

Se mêle à la force de l'imaginaire de la mer si profondément ancrée dans notre culture depuis l'antiquité, le souvenir plus personnel de l’artiste de l'exploration de fonds sous-marins avec son père, qui lui lisait Ulysse, lui contait les voyages de Télémaque, la laissait rêver au royaume des Îles ou même à l'intriguant Corto Maltese : toute une littérature ouvrant à l'imaginaire du voyage, de la mer comme territoire romanesque, dans les profondeurs obscures duquel est possible tout un monde caché, sirènes, montres fantastiques, animaux cryptiques…

Cependant, si le territoire artistique de Caroline Fradet pouvait se dessiner comme une sorte de nouvelle Atlantide, ce serait peut-être finalement moins comme carte de territoires engloutis et de cités perdues,  que comme allégorie ou préfiguration, à l'instar de Platon, d'un monde à reformuler.

Un texte pour "Chrysalides", la première expo solo de Caroline Fradet

La mer est « aqua mater », comme Gaïa nomme la terre-mère. Le « désir de mer » est souvent lié au fantasme de sa puissance et de sa fécondité, métaphore de la fertilité par ce qu’elle génère de ressources et de richesses qu’on tend à croire infinies, symbole de combat pour l’homme qui la « prend », la domine…et s’y perd parfois.

"La mer, le feu et la femme, le troisième fléau" écrivait Ménandre* dans un de ses monostiches…Trait d’esprit antique qui révèle, par hasard, ce qui lie potentiellement les trois instances – pour l’auteur comique, à la croisée de la génération et de la destruction- et permet, autant par jeu que par projection, de tisser des liens dans le travail de Caroline Fradet.

La mer, le feu…et la femme ? Dans une série d’œuvres en cours, l’artiste explore justement l’organique féminin, et sans doute interrogera-t-elle, dans ces formes ouvertement féminines, quelque chose d’une nature profonde et archaïque, au sens propre du terme : la question des origines. 

 

Il s'en faudra donc de beaucoup que nous ayons épuisé le monde que construit peu à peu Caroline Fradet, un monde au croisement de mondes tenus les uns aux autres par le fil tendu d’une Ariane contemporaine.

 

 

* Ménandre est un auteur comique grec, disciple du philosophe Théophraste. Considéré comme l'un des plus importants représentants de la Nouvelle Comédie, il travaille dans le dernier quart du ive siècle av. J.-C. – In Fragmenta Comicorum Graecorum, 231 éd. Meineke, t. iv, p. 340: "θάλασσα και πϋρ και γυνή τρίτον κακόν".

 

Un texte pour "Chrysalides", la première expo solo de Caroline Fradet

Chrysalides

Caroline Fradet

Espace Cecil Rivoli

10 rue des Ecouffes, Paris 4ème

Du 16 au 19 juin 2022

Vernissage le 19 juin à partir de 19h00

Ouvert tous les jours de 12h à 20h - Sur rdv le matin

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