Artiste franco-marocaine née à Erfoud, Majida Khattari s'est fait connaître internationalement, depuis 1996, grâce à ses « défilés-performances » dramaturgiques dans lesquels ses vêtements-sculptures- manifestes exprimaient l’aliénation des femmes entravées par les burqa, hijab et autres niqab. Majida Khattari fonde ainsi son travail sur une dialectique du visible et de l’invisible, de la présence et de l’absence, de l’interdit et du désir, et sur la dimension profondément politique du corps de la femme.
Luxe des étoffes, soies damassées et organzas, matières précieuses, raffinement des motifs floraux et des dentelles, extrême souci du détail et de la mise en scène, volupté de jeunes femmes alanguies, dont on devine les corps sous les drapés et les voiles : tout concourt à développer une atmosphère sensuelle et finalement retenue, car à la manière des moucharabieh, les étoffes et les voiles se posent comme un écran et imposent une distance entre les corps dénudés et notre regard.
La dimension délibérément esthétique des photographies de Majida Khattari ne doit cependant pas éluder le caractère critique de son œuvre. Ce choix de la beauté est pour elle un enjeu essentiel, une stratégie, un piège visuel en même temps qu’une arme discursive. Ainsi, le recours aux étoffes les plus luxueuses ne se clôture pas à sa seule fin esthétique. Par elles, l'artiste rappelle combien les échanges entre Orient et Occident s'enracinent dans l'Histoire – au travers, ici notamment, du commerce textile depuis le Moyen-Age- mais aussi que durant des siècles, Damas, Bagdad, Mossoul ou Gaza évoquèrent bien davantage la luxuriance des soieries qui y étaient produites que la dictature, la guerre ou le terrorisme.
Depuis plusieurs années, l'artiste, au travers de son travail photographique, explore l'histoire de la peinture, et en particulier de l'orientalisme, cette fascination occidentale pour l’exotisme supposé de ces contrées nouvelles et lointaines, pour le fantasme de sensualité débridée qu’il distille -images de harems peuplés d’odalisques lascives, atmosphères d’oisiveté hédoniste- qui excitèrent les imaginaires romantiques des peintres, des poètes et des écrivains des siècles derniers. Elle pointe ainsi une certaine vision de l’Orient, déconstruite et relue politiquement par Edward Saïd, dont elle partage l'analyse. Car le « post-orientalisme » des photographies de Majida Khattari, inspiré de Delacroix ou de Gérôme, ne relève ni de la citation picturale, ni de l’exercice de style mais bien plutôt d’une tentative de retournement du regard occidental sur l’Orient : hier fascination romantique pour la «splendeur orientale» et ses promesses de volupté, pour reprendre le mot de Baudelaire, il se nourrit aujourd’hui d’un fantasme de violence et se fait synonyme de danger extrémiste et de terreur. Ici, imposant une autre vision, Majida Khattari fait se renvoyer dos à dos les préjugés occidentaux sur l’Orient en en mettant en lumière les paradoxes historiques.