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12 février 2016 5 12 /02 /février /2016 16:28
Quelque chose est possible – vidéo SD 4/3 b&W stereo, 5'35'', Pays-Bas, 2006 – Courtesy l'artiste et Keitelman, Galerie, Bruxelles

Quelque chose est possible – vidéo SD 4/3 b&W stereo, 5'35'', Pays-Bas, 2006 – Courtesy l'artiste et Keitelman, Galerie, Bruxelles

Comme dans un écran de fumée qui se dissipe, on distingue deux corps, un homme, une femme, nus. Le plan est presque fixe, les mouvements sont lents. Le film, traité en noir et blanc comme un négatif, est  hypnotique, dans une suspension du temps, sur fond de musique minimaliste, de stridences laissant parfois la place à des bruits de profondeur, vagues sur les galets ou écho intra-utérins…L’homme est penché sur la femme, ils s’embrassent longuement. On ne verra pas leurs visages. L’homme caresse la femme, lentement, ses seins, son sexe. Et bientôt au premier plan, on « ne voit plus que » la main de l’homme caressant -et masquant- le sexe de la femme. Enchainement de flous et de fondus. La respiration de la femme. La main de l’homme. Les images sont érotiques bien qu’il n’y ait pas de scénario sexuel,  et si « quelque chose est possible », on n’assistera à aucun dénouement. La video s’achève comme elle a commencé…

La question du désir est rarement abordée de manière aussi directe par mounir fatmi. Il se dégage d’ailleurs rapidement de cette frontalité en nous mettant esthétiquement à distance, évacuant ainsi la crudité de la vérité nue, empêchant le regard pornographique. Ces images nous placent pourtant en situation de pornographe, au sens employé par Gombrowicz. Comme si Hénia et Karol avait veilli, on observe, on attend ce qui devrait être « possible », saisissant dans ces geste lents l’humain dessein secret, au regard de sa quête d’absolu, de « non-achevé, d’imperfection, de jeunesse… »*...

On pense dans ce contexte à l’analyse que Lévinas fait de la caresse, qui ne vise "ni une personne, ni une chose", mais, écrit-il, « le tendre ». Ni projet, ni idée, la caresse évoque le « possible », le « pas encore », elle est « attente de cet avenir pur sans contenu ».**Elle est aussi, comme semblent le dire les images érotiques de Quelque chose est possible, expression de la perdurance du désir, qui, ne se bornant pas à un désir sexuel factuel, s’enracine dans les profondeurs ontologiques de ce perpétuel effort pour « persévérer dans son être »***, dans cet appétit qui ne serait rien d’autre que l’essence même de l’homme.
Pour l’artiste, il s’agissait ici de montrer comment la relation érotique s’inscrit existentiellement à la fois comme « 
epokhe », suspension du jugement et puissance d’affirmation en retrait provisoire d’un monde dans lequel chacun, et lui-même, est toujours exhorté à prendre position.


 

*Witold Gombrowicz – Préface de La pornographie, 1962 – Coll Folio, Editions Gallimard

**Emmanuel Lévinas- Totalité et Infini

***B. Spinoza- Ethique – Livre III, Prop. VI

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