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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 23:52
Aux âmes, etc. - N°1, N°2, N°3 - techniques mixtes, textiles sur polystyrène, peinture45 x 45 x 39 chaque environ – 2014

Aux âmes, etc. - N°1, N°2, N°3 - techniques mixtes, textiles sur polystyrène, peinture45 x 45 x 39 chaque environ – 2014

Aux âmes, etc. sont trois couronnes de fleurs, qui synthétisent, dans leur forme, les couronnes mortuaires typiques de la tradition funéraire occidentale, et le cône d'encens des temples bouddhiques, double référence à la double culture de l'artiste. Posées sur leur socle à la manière d'un autel domestique vietnamien, les œuvres de Mai Tabakian déploient leurs éléments symboliques.

Si la couronne est signe d'éternité par le cercle qu'elle épouse, forme sans début ni fin, elle peut aussi symboliser l'élection paradisiaque, la promesse de la vie éternelle et la couronne du Christ, tandis que le cône d'encens, brûlant ses substances aromatiques, constitue une offrande au Ciel et aux Esprits Célestes.

Les fleurs, fantaisistes ou rappelant la fleur de lotus, rassemblées par trois en chaque couronne, manifestent, dans leur état de développement, les phases successives du cycle de la vie : naissance (le bourgeon), maturité (la fleur éclose) et déclin (la fleur se fanant).

Le travail de Mai Tabakian étant toujours emprunt d'ambiguité, ces couronnes suggèrent aussi, dans leur forme, les « lingam »*, pierres dressées et érectiles, symboles ouvertement phalliques qui, parfois enchâssés dans leur réceptacle féminin, le « yoni » -formes que l’on retrouve aussi fréquemment associées chez Mai Tabakian-, symbolisent à la fois la nature duelle de Shiva (physique et spirituelle) et la notion de totalité du monde. C’est donc également dans ces formes incarnées et « signes » de Shiva, entre puissance créatrice et « lieu », accueil, que Mai Tabakian puise le sens profond de sa recherche.

Car sa démarche repose sur une recherche de l’«archè», de ce qui préside à la fondation même des choses et des êtres, d’un principe qui, pour reprendre les mots de Jean-Pierre Vernant, «rend manifeste la dualité, la multiplicité incluse dans l'unité»**, principe que l’artiste, à l’instar de la tradition grecque, place dans « l’Eros », principe créateur et ordonnateur du chaos. Emergent alors une conscience de la mort et de son rapport au vivant, une sorte d’effroi devant le mystère de l’organique, comme devant l’indépassable de la destruction, le sentiment du lien étroit entre la beauté et la mort, dans sa dimension inquiétante et une relation d’attraction-répulsion.

L’œuvre de Mai Tabakian peut alors être lue, parfois, comme une manière de mise à distance de l’effroi par l’acte de réparation, et par la transvaluation : dans une sorte de catharsis, transformer la laideur et la mort en art, retourner ce qui, dans l’organique, peut paraître impur et déliquescent, en essayant de le rendre beau et apaisant.

Alors il se peut que chacune des œuvres de Mai Tabakian soit une pierre à l’édifice d’un temple et que, à l’image de ces lieux en hommage aux morts où l’on mange dort et prie, toutes puissent devenir pour nous des lieux d’accueil et de vie, dispensant une joyeuse et spirituelle sérénité.

 

* Signifiant aussi «le signe » en sanskrit

** Jean-Pierre Vernant – L'individu, la mort, l'amour. Soi-même et l'autre en Grèce ancienne, 1989 

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