Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 mai 2015 3 20 /05 /mai /2015 23:04

A l'occasion de l'exposition "A l'ombre d'Eros - l'amour, la mort, la vie!" paraîtra un catalogue, dont je suis l'auteur.

Date de parution: 15 juin 2015

Disponible, entre autre , sur fnac.com, amazon.fr, decitre.fr, e-leclerc.com...

144 pages, couleur - Edition Silvana Editoriale - ISBN/EAN: 978-88-366-3100-1 - 9788836631001    

General Motoeurs - black version - Ghyslain Bertholon - Courtesy l'artiste et SchoolGallery, Paris

General Motoeurs - black version - Ghyslain Bertholon - Courtesy l'artiste et SchoolGallery, Paris

Je publie ici l'essai en préface, en plusieurs parties...

 

« Le bonheur de l'homme semble avoir été oublié dans le plan de la création du monde. C'est nous, et nous seuls, avec notre capacité d'amour, qui donnons une signification à un Univers froid et indifférent. Et pourtant la plupart des êtres humains semblent avoir la capacité de chercher, et même de trouver du bonheur dans les choses les plus simples, comme leur famille, leur travail et l'espoir que les générations futures sauront mieux comprendre. »

 

Louis Levy (Martin S. Bergmann) (1) – Crimes et délits, 1990 – Woody Allen

 

Le Monastère royal de Brou, une histoire d'amour et de mort

 

A l'ombre du jubé de la somptueuse église Saint-Nicolas-de-Tolentin, joyau gothique flamboyant, sous les arcades des cloîtres, les salles voûtées d'ogives, où durant des siècles, des moines augustins prièrent pour les princes défunts, partout flotte un parfum de romantisme, de grandeur et de mélancolie, d'amour sublimé, et de mort. Car ici plus que nulle part ailleurs, sous la promesse faite à sa belle-mère par la puissante Marguerite d'Autriche, et dans l'éploration de son amour défunt, le Monastère royal de Brou est devenu, à travers les siècles, un symbole d'amour, et de l'amour persistant par delà la mort.

Il n'en fallait pas davantage que cette extraordinaire histoire d'amour et de mort pour imaginer que le Monastère puisse devenir le cadre enchanteur et inspiré d'une exposition qui évoquerait cela même qui agite l'humanité du plus loin de ses fondements : l'amour, la mort, la vie !

 

Proposer une exposition d'art contemporain dans un lieu patrimonial est toujours un pari risqué et exigeant, tant au regard d'une dimension architecturale dont il est impossible de faire l'économie, que de la manière dont peuvent y résonner des œuvres contemporaines. Pourtant, s'y nourrit la certitude que cela révèle, pas tant par magie que par le pouvoir des contrastes, et de l'histoire, une sorte de filiation. Ainsi, en est-il d'Eros et Psyché, œuvre de Joël Paubel à entrée multiple, qui, se déployant autour des deux stèles de Richard Serra, dans le second cloître, et au pied des gisants de Marguerite et Philibert, renvoie l'infini reflet de l'Histoire. Puis, placée à l'entrée de l'église, la Fountain de Ghyslain Bertholon, hommage aux amours galantes si bien dépeintes par Fragonard, connecte d'emblée la force d'une représentation contemporaine avec l'histoire du monument, une fontaine de jouvence, le cœur séparé du corps de Marguerite, et peut-être, un indice du saint secret de l'amour (2).

 

Le Monastère royal de Brou, monument d'amour et monument funéraire, porte en son cœur les préoccupations les plus fondamentales, et rencontre ainsi celles de tous les artistes: la puissance de l'amour, « expérience personnelle de l’universalité » par excellence (3), l'évidence de la mort, et la question sans achèvement de la manière dont la vie peut prendre sens entre ces deux occurrences.

 

Ainsi est né « A l'ombre d'Eros », ou comment au-delà de l’amour, en son sens le plus prosaïque, le combat d’Eros, fondamentalement puissance vitale, puissance de création, se poursuit inlassablement contre les forces de la déliquescence, de la destruction et de la mort.

Invitation a donc été faite à cinquante artistes contemporains de tous horizons pour s'emparer avec eux du monument et y raconter cette histoire universelle et initiatique, une histoire où se mêlent l'amour et la mort et où se dessine, éternelle et vaine, et belle, la lutte de la vie contre l'entropie de l'univers, de l'existence contre le néant.

 

 

Eros, une histoire de cœur...

 

Eros, ce dieu grec de l'amour et de la puissance créatrice, né de l'oeuf cosmique issu de l'union de l'Ether et du Chaos, sert donc de fil conducteur à cette exposition, dans laquelle tous les aspects de la création, et de l'amour, sont évoqués. Eros parce qu'il a bien fallu, dans notre Histoire, tenter de savoir comment si ce n'est pourquoi « quelque chose et pas plutôt rien » (4), comment la conscience émerge du néant, comment et pourquoi l'amour, tentative de néguentropie nécessaire si nous voulons donner sens...Bien sûr, nous n'ambitionnons pas de répondre à cette question dans l'exposition. Tout au moins les artistes, au travers de leur propositions plastiques, lèvent ici et là des pans de ce voile posé sur la destinée du monde dans lequel nous sommes jetés (5), et nous saisirons leurs œuvres comme autant de paris sur notre compréhension du monde.
 
Eros donc, énergie vitale de l'homme, qui le pousse à croître, à créer, à s'unir et à aimer. Dans les traités d'anatomie de la Grèce ancienne, le cœur était perçu comme le siège de l'âme toute entière et le sang propulsé par le cœur, le véhicule de «l'esprit vital ». Ainsi, les battements du cœur, ses contractions, ses palpitations, ses hésitations révèlent l'agitation de notre vie intérieure, de nos pensées et de nos volontés comme de nos affections. General Motoeurs, deux cœurs surdimensionnés, noir et blanc, œuvres de Ghyslain Bertholon, expriment cette double dimension, le cœur comme siège réel (avec ses valves, ses artères) autant que symbolique de l'Eros, à la fois puissance vitale et organe hautement symbolique de l'amour, donnant à voir d'emblée la complexité fragile de cet état qu'on appelle « être vivant ».
 
Ici, donc, sans prétention scientifique aucune, c'est au cœur de ce cœur que nous logerons le siège du mouvement de la vie. Qu'il s'agisse d'une nécessité, d'une loi de la nature, ou d'une pure contingence, au fond, importe peu. Ce qui importe, c'est ce sentiment immédiat de la vie en nous comme puissance d’affirmation, cette « persévérance dans son être », enfin, comme dirait Spinoza (6), essence même du désir.
Et au premier plan, cette persévérance de la vie s'exprimant dans l'enfantement et la maternité, qui depuis la « Vénus » originelle de l'art paléolithique, femme-terre, matricielle, hante immémorialement nos réalités comme nos imaginaires. Ainsi se trouvent rassemblés dans le même espace trois œuvres dont nous soulignons la filiation. Un ventre de maternité Gelede Fon célèbre, au travers du culte de la "Mère", le pouvoir des femmes et leur rôle central dans l'organisation de la société Yoruba. Cet objet exprime l'universalité de ce mouvement et de cette quête d'énergie vitale, incarnée par le corps maternel et le pouvoir d'enfantement. Ici aussi, la figure maternelle qui nourrit toute l'œuvre de Louise Bourgeois, comme en témoigne ce dessin, œuvre tardive issue de la série The Good Mother, et dont le motif de la mère à l'enfant deviendra presque obsessionnel à la fin de sa vie. Ici enfin une Vierge noire à l'Enfant, fétiche contemporain de fécondité, que s'est réapproprié Dimitri Fagbohoun.

 

..................

 

(1)- Dans le film Crimes et délits (Crimes and Misdemeanors) – 1989 - de Woody Allen, Martin S Bergmann joue le rôle de Louis Levy, un philosophe auquel Cliff Stern (Woody Allen) consacre un documentaire. Martin S. Bergmann, qui n'a fait qu'une autre apparition au cinéma, dans son propre rôle dans le célèbre Schindler's List de Steven Spielberg, est psychanalyste, membre de la New York Freudian Society, membre honoraire de l'American Psychoanalytic Association et professeur à l'école post-doctorale de Psychologie clinique de la New York University

(2) – D'après Saint Bernard de Clairvaux- Sermon 96, de diversis – 12ème siècle – in Sermonts divers, 2012 – Ed. Cerf: «Du secret de la poitrine de Jésus sortent quatre fontaines, où l'on puise quatre sortes d'eau, et d'où est arrosée toute l'Eglise répandue dans le monde. Ces quatre sources sont : la vérité, la sagesse, la force et l'amour. Elles fournissent de l'eau, et chacune une eau particulière. A la fontaine de la vérité, on puise l'eau du jugement, à celle de la sagesse, l'eau du conseil, à la fontaine de la force, l'eau du secours, et à celle de l'amour, l'eau des désirs ».

(3)– Alain Badiou - Éloge de l’amour, 2009 – Ed. Flammarion

(4)- Selon la célèbre question de Gottfried Wilhelm , Principes de la nature et de la grâce fondée en raison – 1740 - Ed. Garnier Flammarion

(5)- Selon l'analyse du Da-Sein, qui « est toujours et déjà enfermé dans un horizon de possibilités en deçà desquelles il ne saurait remonter, il « est » ces possibilités » - Martin Heidegger – Etre et Temps – 1927 – Trad. François Vezin - Ed. Gallimard, 1990

(6)- «Chaque chose, autant qu’il est en elle s’efforce de persévérer dans son être. » Baruch Spinoza, Ethique livre III – 1677 - Ed. Garnier Flammarion

 

à suivre...

Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche

Liens