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11 décembre 2015 5 11 /12 /décembre /2015 17:37
The wheels on the bus go round and round, round and round – Fibre de verre, plastique et matériaux divers – 150 x 70 x 70 – 2012 – Courtesy Collection Francès

The wheels on the bus go round and round, round and round – Fibre de verre, plastique et matériaux divers – 150 x 70 x 70 – 2012 – Courtesy Collection Francès

The wheels on the bus go round and round, round and round – Fibre de verre, plastique et matériaux divers – 150 x 70 x 70 – 2012 – Courtesy Collection Francès

 

«Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite, la mousqueterie ôta du meilleur des mondes envrion neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque»

 

Voltaire - Candide – Chapitre 3: La guerre

 

De l'autre côté du spectre de l'amour, il y a la violence paroxystique, l'holocauste, la guerre absolue. Sur l'autre versant du désir, il y a cette «pulsion de mort» - Thanatos, posté devant la porte des Enfers-.

L'oeuvre présentée ici, un «hellscape» -paysage de l'enfer- imaginée par Jake et Dinos Chapman, explore ce continent obscur de la nature humaine et nous invite à l'orée des abîmes et de l'abjection, dont on dit, comme l'explique Julia Kristeva*, qu'elle exprime notre part animale. Il n'en est pourtant rien, car il n'est rien de plus humain que la possibilité de l'abjection, expression du mal radical, à la hauteur de notre liberté et, dit Kristeva, de «l’imaginaire terrifié», celui «qui s’empare de quiconque se risque à pénétrer dans l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale et de la Shoah.»* Paysage de barbarie sidérante, ce diorama s'impose matériellement, nous obligeant à la confrontation: la violence est là, partageant le même espace que le spectateur, concrétisant la crauté absolue par la matière et la dimension hallucinée de ce qui pourrait être un jeu de soldats en plastique...

Cette vision de cauchemar, que l'on pourrait juger très contemporaine et subversive dans son nihilisme, s'inscrit pourtant dans une longue filiation littéraire et artistique, évoquant les Désastres de la guerre de Goya, l'enfer des peintres de Nord, de Bosch à Van der Weyden, de Memling à Rubens, les jugements derniers italiens, l'architecture infernale de Dante, la «boucherie héroïque» de Voltaire, et peut-être les souvenirs de Maximilien Aue, le personnage du roman Les Bienveillantes de Jonathan Littell.

Car l'oeuvre en appelle aussi -et c'est là ce qui dérange dans la contemplation de ce carnage grand guignolesque –, à notre fascination pour ce spectacle monstrueux, si comme le note Kristeva, «l'abject est bordé de sublime»*, celui dont Burke affirme la terreur comme principe**.

il n'y a pas de «leçon» dans les œuvres, transhistoriques et atemporelles, des frères Chapman, mais seulement un condensé des pires enfers possibles, une expression de la possibilité de la banalité du mal, comme une alerte sur notre monde.

 

Formés par le Royal College of Art de Londres et longtemps assistants de Gilbert et Georges, les frères Chapman font partie de la génération des Young British Artists (Avec Damien Hirst, Tracey Emin ou Mat Collishaw). Très vite, leur travail de «maquette» se développe avec, en 1991, Disasters of wars, une réinterprétation en trois dimensions des gravures de Goya, ou Hell et Fucking Hell, présentant un tableau sculptural de 30000 figurines de soldats nazis, associés à des symboles de la société de consommation.

Ils suscitent souvent la controverse, avec leurs œuvres empruntes de subversion, d'un humour noir et corrosif, et leur esthétique du monstrueux. Examinant les stéréotypes culturels et historiques, les iconographie hégémoniques, les peurs et les tabous collectifs, ils ne se veulent pas «engagés» pour autant, se positionnant plutôt dans une sorte de nihilisme beckettien. «Nous faisons», affirme Jake Chapman, «des œuvres qui contredisent l'idée que l'art est intrinsèquement bon et idéaliste»***

 

*Julia Kristeva – Les pouvoirs de l'horreur – Ed. Seuil, 1980

** Edmund Burke - Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau – 1757 : « La terreur est en effet dans tous les cas possibles, d’une façon plus ou moins manifeste ou implicite, le principe qui gouverne le sublime »

***Entretien de Jake Chapman avec Sarah Kent, août 2013

 

 

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