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27 mars 2020 5 27 /03 /mars /2020 12:55

Les médias et la publicité nourrissent de manière insistante et massive nos désirs de voyage. Même si aujourd'hui, du fond de nos confinements, cela semble (provisoirement) absurde et obsolète, le poids de la publicité dans l'industrie du voyage et du tourisme est essentielle, et l'histoire des deux industries se rejoint. 
C'est cette dimension qui m'a intéressée dans le travail de Monk, graphiste belge dont j'ai découvert l'oeuvre au hasard de mes recherches, sa manière de se réapproprier un langage graphique "vintage" pour affronter des problèmatiques très contemporaines soulevées par le tourisme et le tourisme de masse. 

Le travail sur cette série intitulée "Visit" est d'une redoutable efficacité, à double détente, attriant l'oeil avant que l'on en découvre et comprenne le sens et la charge critique. 

Je présente dans l'exposition deux oeuvres tirées au format affiche et présentées comme telles, et ici, dans la première salle de l'exposition comme une invitation au voyage: Visit Phuket!

Monk - Visit Phuket – Série Visit –Tirage sur papier affiche – 100x 75 cm –  2016-  Courtesy l'artiste

Monk - Visit Phuket – Série Visit –Tirage sur papier affiche – 100x 75 cm – 2016- Courtesy l'artiste

Monk

Visit Phuket – Série Visit – Tirage sur papier affiche – 100x 75 cm – 2016- Courtesy l'artiste

Les deux créations de l'artiste belge Monk sont présentées ici pour la première fois en format «affiche», à l'instar des affiches touristiques dont elles sont inspirées. Véritables invitations au voyage, les affiches touristiques naissent avec l'invention de la lithographie à la fin du 19ème siècle, et connaissent leur apogée dans les années 30, avec l'émergence des congés payés. Compagnies de chemin de fer, en plein essor, et de navigation deviennent les premiers commanditaires de ces affiches, instruments de promotion idéaux pour susciter le désir de villégiature des potentiels voyageurs. Il s'agit de mettre en avant à la fois le pittoresque et le chic de destinations dans une approche esthétique spécifique, presque contemplative, valorisant l'idée même de voyage, et l'enchantement de l'ailleurs, de la « French Riviera » aux plages de Deauville, du tourisme d'hivernage à Alger au safari en Congo belge.

 

Au premier plan, oeuvre d Arnaud Cohen

Au premier plan, oeuvre d Arnaud Cohen

Dans la série «Visit», Monk s'approprie les codes de l'affiche touristique et les détourne pour présenter de manière frontale et grinçante un envers du décor. Monk a puisé son inspiration dans un poster de 1936 de Franz Krausz, «Visit Palestine», conçu pour encourager l’immigration en Israël, plus de dix ans avant sa «création» et devenu depuis, un symbole de résistance.

"Visit Palestine", Frank Krausz, 1936

"Visit Palestine", Frank Krausz, 1936

«Visit Phuket»: En Thaïlande, comme dans de nombreux pays d'Asie du Sud-Est, la prostitution, bien qu'officiellement réprimée, est un véritable argument touristique. Au-delà de la prostitution «traditionnelle», le tourisme pédocriminel constitue un fléau masqué, mais bien présent. Dans les hôtels, depuis 2017, les touristes se voient remettre un dépliant rappelant que les relations sexuelles avec les enfants constituent un crime, pourtant des études menées par l'ONG ECPAT, estiment le nombre des victimes à plus de 40 000, et les mineurs constitueraient 40% des prostitués en Thaïlande. Ultime forme marchande du loisir, illustration de l’exploitation de la misère, le tourisme sexuel ne cesse de s’étendre sous la pression de la mondialisation, tant libérale que touristique, amplifiée par les crises économiques ou sociétales. De (rares) études montrent que, sur un milliard de touristes internationaux chaque année, 10 % environ choisiraient leur destination vacancière en fonction de l’offre sexuelle locale. Et si le tourisme sexuel est un phénomène planétaire, l’Asie reste le continent le plus touché.

TOURISTE! Visite guidée 4 - L'appel au voyage, MONK

Monk est un street-artist, graphiste et pochoiriste belge, vivant et travaillant à Bruxelles. Artiste engagé, Monk se veut citoyen du monde et crée des propositions graphiques toujours critiques et chargées de sens.

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26 mars 2020 4 26 /03 /mars /2020 10:40

3ème oeuvre évoquant la cartographie comme point de départ du "rêve de partir", cet Atlas dessiné de Bogdan Pavlovic aborde de manière très personnelle l'infinie diversité du monde.

En accord avec l'artiste, nous avions envie que le public puisse tourner les pages de cet Atlas , plutôt que de le tenir "confiné" dans une vitrine..d'où les gants blancs!

TOURISTE! Visite guidée 3 - Ouverture de l'exposition: livres, cartes, planisphères et Atlas...Bogdan Pavlovic

Puis, se dessinait l'idée, avec la découverte d'un continent inconnu, "l'astralia", d'un "tourisme" nouveau, d'un tourisme de l'avenir peut-être: puisque le monde terrestre est à peu près entièrement dévoilé et potentiellement objet de tour operators, il nous reste les abysses et l'espace...

Bogdan PAVLOVIC  Another Country Project- Atlas – Dessins, techniques mixtes sur atlas – 40 x 28 x 3 cm – 2018 – Courtesy l'artiste

Bogdan PAVLOVIC Another Country Project- Atlas – Dessins, techniques mixtes sur atlas – 40 x 28 x 3 cm – 2018 – Courtesy l'artiste

Bogdan PAVLOVIC

Another Country Project- Atlas – Dessins, techniques mixtes sur atlas – 40 x 28 x 3 cm – 2018 – Courtesy l'artiste

Qui n'a jamais rêvé devant les pages ouvertes d'un Atlas de contrées lointaines, de paysages merveilleux, d'espaces inconnus? Rien de plus propice à nos imaginaires touristiques que ces cartes du monde et souvent, nos envies de voyage commencent là. Avec « Another country project- Atlas », Bogdan Pavlovic explore la cartographie de son propre imaginaire, en recouvrant les pages d'un Atlas de dessins, représentations diverses, scènes, animaux, personnages, comme une multiplicité de points de vue sur un monde à la fois limité dans son espace et infini par ses représentations et ses possibles. Puis au fil des pages, les espaces imaginaires, entre ciel et terre, prennent le pas sur une cartographie réelle. Avec « Astralia », l'artiste redessine la carte d'un monde nouveau, d'un autre monde encore à explorer, qui, dans le même temps, n'est pas sans faire penser à l'Ile d'Utopie, que Thomas More dessina au XVIè siècle.

TOURISTE! Visite guidée 3 - Ouverture de l'exposition: livres, cartes, planisphères et Atlas...Bogdan Pavlovic

Bogdan Pavlovic est un artiste pluridisciplinaire travaillant le dessin, la peinture et le collage, ainsi que la photographie, l'animation vidéo et l'installation. Depuis 2008, il utilise un type de moquette spécifique comme support pour la réalisation de plusieurs séries de peintures. Le noir & blanc, et le rouge, omniprésent dans ses oeuvres, sont des éléments récurrents de son langage. A travers ses créations, de manière expressive et simple, Bogdan Pavlovic fait la connexion entre l'universel et le personnel, le documentaire et l'imaginaire.

Ses œuvres font partie de nombreuses collections publiques notamment en France et en Serbie. Né en 1969 à Belgrade, en Serbie, diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts (ENSBA) de Paris en 1997, Bogdan Pavlovic vit et travaille à Paris.

Avec l'oeuve de John Isaacs en arrière- plan..à découvrir demain!

Avec l'oeuve de John Isaacs en arrière- plan..à découvrir demain!

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25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 11:48

Deuxième jour de visite, on continue ! Cette introduction à l'exposition au travers de l'évocation de la carte et des cartographies du monde passe par cette petite pièce de Brankica Zilovic.

Dans un autre contexte spatial, j'aurai opté sans doute pour un de ses grands planisphères  mais ici, faute de place, j'ai choisi cette oeuvre plus intime faisant partie d'une série intitulée "No longer mine".

 

J'avais eu l'occasion d'écrire un long texte sur le travail de Brankica Zilovic lors de sa dernière exposition personnelle à la Galerie Laure Roynette, et notamment sur cette série et ce sentiment étrange qu'elle partage avec nombre de ses compatriotes de "venir d'un pays qui n'existe plus", comme a pu le dire Marina Abramovic

No longer mine 12 – Broderie sur livre – 19 x 25 cm – 2019 – Courtesy l'artiste et Galerie Laure Roynette, Paris

No longer mine 12 – Broderie sur livre – 19 x 25 cm – 2019 – Courtesy l'artiste et Galerie Laure Roynette, Paris

Ici est mise en avant la dimension onirique et poétique de l'appropriation du langage cartographique par les artistes et de la manière dont ils produisent ainsi une interprétation, une vision du monde, dans lequel le déplacement est essentiel. C'est aussi un clin d'oeil à tout ce qui se rapporte à une littérature: récit de voyage, odyssées et épopées, livres d'aventures...

 

Brankica ZILOVIC

No longer mine 12 – Broderie sur livre – 19 x 25 cm – 2019 – Courtesy l'artiste et Galerie Laure Roynette, Paris

Cette œuvre délicate de l'artiste serbe Brankica Zilovic opère la rencontre du la carte et du fil, ouvrant à un univers propice au rêve, à la poésie. La relation de Brankica Zilovic avec les cartes et les territoires commence à l'orée de «La Pangée» (son premier «planisphère», 2011) et se poursuit depuis, inlassablement. En parfois très grands formats ou de manière, comme ici, plus intime, elle explore les frontières, les fractures, les schismes, les rifts, les mers et les territoires. Comme d'autres artistes contemporains, et malgré Google Maps, la carte agit sur elle comme un objet de question et de représentation, non pas tant du réel que d'un espace mental, d'une projection de l'ordre de la mémoire, de l'imaginaire et du désir. Autrement dit, la carte fait toujours rêver. Cette vision sélective, subjective, et poétique de monde pourrait s'appréhender comme une riposte à l'abstraction et à la dématérialisation du monde contemporain. Elle rend un territoire, fusse-t-il fictionnel, mais visible, à un monde paradoxalement en invisibilité, «sans corps ni visage» (N. Bourriaud). Ces cartes-là parlent d'un monde ouvert, et multiple, un «Tout Monde», comme le définissait Edouard Glissant, penseur auquel elle aime se référer. Sa réflexion, comme sa pratique, prend appui sur cette idée d'interpénétration des cultures et des imaginaires, d'un monde qui perdure et/mais qui change, d'où son vif intérêt pour les images d'ici et d'ailleurs, les cartes et les livres, son insatiable curiosité de tout, qu'elle assouvit dans ses voyages, histoire de vérifier que la terre est bien «en partage pour tous». Ses œuvres sont à l'image de ce monde-là, mouvantes, chaotiques. Par le travail de la broderie et des fils, les éléments s'y croisent, se rencontrent, surgissent, disparaissent, se transforment. Et en brodant des livres anciens de cartes, laissant s'échapper du bleu de la mer des fils pareils à des torrents, elle les réactive d'une certaine manière. Objets de savoir et d'imaginaire en passe de disparaitre dans le vortex numérique, ils persistent et redeviennent, par l'art, objet d'une transmission et d'une histoire.

Au premier plan, oeuvre de Bogdan Pavlovic, à découvrir demain...

Au premier plan, oeuvre de Bogdan Pavlovic, à découvrir demain...

Brankica Zilovic travaille à partir de matériaux issus de l'univers du textile , lesquels donnent lieu, au moyen d'installations et de configurations picturales, à des pièces mêlant biographie individuelle et collective. Marquée par les paysages enneigés des Alpes dinariques de son enfance aussi bien que par le contexte et l’histoire de la Serbie, elle coud, tisse ou brode des compositions réticulaires qui prennent l’allure de paysages mentaux. Ses travaux s’inscrivent ainsi à la croisée de considérations individuelles et de préoccupations historiques voire politiques. Depuis plusieurs années, elle développe un travail parfois monumental et parfois plus intime autour de la cartographie dans lequel elle développe une sorte de sémantique du fil. Elle expose régulièrement en France et à l'étranger. Parallèlement à sa pratique artistique, elle dispense des cours dans plusieurs établissements d'enseignement supérieur, à Paris, et aux Beaux-Arts d'Angers.

Née en 1974 en Serbie, Brankica Zilovic vit et travaille à Paris.

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24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 13:15

C'est souvent comme cela que commencent les envies de voyage: un planisphère, un Atlas, des cartes de pays lointains, des noms de villes qui font rêver...c'est ainsi qu'ouvre l'exposition, avec trois oeuvres évoquant cette dimension à la fois physique et imaginaire du voyage.

A l'heure ou le voyage ne peut plus être qu'un projet et tout déplacement impossible, il serait intéressant de savoir comment Marco Godinho, artiste nomade par excellence, envisage à l'avenir son travail et sa pratique!...

Marco GODINHO  Le monde nomade #1 - Cartographie physique ou politique, découpée en 60 bandes verticales - Dimensions variables  - 2006 – Courtesy l'artiste et 49 Nord 6 Est-FRAC Lorraine

Marco GODINHO Le monde nomade #1 - Cartographie physique ou politique, découpée en 60 bandes verticales - Dimensions variables - 2006 – Courtesy l'artiste et 49 Nord 6 Est-FRAC Lorraine

Marco GODINHO

Le monde nomade #1 - Cartographie physique ou politique, découpée en 60 bandes verticales - Dimensions variables - 2006 – Courtesy l'artiste et 49 Nord 6 Est-FRAC Lorraine

«Le monde nomade», c'est le monde en mouvement, et le mouvement sur le monde, l'appel au départ, au voyage et à la découverte, un idéal de mobilité dans un monde mobile!

Une mappemonde en papier a été découpée en soixante bandes verticales individuelles, correspondant à la mesure du temps, en secondes et en minutes, comme autant de fuseaux, de longitudes, arbitraires. Les minces bandes, qui s’enroulent sur elle-mêmes, se déroulent lentement selon la température et composent une cartographie mouvante, changeante, et un portrait éphémère du monde.

 

Le monde nomade, work in progress

Le monde nomade, work in progress

Ce dessin d'un monde en transit, en transition, est lui-même nomade, car l'oeuvre peut aussi se transporter, enroulée dans un petit étui, significatif du mode de vie, et du mode de vie des œuvres, de Marco Godinho. Ce simple détournement suscite autant d’appels au voyage et à l’imaginaire que de réflexions possibles sur l’état du monde et les conséquences nées de ces télescopages fictionnels.

TOURISTE! Visite guidée 1 - Ouverture de l'exposition: livres, cartes, planisphères et Atlas...Marco Godinho

En quête permanente de nouveaux horizons, Marco Godinho est un explorateur du monde, de ses marges et de ses seuils – géographiques, politiques et philosophiques – dans lesquels lui-même évolue. La mer, les migrations, le déplacement, la vie nomade, sont au cœur de son travail, qui déploie un univers singulier et poétique sur la subjectivité de notre espérience du temps et de l'espace. Il aborde avec sensibilité une pratique post-conceptuelle, les questions d’exil, de mémoire et de géographie inspirées par sa propre expérience de vie nomade, suspendue entre différentes langues et cultures et nourrie par la littérature et la poésie. À partir d’installations et de vidéos, en passant par ses écrits et œuvres collaboratives, son travail forme une carte d’un monde façonné par des expériences personnelles et le multiculturalisme.

Son travail est montré partout dans le monde et il a représenté le Luxembourg à la dernière Biennale de Venise.

Né à Salvaterra de Magos (Portugal) en 1978, il vit et travaille entre Luxembourg et Paris.

 

TOURISTE! Visite guidée 1 - Ouverture de l'exposition: livres, cartes, planisphères et Atlas...Marco Godinho
Merci Marco!

Merci Marco!

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 16:24
TOURISTE! Le vernissage...

Le 7 mars, on ouvrait l'exposition Touriste! à Mitry-Mory. Compensant la désertion du public mytrien, déjà alerté par la propagation du virus, de nombreux artistes avaient fait le déplacement, et je les en remercie chaleureusement.

Pauline Bastard, Catherine Burki, Arnaud Cohen, Sylvie Kaptur-Gintz, Farah Khelil, Brankica Zilovic et avec une grande joie, le trio historique de UNTEL: Jean-Paul Albinet, Philippe Cazal et Alain Snyers!

 

Avec Jean-Paul Albinet

Avec Jean-Paul Albinet

Quelques jours plus tard, l'exposition fermait ses portes, le Covid 19 avait eu raison de nous...et ajoute une dimension particulière au sujet que traitait cette exposition

Arnaud Cohen, en discussion autour de son oeuvre "Red Kiss"

Arnaud Cohen, en discussion autour de son oeuvre "Red Kiss"

Comme beaucoup d'entre nous, j'ai donc choisi de présenter ici, au fil des jours, une petite visite guidée virtuelle de l'exposition, afin que celle-ci vive au travers de l'écran, en attendant, peut-être, une réouverture et prolongation de l'exposition plus tard dans le printemps!

Discussion aux abords de l'oeuvre de Farah Khelil

Discussion aux abords de l'oeuvre de Farah Khelil

Ceux qui sont intéressés peuvent en outre réserver auprès de moi le catalogue de l'exposition. je leur ferai parvenir dès que les services postaux seront rétablis!

Alain Snyers, pour UNTEL

Alain Snyers, pour UNTEL

Jean-Paul Albinet, pour UNTEL...De 1978 à 2020!

Jean-Paul Albinet, pour UNTEL...De 1978 à 2020!

Les UNTEL au complet - Merci de votre présence et de votre enthousiasme!

Les UNTEL au complet - Merci de votre présence et de votre enthousiasme!

Enfin, sauf en cas d'apocalypse sans renouveau, il y aura un second volet à Touriste!. Ce sera Le Grand Tour, à partir de début novembre 2020, à H2M, Bourg-en-Bresse: On y retrouvera tout à la fois des pièces de Touriste!, des artistes de Touriste!, mais avec d'autres oeuvres, et puis une sélection d'artistes qui n'étaient pas dans Touriste!...La réflexion sera donc enrichie de diverses manières, et ce que nous vivons aujourd'hui en fera bien sur partie...

TOURISTE! Le vernissage...
TOURISTE! Le vernissage...
TOURISTE! Le vernissage...

Rendez-vous donc dès demain pour la visite de Touriste!

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9 mars 2020 1 09 /03 /mars /2020 23:38
"Continuum (universality)" - Sadek Rahim

"Continuum (universality)" - Sadek Rahim

Après avoir été reportée, la 21 ème Biennale d'art contemporain de Santa Cruz en Bolivie a finalement ouvert ses portes, mettant en avant le travail photographique de Sadek Rahim. on y retrouvera également le texte que j'avais écrit pour l'occasion

Continuum (Universality)

1 printed Sticker, 200/125cm, 2017 - 3 C-prints, 68/45cm, 2017

 

...Quelqu'un raclant

les murs du monde

avec ses os ?...

Silence des yeux, Juan Gelman, 1981

Quelque part sur l'étroite bande côtière qui sépare la « montagne des lions » de la Méditerranée, entre Oran et le village portuaire de Kristel se dressent, face à la mer, les ruines d'une ancienne colonie de vacances, haut lieu de villégiature des petits Algériens de la région dans les années 70 et 80. Sadek Rahim passa un ou deux étés, enfant, dans une colonie de ce genre, dans une ambiance qui tenait davantage du camp militaire que des plaisirs balnéaires. Peut-être que cette rigueur, dans l'organisation des loisirs enfantins comme dans la tenue exigée d'eux avait quelque chose à voir avec la forte influence, militaire, politique économique et culturelle du « modèle soviétique », qui prévalut dans l'Algérie post-coloniale jusqu'à la fin des années 80. Ici, sans doute, s'agissait-il de modeler, pour reprendre l'expression du philosophe français Michel Foucault, les « corps dociles »* nécessaires à toute société disciplinaire. Parmi les ruines, certains murs sont restés bien debout ; sur l'un d'entre eux, on peut distinctement lire le mot « administration ». L'architecture parle, elle organise la violence en la « territorialisant », elle matérialise les dispositifs de contrôle et de domination des corps par les règlements, les fonctions, en un mot, le pouvoir. L'architecture parle : le lieu « public » est aussi éminemment « privé » quand les murs hantent les mémoires.

De temps à autre, au cours de ses pérégrinations, Sadek Rahim revient sur ces lieux le ramenant à des souvenirs d'enfance pas si heureux, regardant l'horizon depuis ces édifices aujourd'hui à l'abandon, comme s'ils avaient laché prise, comme un décor de théâtre, le décor d'une tragédie lointaine aujourd'hui vidé de ses comédiens et sans plus de spectateurs.

Puis il a appris que ces bâtiments avaient plus tard été occupés par l'armée nationale populaire algérienne, pendant la « décennie noire ». « J'ai trouvé fascinant », dit-il, « que ce lieu, supposé être un lieu de joie, de paix, un des rares échappatoires pour les enfants, soit lui aussi finalement lié d'une façon ou d'une autre à l'histoire récente de notre pays ».

Au travers du projet « Continuum », duquel sont présentées ici quatre photographies, Sadek Rahim poursuit une réflexion de près de dix ans sur les échecs de l'histoire contemporaine de son pays, et notamment les questions si sensibles de la migration et de l'exil, et en particulier de l’immigration clandestine des jeunes algériens vers l’Europe. Ainsi, Faces, Leaving paradise, Changing dreams ou encore Facing horizon étaient des projets dans lesquels photographies et vidéos, prises dans des villages côtiers, offraient le portrait de jeunes algériens potentiellement candidats à l’émigration clandestine. Souvent, la Méditerranée a été au centre de son travail. Cette fois, il l'a délibérément placée à l'arrière-plan des images, manière de dire que si la mer est toujours là, elle représente pour beaucoup aujourd'hui l'immensité d'un drame dont l'origine a un rapport avec ce que fut cette colonie de vacances : une orientation politique, économique, sociale, l'exercice d'un pouvoir...

Aussi, au-delà du continuum des espaces et des temps, se dessine une continuité sous le terme d'universalité. Ce que pointe Sadek Rahim, c'est le rapport de causalité qui est à l'oeuvre dans l'histoire, de manière parfois subtile, sous-jacente, symbolique. Autrement dit, ces bâtiments, dans ce qu'ils ont été et ce qu'ils sont aujourd'hui, matérialisent cette déréliction, cette difficulté à réformer, à sortir de l'émergence, qui, pour l'artiste comme pour beaucoup d'Algériens, sont liées aux choix politiques des pouvoirs successifs depuis l'après indépendance.

Sur la plage près de Kristel, Sadek Rahim photographie ces murs qui hantent sa mémoire ; à Santa Cruz, il superpose l'image, la reproduction au format réel d'un des murs de la colonie, sur un autre mur, « comme une seconde peau », dit l'artiste, comme une manière de lier intimement, d'entrelacer les deux histoires tragiques que ces deux pays partagent dans leur histoire contemporaine. Mur contre, tout contre mur. Ceux de ce centre de vacances abandonné font écho à l'histoire de l'Algérie, mais aussi à celle de la Bolivie, dans cette région qui a vu naître et mourir un certain Hugo Banzer Suarez.

En décembre 1977, Sadek Rahim a six ans. En Bolivie à ce moment-là, des femmes, des mères, et des enfants, font basculer l'Histoire et desserrent par leur volonté de résistance civile et une action protestataire inattendue l'étau du régime militaire. Les œuvres de le série « Continuum », si elles soulignent comment, d'une partie à l'autre du monde, les soubresauts de l'histoire, ses errements, et ses erreurs semblent parfois se reproduire comme un continuum de la tragédie, se veulent aussi et surtout un hommage aux enfances meurtries partout dans le monde, ne serait-ce que parce que la liberté de l'enfance, sa joie pure, son ignorance et son innocence, est universelle.

Car partout où ont régné la violence et l'arbitraire, il faut tout reconstruire : les identités, fragmentées, éclatées, les « mondes communs »** comme disait Hannah Arendt, reconstruire, donc, les mémoires et les projets d'avenir.

Réinventer aussi. Repousser les murs, les faire tomber, rouvrir le paysage...au bleu de la Méditerranée.

 

*Surveiller et punir - Naissance de la prison (1975),- Michel Foucault - 1975

**Condition de l'homme moderne - Hannah Arendt – 1958

 

 

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1 mars 2020 7 01 /03 /mars /2020 01:41
copyright: UNTEL, Cahors, 1978

copyright: UNTEL, Cahors, 1978

Il est temps d'annoncer l'ouverture prochaine de l'exposition TOURISTE!, à l'Atelier de Mitry-Mory, et dans plusieurs endroits de la ville!

Un grand grand merci à tous les artistes et prêteurs pour leur enthousiasme; A Mitry-Mory comme ailleurs, que l'art vive! 

 

 

"À l’origine était ce qu’on appelait « le Grand Tour » : un voyage d’éducation, parfois considéré comme voyage iniatique, qu’effectuaient les jeunes gens appartenant aux familles des plus hautes classes sociales européennes, à la découverte de la culture greco-latine, une tradition dès le milieu du 16ème siècle. Destiné à parfaire leur éducation, le Grand Tour, de siècle en siècle, amena les voyageurs de plus en plus loin, inventant l’Orient et les esthétiques du voyage. Plus tard, l’arrivée des congés payés « démocratise » l’idée du voyage, qui devient vacances et loisir, puis tourisme de masse.

Aujourd’hui, le « Grand Tour » n’existe plus vraiment, mais tout est devenu prétexte au tourisme. C’est pourquoi cette exposition, interjetant le visiteur comme potentiel « Touriste ! », se propose de réfléchir sur une des activités les plus essentielles de la société des loisirs dont nous sommes à l’apogée, pivot économique majeur de nombreux pays, mais questionnant de nombreux enjeux culturels, politiques et écologiques.

Dans le ciel mitryen, chaque jour, passent près de mille cinq cent avions, décollant ou atterrissant à l’aéroport tout proche (le deuxième plus gros aéroport d’Europe après Heathrow), transportant des milliers de voyageurs, de touristes, en partance, ou en provenance, des quatre coins de la planète. Aujourd’hui, le monde entier semble à portée de quelques heures de vol. Partir, partir... Comment expliquer cet attrait de l’ailleurs, ce fantasme du lointain , hier nourri de littérature, aujourd’hui à grand renfort de réseaux, de médias, de publicité? Quelle différence entre le touriste — qui est toujours l’autre — et le voyageur ? Et qui sait comment se construit le paysage, ses vues imprenables, ses cartes postales, ses monuments incontournables, tout ce qu’il faut de suffisamment pittoresque pour attirer l’oeil du touriste ? Ainsi se dessine la carte du monde contemporain comme espace touristique, de couchers de soleil mythiques en parts obscures.

Le nomadisme, le voyage, le déplacement, semblent constituer le mode de vie le plus contemporain et le plus enviable. Pourtant le drame des migrants nous dit que les frontières sont loin d’être abolies. Touriste et migrant s’érigent en deux figures inconciliables du voyage, se croisant parfois dans le même espace.

Dans le même temps, l’injonction écologique voudrait qu’on ne voyage plus, A l’heure de l’alerte écologique, peut-on encore être touriste, partir en croisière ou prendre l’avion pour un week-end à New York sans savoir que l’on met en danger ce monde même que l’on est venu admirer ?

Autour des oeuvres de près de vingt-cinq artistes de tous médias et d’horizons divers, l’exposition « Touriste » évoque, avec distance critique, engagement et parfois humour, les questionnements et les contradictions que le tourisme, dont nous sommes tous partie prenante à un moment ou un autre, soulève, entre nos désirs de voyage et la réalité du monde contemporain, le goût de l’autre et du lointain auquel on aspire toujours et ce qui fait du monde un village dont on peut faire le tour en bien moins de 80 jours."

AVEC

Slim Aarons – Pierre Ardouvin – Pauline Bastard – Catherine Burki – Arnaud Cohen – Kenny Dunkan – mounir fatmi – Marco Godinho – Paolo Iommelli – John Isaacs – Sylvie Kaptur Gintz – Farah Khelil – Dinh Q Lê – Shane Lynam – Monk HF – Martin Parr – Bogdan Pavlovic – Sadek Rahim – Emmanuel Régent – Lionel Scoccimaro – UNTEL – Zevs – Brankica Zilovic

A l'Atalante, la salle de spectacle de la ville, deux oeuvres dont, celle, spécialement réalisée pour l'exposition de ZEVS : ADP liquidated, qui liquidera dans les règles de l'art le logo d'Aéroport de Paris

Au Concorde, le cinéma de la ville, une oeuvre spécialement réalisée pour l'exposition par Sylvie Kaptur-Gintz, qui revisite à la broderie ses souvenirs cinématographiques

VERNISSAGE Samedi 7 mars à partir de 18h - Pour venir: RER B jusqu'au bout, gare de Mitry Claye puis Bus 16 arrêt Prévert ou Bus 24 arrêt Mairie.

Tous nos remerciements à:

FMAC Paris - 49 Nord 6 Est-FRAC Lorraine - Les artistes, les prêteurs - Studio Fatmi- Studio John Isaacs - Philippe Cazal - Galerie Praz-Delavallade, Paris/ Los Angeles -Jane Lombard Gallery, New-York - Galerie Laure Roynette, Paris - New Galerie, Paris - Carpenters Workshop Gallery, Paris / Londres/ San Francisco/ New-York - Galerie Bertrand Grimont, Paris - 10 Chancery Lane Gallery, Honk Hong - mfc-michèle didier, Paris

ainsi que Christian Prunello, Jérôme Duprat et Aristophane Deparis

Les lieux d'exposition:

L’Atelier – Espace arts plastiques 20 rue Biesta

Mardi et mercredi de 14h à 18h30 / Jeudi et vendredi de 14h à 17h / Samedi 10h à 12h et de 14h à 17h

Cinéma municipal Le Concorde 4 avenue des Bosquets

(Oeuvre de Sylvie Kaptur-Gintz)

Horaires de la programmation sur www.mitry-mory.fr

L’Atalante 1 rue Jean Vigo

(oeuvres de Zevs et de Catherine Burki)

Lundi et jeudi de 14h à 19h / Mardi, mercredi et vendredi de 9h à 12h et de 14h à 19h / Samedi de 9h à 12h et de 14h à 17h

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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 16:54
 
C'est avec grand plaisir que Mai Tabakian et moi-même vous recevrons pour vous présenter notre sélection d'oeuvres au 24Beaubourg, du 27 au 29 février, dans le cadre du Salon IRL de Turbulences!
Sur une invitation de Louis-Laurent Brétillard, fondateur de Tribew et Isabelle de Maison Rouge, directrice artistique de Turbulences.
Save the date- Le Salon Turbulences et Mai Tabakian les 27, 28 et 29 février, au 24 Beaubourg, Paris

On retrouvera en déambulant au 24 Beaubourg 8 duos critique (et/ou commissaire) / artiste

HUIT DUOS Curateur / artiste 
Marie Deparis-Yafil / Mai Tabakian
Les éditions Tribew / Sandra Matamoros
Dominique Moulon / Laurent Pernot
Marie Gayet / Morgane Porcheron
Isabelle de Maison Rouge / Harold Guerin
Élodie Bernard / Mariano Angelotti
Christian Gattinoni / Cristina Dias de Magalhaes
DUO invité de l'édition #1
Paul Ardenne / 
Sarah Roshem (Performance)
Phoenix (détail) - 2018 - fil, textiles sur extrudé - 100 cm de diamètre sur 38 cm de haut

Phoenix (détail) - 2018 - fil, textiles sur extrudé - 100 cm de diamètre sur 38 cm de haut

Et un beau programme pour se retrouver

jeudi 27 février 18h/21h : Vernissage
vendredi 28 février 13h/21h : Journée professionnelle / Ouverture au public 
samedi 29 février 13h/19h : 
Ouverture au public - Finissage 17h/19h


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Pour infos et visites professionnelles de l'exposition, contacter turbulences@tribew.com

24 rue Beaubourg 75003 Paris
Métros : Châtelet, Rambuteau, Hôtel de Ville

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11 février 2020 2 11 /02 /février /2020 13:14
Un monde silencieux - Julie  BERNET-ROLLANDE expose chez FOOUND, à Genève, Suisse

Je suis ravie d'annoncer l'exposition à Genève de l'artste Julie Bernet-Rollande, pour qui j'ai eu le plaisir d'écrire ce texte, en mars 2019, qui présente désormais l'exposition:

 

Un monde silencieux


Quand on cherche à définir en quelques mots le monde que dessine Julie Bernet Rollande, l'idée d'un « monde silencieux » semble s'imposer naturellement. Pourtant, c'est sans doute un truisme de dire que le monde d'aujourd'hui est loin d'être silencieux ; sans doute n'a-t-il même jamais été aussi bruyant. Cette manière de percevoir d'emblée celui de Julie Bernet Rollande comme « silencieux» marque très certainement le sentiment, en regardant ce qu'elle produit, de cette distance volontairement prise de l'artiste d'avec la réalité hurlante des hommes et de leurs préoccupations immédiates, et de sa sensibilité à un univers qui n'attend rien de l'homme, de toute éternité. La nature, la forêt, la terre, cet « être silencieux »*... Non que la
nature soit « silencieuse » - elle grouille probablement des mille bruissements du vivant- mais, à l'instar d'un empirisme « berkeleyien », la nature est sourde à elle-même et seul l'homme, d'une certaine manière, l'entend. C'est donc à cette présence infiniment puissante et massive, et pourtant silencieuse au regard de l'agitation invasive du monde des humains, que se consacre Julie Bernet Rollande.


Ce silence, elle l'exprime d'abord par cet éloge à la lenteur que constitue le choix du dessin. Dans l'éventail des médiums dont un plasticien peut user, le dessin, dans lequel le geste universel du trait de crayon sur le papier renvoie à une temporalité réelle et incarnée, manifeste sans doute le mieux ce temps de
l'oeuvre en train de se faire, ce temps de la matérialisation de l'oeuvre. Travailler lentement, produire peu, tendre l'oreille au murmure de la nature : autant d'attitudes de l'artiste qui longtemps la placèrent loin des standards artistiques, médiatiques et économiques d'un art contemporain soucieux d'épouser les contours du monde hic et nunc.
Mais voici que de crise économique en désastre écologique, les interrogations depuis toujours nourries par Julie Bernet Rollande, dans sa vie personnelle comme dans son travail artistique prennent une dimension nouvelle, et rencontrent aujourd'hui celles d'un monde que nous savons en péril. Et alors les questions du temps qui se vaporise, de la consumation du monde, de l'attention au vivant, qui sont au coeur de son travail, croisent les questionnement les plus actuels.
Elle pourrait ainsi s'inscrire dans la mouvance d'un concept pas complètement nouveau, lancé au début des années 90 par des artistes environnementalistes : le Slow Art. Le Slow Art n'est pas un mouvement artistique au sens plastique ou formel, il ne renvoit pas à une pratique particulière, mais relève d'une posture engagée - dans laquelle se retrouve sans doute Julie Bernet Rollande- issue d'un examen de conscience quant à la société de consommation appliquée au monde de l'art, et de son marché, dans sa dimension spéculative.
Evaluant la responsabilité de l'artiste en tant que producteur d'objets surnuméraires dans un monde déjà saturé d'objets, les partisans du Slow Art invitent les artistes à réfléchir, entre autres, sur la nécessité de leur
production, par rapport à l'inutilité d'une surproduction standardisée, sur les conditions matérielles de production, par rapport à une éthique environnementale mais aussi à une pratique artisanale...


Décélerer le temps, repenser l'espace de la nature comme « espace de contemplation», - à l'instar de l'historien de l'art du début du siècle dernier Aby Warburg souvent cité par les défenseurs du Slow Art- , tel est précisément le travail quotidien de l'artiste, au travers de ses dessins qui tous, ensemble et
séparément, l'engagent, presque malgré elle, dans une oeuvre « écologique », faisant émerger les interactions micro- comme macro-cosmiques, des cellules aux organes, des êtres vivants à leurs environnements, et posant là un ecosytème.
Tel est le sens de ses « Interdépendance »(s). Tel est aussi ce qui explique comment, parmi une série de dessins plutôt abstraits, sera représenté de manière clairement figurative un animal – éléphant, singe..- : interaction, écosystème, disparition d'une espèce...
Dans la simplicité fluide de son art et de son trait, au crayon, au fusain et parfois dans la dilution de l'aquarelle, et le choix du papier comme « medium pauvre » - bien que tendant à devenir aujourd'hui un important médium dans le paysage de l'art contemporain – et après plusieurs tentatives de couleur, elle
opte finalement pour l'essentiel du noir et blanc, moins séduisant, plus méditatif, plus discret. Discrètement plus radical, aussi.
Abstraite ou figurative, la forme de la représentation n'est pas essentielle pour Bernet-Rollande. Elle collecte des visions, furtives ou rayonnantes, des bribes qui n'exigent pas d'être identifiées...Ce qui importe est la sensation du moment, la sensation du visible, la fugacité des impressions, la mobilité des choses davantage que leur stabilité, les traces, formes et empreintes, le mystère, donc.


Elle a appris, avec le temps, encore, à opérer un « lâcher prise » qui lui permet d'aborder les idées et les images qui lui viennent sans jugement. Un véritable travail de libération. Ainsi, elle ne produit pas par série mais plus probablement par glissements, une image en appelant une autre et la cohérence thématique,
s'il en faut une, se crée a posteriori. De même la diversité des formats dépend de l'intimité du rapport voulu avec l'image, de la même manière que la nature, lorsque l'on passe du plus étendu au plus discret, demande une attention d'entomologiste, que ses dessins exigent parfois.
Julie Bernet Rollande ferait bien sienne cette phrase de Junichiro Tanizaki « nous oublions ce qui nous est invisible. Nous tenons pour inexistant ce qui ne se voit point »** pour nous enjoindre justement, à regarder de plus près la secrète nature, dans une méticuleuse attention au vivant et un questionnement récurrent sur la place de l'homme dans ce monde, perpétuellement tiraillé qu'il est entre sa passion calculatrice et son idéal ascétique. Or, aujourd'hui, l'homme doit choisir, et de sa résolution s'ensuivra son plus proche avenir. Julie Bernet-Rollande, dans sa détermination à suivre sa voie hors des modes et et des attendus, jusqu'à son parti pris de frugalité, a érigé en quelque sorte un ordre de bataille, et elle a choisi son camp.


*Pierre Rabhi – La part du colibri – Editions de l'Aube,2017
**Junichiro Tanizaki – Eloge de l'ombre – Editions Verdier, 1933

 

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2 décembre 2019 1 02 /12 /décembre /2019 11:40
Opening / ouverture le 4 décembre de Souvenir from Earth, l'exposition solo de Brankica ZILOVIC à la Galerie Laure Roynette

Je suis très heureuse de participer à ma façon, au travers d'un texte, à la première exposition solo de Brankica Zilovic à la Galerie Laure Roynette, Paris. Une  exposition d'une grande richesse plastique et émotionnelle avec de nombreuses oeuvres nouvelles, à découvrir absolument et jusqu'au 11 janvier 2020.

Opening / ouverture le 4 décembre de Souvenir from Earth, l'exposition solo de Brankica ZILOVIC à la Galerie Laure Roynette

Souvenir from Earth

 

Au détour de quelque coin de l'univers inondé des feux d'innombrables systèmes solaires, il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l'« histoire universelle », mais ce ne fut cependant qu'une minute. A peine quelques soupirs de la nature, la planète se congela et les animaux intelligents durent mourir.
Telle est la fable qu'on pourrait inventer, sans parvenir à mettre suffisamment en lumière l'aspect lamentable, flou et fugitif, l'aspect vain et arbitraire de cette exception que constitue l'intellect humain au sein de la nature.

Des éternités ont passé d'où il était absent ; et s'il disparaît à nouveau, il ne se sera rien passé.

« Vérité et mensonge au sens extra-moral » - Friedrich Nietzsche (1873) (1)

 

 

 

Personne ne veut que, comme dans la prophétie nietzschéenne, il ne se soit « rien passé ». En vérité, quand bien même l'humanité disparaitrait demain, rien ne pourra faire qu'il ne se soit « rien passé ». L'Homme aura été, de toute éternité, et avec sa présence, même fugitive, au regard des éternités de l'univers, il se sera passé : des continents à la dérive, des paysages naturels et humains vus, peints, dessinés, photographiés, cartographiés, des passions individuelles et collectives, des guerres et des paix, des églises et des dieux, des spiritualités de toutes sortes, des souvenirs...

« Souvenir from Earth », la première exposition personnelle de Brankica Zilovic à la Galerie Laure Roynette, à Paris, c'est déjà la promesse solenelle qu'il y aura toujours quelque chose arraché au néant, à la destruction et à l'oubli. Comme on ramène un souvenir de voyage, comme on cherche à graver dans sa mémoire – ou dans celle, plus oublieuse qu'on ne le croit, de son téléphone ou de son ordinateur- l'image de ce qui a été, « Souvenir from Earth » ramène dans l'hétérotopie que constitue la galerie, des représentations diverses : batiments, paysages, choses, êtres, qui sont, qui ont été, pour les pétrifier, parfois au sens propre quand l'artiste les marie au béton, autant que pour les ramener à la vie. Livres, cartes, photos, fresques, tapis...Dans une tentative quasi encyclopédique de collecter des bribes de ce qu'est, de ce que fut, la vie sur cette planète ci, voici « Souvenir from Earth ».

 

La relation de Brankica Zilovic avec les cartes et les territoires est une vaste et profonde aventure, qui commence à l'orée de « La Pangée » (son premier « planisphère », 2011) et se poursuit depuis, inlassablement.

Explorer les frontières, les fractures, les schismes, les rifts, les tirailler, les étirer, les inventer, réinventer, triturer, en réseaux nerveux « comme des synapses », affirmer comment la vie est censée bouillonner quoiqu'il en soit...et résister à l'entropie et la mort.

Depuis les années 60, de nombreux artistes ( De Jasper Johns à Wim Delvoye, de Robert Smithson à Alighero Boetti pour n'en citer que quelques uns) se sont intéressés à la représentation cartographique comme espace esthétique permettant d'exprimer des phénomènes complexes au delà de la géographie, qu'ils soient politiques, sociaux, ou se fassent l'écho de territoires en mutation.

« L’inadéquation est intrinsèque à la carte», affirmait le logicien américain Nelson Goodman (2). Qu'une artiste comme Brankica Zilovic s'intéresse à la cartographie à l'heure de Google Map indique combien la carte d'artiste agit non comme représentation adéquate d'un réel mais matérialisation d'un espace mental, projection de l'ordre de la mémoire, de l'imaginaire et du désir.

Cette vision sélective, subjective, et poétique de monde pourrait s'appréhender comme une riposte à l'abstraction et à la dématérialisation du monde contemporain. Elle rend un territoire, fusse-t-il fictionnel, mais visible, à un monde paradoxalement en invisibilité, « sans corps ni visage », pour reprendre l'expression de Nicolas Bourriaud (3). Elle propose un atlas du monde, forcément provisoire, témoigne de sa recomposition, dans une lutte, vaine peut-être, contre une nostalgie presque nécessaire.

Les cartes de Brankica Zilovic s'inscrivent parfaitement dans ce que pouvaient en dire Deleuze et Guattari (4): elles construisent un réel plus qu'elles ne le décalquent, elles se déplient, se déploient, dans nos temps de repli sur soi, elles déchirent, renversent, bousculent les territoires, s'esquissent comme des méditations sur les temps passés et présents dans le dessein d'un avenir.

 

La dimension poétique et fictionnelle des œuvres de Brankica Zilovic n'éludent pas leur caractère à la fois biographique et politique. Les espaces diasporiques qu'elle dessine renvoient dans un premier temps à sa propre histoire - venir d'un « pays qui n'existe plus » - la Yougoslavie-, et partager, avec sa compatriote Marina Abramovic, la « culpabilité », sinon « la honte » de la guerre-. C'est un travail de mémoire et de résilience mis en œuvre par l'artiste, éminemment sensible à l'histoire particulièrement tumultueuse de cette Europe des Balkans dont elle est issue, et qu'elle interroge au travers, par exemple, de la série « No Longer mine » (2019), ou encore de « Last view » (2019), une photographie rebrodée d'or laissant apercevoir, presque effacée, la maison de son enfance, à la veille de sa destruction. Elle brode, dit-il, pour conjurer les fantômes du passé.

Dans un second temps, il lui importe que son histoire personnelle participe à un récit universel, et qu'elle, serbe partie vivre ailleurs, inscrive sa présence dans un monde ouvert, et multiple, un « Tout Monde », comme le définissait Edouard Glissant (5), penseur auquel elle aime se référer. Sa réflexion, comme sa pratique, prend appui sur cette idée d'interpénétration des cultures et des imaginaires, d'un monde qui perdure et/mais qui change, d'où son vif intérêt pour les images d'ici et d'ailleurs, les cartes et les livres, son insatiable curiosité de tout, qu'elle assouvit dans ses voyages, histoire de vérifier que la terre est bien « en partage pour tous ». Ses œuvres sont à l'image de ce monde-là, mouvantes, chaotiques. Par le travail de la broderie et des fils, les éléments s'y croisent, se rencontrent, surgissent, disparaissent, se transforment.

 

Glissant dirait que de ce chaos-monde, celui dans lequel nous vivons, celui que l'artiste décrit, une nouvelle humanité émerge ou émergera...Si ce n'était que, dans ces enchevêtrements du subjectif et de l'histoire, le monde que raconte Brankica Zilovic est au bord du vacillement, à bout de souffle.

Nous avons tous cette conscience diffuse, et angoissante, sinon de l'effondrement, au moins de l'effritement de notre monde. On pourrait dire que cette impression n'est pas nouvelle. L'Histoire de l'Humanité est jalonnée de moments de ruptures des ordres établis, de retournements et de révolutions, d'émergences et de crises...La crise, explique Hannah Arendt (6), fait apparaître de nouvelles possibilités d’être, offre une occasion de renaissance. Mais aujourd'hui, à la différence de nos aïeux atteints du mal du siècle – un vague à l'âme entre deux moments décisifs de l'Histoire, « où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris » (7)-, et pour filer la métaphore médicale, il n'est pas impossible que nous ne soyons plus en crise, mais à l'apex, c'est-à-dire au moment, crucial et définitif, où l'on survit...ou trépasse. Il y eut un avant mais y aura-t-il un après ?

Alors peut émerger la tentation de liquider ce vieux monde perdu, de manière provisoire, dans l'attente d'une apocalypse, au sens propre, ou de manière radicale, pour en finir vraiment, car comme le disait Nietzsche, il n'y a guère de nécessité de la présence humaine sur terre.

Y a t-il quelque chose de cet ordre chez Brankica Zilovic ? Cela expliquerait la dimension lyrique et nostalgique, presque fiévreuse et romantique de nombre de ses œuvres, lorsque les fils fuyants ses cartes et ses livres pourraient matérialiser une sorte de deliquescence, que les noir et blanc virant au gris des photographies sur les morceaux de béton comme des vestiges, ruines du temps présent, se parent d'ors bientôt fanés...Non que Brankica Zilovic se laissât prendre à l'utopique nostalgie d'un passé arcadien – inclination trompeusement contemporaine- mais on pourrait bien interpréter l'émotion qui se dégage de ces œuvres comme un écho plus ou moins lointain de ce que Burke (8) appelait le sublime : quelque chose de l'ordre de la terreur et du danger, l'excitante délectation du bord du précipice. Là où nous en sommes, précisément, dans l'Histoire de l'Humanité.

 

Opening / ouverture le 4 décembre de Souvenir from Earth, l'exposition solo de Brankica ZILOVIC à la Galerie Laure Roynette

Mais dans le même temps, ces même œuvres, ou d'autres encore, magnifient de toute force ce qu'il reste encore à sauver, à l'instar de la banquise, symptôme le plus visible, le plus spectaculaire, et le plus tangible du changement climatique, qu'elle évoque dans plusieurs œuvres : « Holy Icefloe » (2019), cousue d'or, « Puzzling world » (2019), réalisée dans une technique de tuftage coloré et dense, ou encore « 4,15 millions» (2019), de la superficie restante de la banquise mondiale en 2019.

Ses photographies sur béton expriment la volonté farouche de fixer, de sauver, par la pétrification, toute une stratification de souvenirs mais aussi quelques monuments, souvent religieux, français mais pas seulement, qu'elle a choisi de montrer/conserver.

En brodant des livres anciens (choisis souvent pour leur contenus signifiants) de cartes, parfois semblables à des plans de villes assiégées, des citadelles, parfois laissant s'échapper du bleu de la mer des fils pareils à des torrents, elle les réactive d'une certaine manière. Objets de savoir et d'imaginaire en passe de disparaitre dans le vortex numérique, ils redeviennent objet d'une transmission, même si le texte se perd derrière la représentation brodée comme de force dans l'épaisseur du livre.

Dans tous les cas, il s'agit de se réapproprier les images et les choses, comme s'il fallait réanimer le monde, lui donner un nouveau souffle malgré un horizon aussi sombre qu'abstrait.

 

Cette conjuration de la disparition passe par une confrontation on ne peut plus concrète à la matière – d'innombrables heures passées sur ses ouvrages-, bien réelle, contre la virtualisation croissante, et vertigineuse, de notre monde, et par une profusion des médiums et des matériaux convoqués. Richesse des motifs, couleurs, fils, broderies, foisonnement des supports, le travail de Brankica Zilovic porte une dimension baroque, tant sur le plan formel que spirituel, à laquelle la luxuriance de l'or, utilisé ici de manière récurrente, n'est pas étrangère.

On pense d'abord, bien sûr, à l'influence de l'art byzantin et de l'iconographie orthodoxe, très présents dans la culture originelle de l'artiste. Matière ultime, couleur qui ne vit pas de la lumière mais qui porte en elle-même son propre rayonnement, l'or symbolise le pur éclat, la lumière divine. On songe ensuite, donc, à ce que l'or apporte au vocabulaire de l'esthétique baroque, cet emportement de l'émotion « vers le haut », ce soutien de la plus précieuse des matières au sentiment religieux.

 

Donner sens à la crise, disait donc Hannah Arendt (6), c'est résister à la disparition et affirmer que le nouveau est encore possible. Et le nouveau, écrivait la philosophe, est toujours un miracle.

Si, pour Brankica Zilovic, l'idée de la finitude, qui est pourtant l'essence même de l'existant, reste inacceptable, l'acte de création lui apparaît comme un moyen d'exorciser cette malédiction, rejoignant en cela les conceptions les plus anciennes de l'art comme moyen de survivance au delà de la mort, comme fragment d'éternité. Alors, l'acte de création auquel se soumet chaque jour Brankica Zilovic participe de ce miracle, de cette « promesse de rédemption pour ceux qui ne sont plus un commencement ».(9)

 

C'est ainsi que s'ouvre, et d'une certaine manière, se clôt l'exposition : avec cette grande pièce murale , simplement appelée « Life » (2018), plus puissamment colorée que la plupart des oeuvres présentées. Un monumental planisphère en toute liberté, dans lequel volumes et épaisseurs jouent avec des frontières qui se dilatent, éclatent, se dissolvent et se reconstituent, un Tout-Monde bouillonnant et bien au delà du sursis, parcouru d'énergiques secousses et de synapses violentes et joyeuses à la fois, avec, dit l'artiste, une certaine frivolité, de la légèreté et par dessus tout, une foi intense, et irradiante, en la vie.

 

 

(1) Friedrich Nietzsche - Œuvres, Chapitre 1 - Éditions Gallimard, coll. « Pléiade », 1975 et 2000, t. I, p. 403

(2) Nelson Goodman - Manières de faire des mondes, tr. fr. M.-D. Popelard, Paris, Editions Gallimard, 2007

(3) Nicolas Bourriaud, catalogue de l'exposition « GNS », Palais de Tokyo, Editions Cercle d’art, 2003

(4) Gilles Deleuze, Félix Guattari - Mille plateaux - Collection « Critique », les Editions de Minuit, 1980.

(5) Edouard Glissant – Traité du Tout-Monde, Editions Gallimard, 1997

(6) Hannah Arendt – Condition de l'homme moderne – Editions Calmann-Levy, 1961 et 1983

(7) Alfred de Musset - La Confession d’un enfant du siècle (1836), I, chapitre 2. - Editions Gallimard, 1973

(8) Edmund Burke- Recherche philosophique sur nos idées du sublime et du beau ( 1757) – Editions Vrin, 1998

(9) Hannah Arendt, Journal de pensée (1950-1973), Editions du Seuil, vol.1, p. 231, IX, 12, 2005

 

 

 

Opening / ouverture le 4 décembre de Souvenir from Earth, l'exposition solo de Brankica ZILOVIC à la Galerie Laure Roynette

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