En Juin, L'Espace 111 propose de découvrir les univers très personnels de deux femmes, deux artistes baignées de création depuis leur plus tendre enfance, deux sculptrices pour qui l'enfance, dans ses obscurités, ses doutes, dans ses espoirs et sa vitalité aussi, est source d'inspiration.
Pour chacune d'elles, la puissance des mondes intérieurs, entre rêve, mémoire et lien filial, résonne de la conviction résolue en la résistance de la vie contre la destruction et la finitude.
Pour Clémentine de Chabaneix, et pour Ruta Jusionyte, les sculptures, mais aussi les dessins et l'installation donnent corps à ces visions aussi intimes qu'universelles.
CLEMENTINE DE CHABANEIX
«Mes histoires sont des sculptures », dit Clémentine de Chabaneix. « Histoires universelles ou intimistes, angoissantes ou poétiques. La matière première est une émotion, un geste, un souvenir ». ici se dessine un univers poétique et fantasque d’où naissent de petites sculptures de jeunes filles légèrement tristes, des dessins délicats d’enfants un peu diaboliques, des médaillons en faïence émaillée et, pour l’Espace 111, une installation émouvante.
Ses dessins, par exemple, racontent des histoires d’enfance, éternellement liées à la mémoire et au souvenir, de ceux qu’on a et de ceux qu’on se fabriquent, de ceux dont on rêve - beaux ou effrayants-, aux accents parfois magrittiens, de ceux, nostalgiques, qui résonnent en nous d’échos familiers mais lointains.
Des histoires en forme de conte de fée, dans lesquelles le merveilleux ne saurait en masquer les profondeurs inquiètes, parfois sombres et cruelles, les angoisses, les tensions, les peurs, les désirs, ce lot à « comprendre et dépasser »*, pour grandir.
Ses jeunes filles sculptées de céramique, sortes d’« Alice » adolescentes, burtoniennes, romantiques, fantasques, délicatement gothiques, sont saisies à ce moment de transformation, de métamorphose, ce moment de tumulte entre les mondes intérieurs, dans le détachement de l’époque de l’enfance, en quête de soi-même et d’un passage vers un nouvel âge. Elles sont saisies au moment de la lutte, du grondement face au monde, au moment de la révolution et de l’espoir aussi. Une évidente vitalité.
En 2011, Clémentine de Chabaneix avait, avec « Souvenirs imaginaires », créé une installation, avec sa sœur jumelle : une maison de carton retraçant, des bribes de souvenirs de leur enfance commune, fictifs ou non. Aujourd’hui, à l’Espace 111, c’est encore la famille, et la filiation qui est à l’œuvre dans une nouvelle installation, un bateau traversé d’un arbre, qu’elle décrit comme un hommage à son père. Ce bateau, sur lequel se tient un arbre en péril, exprime, dans l’ambiguïté de son état, la force de résistance de la vie contre l’oubli et la mort, dans la traversée du dernier fleuve, Styx ou Léthé. Sur l’autre rive, la métamorphose, le renouveau, la jeunesse et les rêves.
*d’après Bruno Bettelheim – Psychanalyse des contes de fées
Née dans une famille d’artistes, Clémentine de Chabaneix aime à dire qu’elle « vint au monde première jumelle par un dimanche pluvieux » de 1972, à l’est de la Tour Eiffel. Après des débuts comme actrice, elle se tourne vers la sculpture, se formant au dessin, à la peinture et à la sculpture au cours Pradier, à Paris, renouant ainsi avec une prestigieuse tradition familiale. Elle s’y consacre entièrement depuis 2000, et expose régulièrement, un peu partout en France, depuis 2003.
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RUTA JUSIONYTE
A l’Espace 111, Ruta Jusionyte présente, seules ou en installation, des sculptures en terre cuite, ainsi qu’un ensemble de dessins, qui, dans leur puissante expressivité, flirtent avec un certain expressionnisme.
Au premier regard, l’œuvre de Ruta Jusionyte, d’une manière certes différente de celle de Clémentine de Chabaneix, renvoie au monde de l’enfance, dans sa fragilité mais aussi sa rudesse, les yeux grand ouverts, entre curiosité, effronterie et effroi. Mais à y regarder de plus près, c’est peut-être davantage les tréfonds de la nature humaine, sa manière de s’élever au-delà de la bestialité, tout en en conservant les traces, que questionne l’artiste. Avec profondeur et circonspection, elle s’efforce de saisir la manière dont se jouent les relations à l’Autre, dans la confrontation, le conflit, l’adversité, dans l’esquive, dans la tentative de conciliation, et d’amour. Et toujours, quoiqu’il arrive, la résistance de la vie, et de l’art, face à la l’oppression et à la destruction, la force de l’intelligence perpétuellement en lutte, en laquelle croit, résolument, Ruta.
Et la dimension parfois mythologique de ses œuvres relève autant de ce questionnement sur les origines que de la façon dont se construit l’avenir. Car, au travers de ces êtres indomptés, qui « ont derrière eux un monde indicible, tragique » et « ne s’inclinent » ni devant le passé ni devant le futur, Ruta, qui a connu, dans sa Lituanie natale marquée par le nazisme et l’occupation russe, l’oppression, la privation, l’anesthésie de la culture, entend veiller à ce que le monde, le sien, celui dans lequel nous vivons, reste en alerte.
« A travers moi, l’homme, vers le monde », dit-elle.
« Herbe folle »* renaissant sur le terreau des totalitarismes, Ruta Jusionyte explique qu’elle « ne donne pas de réponse définitive », que « savoir c’est avoir vécu », que c’est dans et avec le temps que triomphe la résistance.
* D’après Thierry Delcourt
Ruta Jusionyte est née en 1978 en Lituanie, à Klaipéda. Elle est issue de plusieurs générations d’artistes : son grand-père paternel et son père étaient peintres, sa grand-mère, sculptrice, sa mère, graphiste et galeriste…tout un univers familial ayant façonné son regard, et la conduisant naturellement à étudier aux Beaux-Arts, à Klaipeda d’abord, puis à l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius, dont elle sort diplômée en 2000. « Mon père et mon grand-père disaient souvent : "L'art c'est Paris !" » C’est donc à Paris que Ruta Jusionyte s’installe, en 2001. Dès l’année suivante, elle commence à exposer et n’a jamais cessé de montrer son travail, dans des expositions personnelles ou collectives, un peu partout en France.
Les 16 et 17 juin à l'Espace 111 - 111 rue de Stalingrad, Montreuil