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23 février 2016 2 23 /02 /février /2016 11:11
L'extraordinaire histoire d'un Porte-Peau - Corine Borgnet

Sortie aux Editions SMAC du livre "l'extraordinaire histoire d'un Porte-Peau", une aventure artistique portée par Corine Borgnet, pour qui j'ai rédigé la préface.

 

 

Dans le corpus des oeuvres de Corine Borgnet, le "Porte peau" tient une place à part, rebelle à toute affiliation et à toute catégorie. C'est pourtant sans doute une des oeuvres les plus fortes que l'artiste a produit, et cela, de son propre aveu, sous une impulsion créatrice plus intuitive que réfléchie, si ce n'est la technique qu'en sculptrice virtuose, elle maitrise parfaitement.

De cette oeuvre particulièrement forte, qui fascina tous ceux qui purent la découvrir avec moi, de "Beyond my dreams", à la galerie Mondapart à Boulogne-Billancourt en 2012, au Centre d'art contemporain de Bourg-en-bresse dans l'exposition "Au delà de mes rêves", en 2013, on connait désormais l'histoire, la naissance et la fin du Porte-peau, et la manière dont la vie de l'oeuvre est devenue une aventure à rebondissement, un roman, une épopée, tragique.

 

Le porte peau n'est pas un Phénix, car jamais il n'a ressurgi tel qu'au premier jour de ses cendres successives. Il ne s'agit en effet pas tant de résurrection que du destin d'une oeuvre "bigger than life" comme pourrait le dire Corine Borgnet, une "hyper oeuvre", une oeuvre hors norme, une oeuvre qu'on pourrait imaginer issue de l'antique hubris.

Si le Porte-peau est dans la "démesure", non pas tant par son format – modeste- que par son essence même, et la sidération qu'elle produit, alors sa créatrice, défiant le destin ordinaire d'une oeuvre acceptable, ne prenait-elle pas, sans le savoir sans doute, le risque de sa destruction?

Corine Borgnet, qui longtemps se passionna pour les mythes et légendes, n'a-t-elle pas, avec cette oeuvre iconoclaste, provoqué le châtiment de Némésis, car, pour reprendre les mots du vieil Hérodote "le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure"?

Ainsi, le Porte-peau, Icare ou Lucifer, pourrait s'incarner comme manifestation déchue de la puissance de l'art, trop outrageux pour rester "vivant" en toute impunité.

 

Mais au-delà d'une herméneutique pouvant donner sens au destin de cette oeuvre, se dessinent deux réalités conjointes: la persistance de l'oeuvre au travers de ces diverses métamorphoses (de sculpture à objet d'un rituel, puis relique, construit, détruit et reconstruit) et la résistance dont fait preuve – dont doit faire preuve- l'artiste.

Jusqu'à la destruction finale du Porte-peau, c'est Corine Borgnet qui persiste et signe, irrésignée à la néantisation de son oeuvre, la transvaluant en acte de création, jusqu'au bout.

Démiurge, elle s'attache au destin de son Porte-peau, y compris contre l'acharnement d'une société d'assurance qui réifie l'oeuvre d'art comme un simple objet passible d'être détruit, le monde de la bureaucratie confirmant ainsi la prédiction benjaminienne de la déperdition de l'aura*.

 

L'histoire du Porte-peau, de sa vie et de sa mise à mort, pose naturellement la question récurrente, et aux réponses diverses, du statut de l'oeuvre d'art et notamment celle du principe de l'oeuvre d'art contemporain comme processus et non plus comme "objet", ou produit. Produit qui peut, finalement, n'être plus que ruine, miettes dans un bocal baroquement ornementé dans le coin d'un atelier, mais cela importe peu alors si il existe, de sa genèse à sa destruction même, comme processus intellectuel et créatif et non plus comme un objet spécifique. Mais si cela s'entend aisément lorsqu'il s'agit d'un "ready-made" – Duchamp ne disait-il pas que "la réplique d'un ready-made transmet le même message"?- cela parait moins évident pour un objet aussi particulier que le Porte-peau...

C'est qu' il y a bien, aussi, une différence, ontologique et politique, entre la destruction d'une oeuvre par un tiers vandale, et la destruction d'une oeuvre par l'artiste lui-même, comme en témoigne la double expérience de Jean-Pierre Raynaud, qui, en 1993, décide de démolir devant les caméras l'oeuvre "la Maison", qu'il avait érigée en 1969, mais devient en 2015 victime de la liquidation par la Ville de Québec de son "Dialogue avec l'Histoire" (1987).

Alors peut-être le happening de destruction de l'oeuvre organisée par Corine Borgnet dans son atelier – happening qui sera aussi l'objet d'une vidéo, elle-même prolongement d'une relique, dans une autre exposition**- soulève une interrogation non résolue à propos de la sacralisation, de la fétichisation de l'oeuvre d'art, dans la nécessité de la conserver dans son existence concrête. La dimension sacrificielle de sa destruction par l'artiste elle-même, ou en tout cas ici au travers d'une performance réglée par elle, à l'instar des actions dadaïstes (les "Objets à détruire" de Man Ray) offre à mon sens bien davantage l'affirmation réitérée de la persistance, de la volonté de "faire exister" une oeuvre, comme positivité absolue, caractérisant en son essence la démarche de l'artiste.

 

*cf. L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique – Walter Benjamin - Dernière version 1939, in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000.

** Rites de passage– Exposition commissariée par l'artiste Sandrine Elberg, à Plateforme, Paris, en mars 2015

 

 

Ouvrage disponible auprès de l'artiste, des Editions SMAC, et ici...

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